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Enquête franceinfo Assistants parlementaires du MoDem : ce que révèle l’enquête de police

Les informations recueillies par la cellule investigation de Radio France révèlent qu’en deux ans d'enquête, la police anticorruption a accumulé les indices accréditant un possible détournement d'argent public.

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 Francois Bayrou et Marielle de Sarnez en 2017 à Paris. (PHILIPPE LOPEZ / AFP)

Le président du MoDem, François Bayrou, et Marielle de Sarnez ont été longuement entendus mercredi 11 septembre 2019 par les policiers de l'Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF), à Nanterre. La PJ enquête depuis deux ans sur les contrats d'assistants parlementaires européens du MoDem. Cette enquête, qui avait conduit à la démission du gouvernement de trois ministres centristes – Sylvie Goulard, Marielle de Sarnez et François Bayrou – porte sur des soupçons d'"abus de confiance", de "recel d'abus de confiance", d'"escroqueries" et de "détournement de fonds publics".

Le parti de François Bayrou a-t-il utilisé des fonds européens pour rémunérer certains de ses salariés ? À ce stade des investigations, les policiers estiment qu'au moins neuf collaborateurs d'eurodéputés centristes ont été rémunérés par le Parlement européen alors qu'ils auraient consacré la majeure partie de leur temps de travail au parti de François Bayrou.

En juin 2018, les policiers concluaient ainsi leur rapport de synthèse : "Des éléments laissent penser que le MoDem aurait pu institutionnaliser, dans son mode de fonctionnement, l'utilisation des ressources du Parlement européen à son profit." Voici ce que les informations recueillies par la cellule investigation de Radio France révèlent.

Des témoignages qui décrivent des emplois fictifs

Pour arriver à cette conclusion, les enquêteurs ont épluché des dizaines de contrats d'assistants européens et organisé de nombreuses auditions d'ex-collaborateurs. Plusieurs d'entre eux ont reconnu, sur procès-verbal, avoir occupé un emploi fictif d'assistant européen. Une ancienne permanente de l'UDF (ex MoDem), employée par l'europarlementaire Janelly Fourtou en 2005, a ainsi raconté : "Je me souviens qu'une fois Madame Fourtou s'était énervée que je ne fasse rien pour elle et j'avais alors dû faire un tableau Excel. En fait, j'ai essentiellement travaillé pour l'UDF. Je me suis occupée de l'organisation de 16 colloques pour François Bayrou." Sollicitée, Janelly Fourtou n'a pas souhaité commenter l'enquête en cours mais elle confirme les dires du témoin. "Elle n'a jamais été mon assistante", assure-t-elle.

La police judiciaire a également recueilli des éléments matériels lors d'une perquisition du siège du MoDem à Paris. La saisie de disques durs d'ordinateurs – notamment l'ordinateur de François Bayrou – a permis aux enquêteurs de retrouver des mails d'une ancienne eurodéputée, Claire Gibault, furieuse de s'être fait "imposer" une assistante qui travaillait essentiellement pour le parti. Voici ce qu'écrivait la parlementaire à sa collaboratrice en décembre 2007 : "Vous savez aussi bien que moi que vous consacrez bien plus d'un tiers de votre temps de travail à vos activités au sein du MoDem. Cette semaine encore, vous n'avez pas pu mettre à ma disposition les deux tiers du temps qui me sont normalement impartis."

Pour les enquêteurs, ce mail de reproches écrit par Claire Gibault laisse penser qu'il existait, dès 2007, des irrégularités sur la réelle répartition du travail entre le MoDem et l'Europe. "Cela peut laisser supposer que ces irrégularités ont persisté avec le temps, écrivent les policiers dans un rapport, voire se sont aggravées suite aux soucis financiers du MoDem."

À cette période, en effet, le parti de François Bayrou a rencontré d'importantes difficultés de trésorerie. À tel point que le MoDem a dû licencier du personnel et mettre en location une partie de son siège parisien. Le jumelage de contrats à temps partiel "européens" avec des contrats à temps partiel "MoDem" aurait permis de réaliser des économies sur la masse salariale, estiment les enquêteurs. "Les constatations effectuées sur les documents et les mails saisis permettaient de penser que le MoDem cherchait à réduire à tout prix ses charges financières et que les ressources offertes par les enveloppes parlementaires étaient une opportunité en ce sens", écrivent-ils dans leur rapport.

Des indemnités de députés européens reversées au MoDem

Des mails saisis dans l'ordinateur du responsable financier du MoDem montreraient également que le parti politique avait la main sur les enveloppes budgétaires de ses eurodéputés. Ainsi, le 24 octobre 2007, la cheffe de cabinet de Marielle de Sarnez demande par écrit au responsable financier du parti d'établir un contrat de travail à une collaboratrice, et d'imputer son salaire sur une enveloppe parlementaire : "Merci d'établir un contrat sur une des enveloppes disponibles d'un parlementaire européen pour un montant de 500 euros net. Si tu peux, commence dès le 1er octobre."

Dans un autre courriel, une eurodéputée se plaint auprès du responsable financier du parti de n'avoir pas pu choisir l'ensemble de ses collaborateurs. Pour les enquêteurs de la police judiciaire, les investigations réalisées depuis deux ans "laisseraient penser que le MoDem avait la gestion des enveloppes des attachés parlementaires et se permettait d'en disposer sans l'accord du député", est-il écrit dans un procès-verbal dont nous avons eu connaissance.

Par ailleurs, selon les informations recueillies par la cellule investigation de Radio France, plusieurs candidats centristes aux élections européennes, en 2009 puis en 2014, se sont engagés par écrit, à reverser, s'ils étaient élus, une partie de leur enveloppe budgétaire européenne au MoDem. Certains se souviennent d'avoir signé la promesse d'employer des salariés du MoDem. Pour d'autres, il était question de dons au parti. "Mon engagement, de mémoire, se limitait à verser un don de 1 000 ou 1 500 euros par mois au MoDem, raconte ainsi sur procès-verbal Olivier Henno, ancien candidat aux européennes en 2009. Cette somme provenait de mes indemnités."

Des assistants parlementaires aux missions d’ordre privé

Certains assistants européens auraient été utilisés par des parlementaires MoDem pour gérer les affaires personnelles de leur employeur. Ainsi, une ancienne collaboratrice de Marielle de Sarnez a raconté aux policiers qu'elle ne s'occupait quasiment que de tâches d'ordre privé : "J'étais la gouvernante de Marielle de Sarnez, je gérais l'intendance de ses dossiers administratifs ou le suivi de la construction de sa maison en Grèce."

Pour appuyer ce témoignage, la jeune femme a fourni aux enquêteurs des échanges de SMS ou de courriels avec Marielle de Sarnez. L'ancienne ministre écrit par exemple ceci à son assistante européenne le 20 décembre 2013 : "Aurais-tu gardé les coordonnées de la personne qui est venue réparer les gouttières il y a quelques temps chez moi ? C'est le syndic qui te l'avait donné (sic)." Ou encore, le même jour : "Il paraît que je n'ai pas renouvelé mon contrat annuel chez Celo Gaz. Merci de vérifier." Ou encore, en septembre 2014 : "STP, sortir toutes les factures de travaux que j'ai payées pour l'île d'Yeu depuis le début de la maison. Me dire quand tu as tout."

Les policiers ont sorti la calculatrice. Seulement 4% des échanges de SMS fournis par cette ancienne assistante de Marielle de Sarnez concernent le Parlement européen, 31% concernent le MoDem et 65% relèvent de tâches personnelles au profit de la femme politique. Les enquêteurs doutent d'autant plus de la réalité du travail européen de cette collaboratrice qu'ils ont découvert, dans les affaires de l'ex-assistante, de nombreux documents relevant de la vie privée de Marielle de Sarnez. Cette dernière n'a pas donné suite à nos sollicitations.

Des pratiques qui remontent aux années 90

Des témoignages de salariés ayant travaillé pour la formation centriste dans les années 90 laissent penser que ces pratiques du MoDem en matière d'emploi de collaborateurs seraient très anciennes. Ainsi, un ancien salarié du mouvement Force démocrate, présidé par François Bayrou entre 1995 et 1998, à une période où celui-ci était ministre, a raconté aux enquêteurs avoir occupé un emploi fictif auprès de députés centristes. L'homme avait été embauché par deux parlementaires, dont Michel Mercier, figure du centre droit et ex-garde des Sceaux de Nicolas Sarkozy. Mais ce témoin assure n'avoir rencontré ses "employeurs" que le jour de la signature de son contrat : "On aurait pu me faire rémunérer par n'importe quel parlementaire. Michel Mercier ne pourra jamais fournir un document que j'ai rédigé pour lui."

Selon ce témoin, sur la trentaine de salariés du mouvement de François Bayrou, une dizaine, comme lui, auraient été rémunérés grâce aux enveloppes de députés et de sénateurs centristes pour lesquels ils ne travaillaient pas. Sollicité également sur ce témoignage, Michel Mercier n'a pas souhaité faire de commentaires.

Des alertes de la part du Parlement européen

Au début de la dernière mandature, certains contrats font tiquer les fonctionnaires européens. Le 4 décembre 2014, la direction générale des finances écrit à une collaboratrice de Marielle de Sarnez pour lui signifier que les contrats de deux de ses assistantes ne peuvent être acceptés en l'état. "Trop vague", explique le fonctionnaire qui demande des preuves de son travail.

Le Parlement européen rappelle également à la députée qu’il lui a été signifié qu'il était interdit qu'un assistant travaille au siège du parti "car une telle situation pourrait facilement donner lieu à un conflit d'intérêt", comme indiqué dans un guide remis à tous les parlementaires. Ce règlement prévoit que "dans les cas exceptionnels où cette situation ne pourrait être évitée" il faut que le contrat de travail indique clairement que l'assistant ne peut travailler pour le compte du parti. Cette situation est problématique : les contrats de tous les assistants de Marielle de Sarnez prévoient qu'ils travaillent au siège du MoDem. La cheffe de cabinet de la députée transfère ce mail au directeur financier : "On fait comment ?", lui demande-t-elle.

D'après d'autres échanges de mails, courant janvier, François Bayrou, Marielle de Sarnez, et les trois principaux cadres du parti se réunissent pour "parler des contrats européens." Quelques semaines plus tard, les parlementaires signent une convention dans laquelle le parti "s'engage à ne pas solliciter les assistants parlementaires pour des missions propres au parti durant les heures contractuelles auprès du député".

Malgré ces alertes, le parlement européen ne semble pas avoir décidé d'auditer de près les contrats des députés MoDem, comme il l'a fait dès juin 2014, pour ceux des assistants du Front national. Ce n'est qu'à la suite de l'ouverture de l'enquête préliminaire par le parquet de Paris, le 9 juin 2017, que l'Office européen de lutte contre la fraude (OLAF) va lancer des vérifications auprès des cinq députés MoDem qui ont siégé entre 2009 et 2014 au Parlement européen. Elles concernent Marielle de Sarnez, Nathalie Griesbeck, Robert Rochefort, Jean-Luc Bennahmias et Sylvie Goulard. D'après nos informations, il semble que les premières explications fournies par les députés n'aient pas convaincu de la réalité du travail parlementaire de neuf assistants. Le Parlement européen envisagerait d'ores et déjà de demander le remboursement de leurs salaires au parti centriste.

Une enquête en cours sur l’assistant de Sylvie Goulard

Parmi les contrats qui posent problème se trouve celui de Stéphane Thérou, assistant de Sylvie Goulard. Ancien assistant de Philippe Morillon, il est devenu celui de l'actuelle commissaire européenne en juin 2009. La réalité de son travail parlementaire (à deux tiers temps) ne semble pas être contestable aux yeux des services du Parlement jusqu'à la fin du premier mandat de Sylvie Goulard, en juin 2014. En revanche, le deuxième contrat qu'il signe le 1er juillet 2014 et qui court jusqu'à fin février 2015, paraît douteux. À tel point que le Parlement a demandé à l'ex-ministre de la Défense de rembourser la totalité des salaires versés sur cette période, charges comprises, soit environ 45 000 euros. L'entourage de Sylvie Goulard explique qu'elle "avait accepté de reconduire le contrat de Stéphane Thérou pour lui laisser le temps de trouver un autre travail. Sa recherche d'emploi devait durer deux mois, en fait, elle a été plus longue que prévue. Il avait à l'époque indiqué vouloir partir dans le privé."

 Sylvie Goulard avait démissionné aux côtés de Marielle de Sarnez et François Bayrou  (KENZO TRIBOUILLARD / AFP)

En fait, quelques mois plus tard, Stéphane Thérou rejoint François Bayrou en tant que directeur de cabinet à la mairie de Pau. Le remboursement des neuf mois de salaires durant lesquels Stéphane Thérou ne semble pas avoir travaillé pour l'Europe éteint la dette de Sylvie Goulard. Mais elle ne clôt pas pour autant la procédure judiciaire. L'entourage de la commissaire européenne plaide "un geste humain" de la part de l'ex-parlementaire, sans contester le caractère fictif du contrat de travail. Le 10 septembre, elle a été entendue par les policiers de l'OCLCIFF. Et ce sera en définitive au juge de décider s’il donne ou non une suite judiciaire à cette affaire.

Sollicité par le biais de son cabinet, François Bayrou n'a pas répondu à nos questions. À l'issue de son audition par la police, mercredi 11 septembre 2019, le chef du MoDem a indiqué devant la presse "avoir fait valoir les preuves de ce que tout ça était un mensonge".

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