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Michel Barnier, désormais disponible

L'accord post-Brexit finalisé, le négociateur en chef de l'UE veut désormais "consacrer toute son énergie à la France". C'est ce qu'il a déclaré jeudi au journal de 20 heures sur France 2. Michel Barnier est donc candidat. Mais à quoi ? 

Article rédigé par franceinfo - Jean-Jérôme Bertolus
Radio France
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Temps de lecture : 8min
Michel Barnier, lors de la conférence de presse sur les négociations sur le Brexit, le 24 décembre 2020 à Bruxelles. (FRANCISCO SECO / POOL / AP POOL)

Jeudi 24 décembre, au 20 heures de France 2, Michel Barnier, le négociateur du Brexit, déclarait : "La France me manque. Ce pays est dans une telle situation, avec beaucoup de difficultés, beaucoup d'injustices, un manque de respect un peu partout. Je crois que notre pays a besoin de toutes les énergies, et je vais lui apporter l'énergie dont je dispose aujourd'hui." Michel Barnier est donc candidat. Mais à quoi ? 

"Je m’occupe de mes chats et je prépare le chapon, alors l’avenir de Barnier…", réagit vendredi un jeune cadre de LR, qui a manifestement la tête ailleurs. A l’état-major des Républicains ou dans les allées de l’exécutif, rares sont ceux qui ont regardé le 20 heures la veille. A Noël, Michel Barnier ne fait pas le buzz. "Je n’étais pas au courant. Et personne ne m’a envoyé un sms pour me dire, dis donc tu es au courant de que Barnier a raconté ?", constate un dirigeant de la majorité.

"Sa ligne d’horizon c’est la France"

Michel Barnier a pourtant envie d’être encore utile. A 70 ans, il vient d’achever brillamment les négociations sur le Brexit. A droite, comme dans la majorité, chacun lui reconnaît des qualités de "fin négociateur, technique et énergique". Mais son âge lui interdit désormais toute ambition au niveau de l’exécutif européen compte tenu des règles administratives en vigueur à Bruxelles. "Sa ligne d’horizon c’est la France, assure l’un de ses amis. Et sa phrase favorite lorsqu’il réunit ses proches, c’est : 'Il faut relever la ligne d’horizon'".

Tous en sont convaincus, pas question pour lui de prendre sa retraite. Avec plusieurs tour d’Europe au compteur, en rencontrant les parlementaires des 27, les syndicats de tous les pays, ou encore les pécheurs, ceux qu’il appelle "les forces vives", le Français "s’est progressivement fait son idée de ce qu’il faudrait faire", selon un député du Parti populaire européen. "Il est sévère avec l’état de la France, il a mal à son pays", abonde un élu proche de Michel Barnier. "Il juge que la défiance s’est immiscée partout. Que les élites sont en partie responsables. Il n’est pas tendre non plus avec l’exécutif", poursuit-il.

Des relations en dents de scie avec le chef de l’Etat

Michel Barnier n’a jamais digéré qu’Emmanuel Macron n’ait pas avancé son nom pour la présidence de la Commission européenne en 2019. "Les Allemands n’en voulaient pas et s’il est devenu le négociateur en chef c’est aussi grâce à Macron", rétorque un proche du président. Au sein de LR, la lecture est différente. "Macron ne voulait pas qu’un Français lui fasse de l’ombre", décrypte un dirigeant des Républicains qui comprend l’amertume de Michel Barnier.

Mais à l’Elysée, on n’avait surtout pas oublié que Michel Barnier s’était prononcé pour François-Xavier Bellamy lors des élections européennes. "Avec Macron, il y a des convergences sur l’Europe ou sur le positionnement de centre droit, mais il y a aussi des divergences. Au cours des négociations, Michel Barnier a pu avoir l’impression que le chef de l’Etat ne lui racontait pas tout ce qu’il disait aux autres dirigeants européens", résume l’un de ses proches. De là à se porter candidat à l’élection présidentielle en 2022 contre Emmanuel Macron… Même ses amis ne franchissent pas le pas. "Il n’est pas assez obsédé par le pouvoir pour tout sacrifier à la course présidentielle", observe l’un d’eux.

"Son job idéal ce serait plutôt Premier ministre"

Chez les Républicains, la prestation télévisée du négociateur du Brexit n’a pas remis en cause la trêve des confiseurs entre les différentes écuries présidentielles. "Il a un côté européiste, quasi fédéraliste, qui ne peut convenir à la droite. C’est devenu un globe-trotteur européen incapable de tâter le cul des vaches. Au sein de LR, on le respecte mais il est lointain", juge l’un des acteurs de la dernière campagne européenne des Républicains. "D’autant qu’il est macronien, même s’il ne s’est jamais donné à Macron car avec plusieurs décennies de vie politique à droite il aurait l’impression de se trahir", renchérit un autre cadre de LR. "A des primaires de la droite, il se ferait hacher menu par les militants", tranche d’ailleurs un député LR.

Même avec près de trois décennies de vie politique à droite et le titre de plus jeune député de France lorsqu’il est élu député de Savoie en 1978 à 27 ans, Michel Barnier ne s’est pas constitué de réseaux au sein de l’appareil militant. "Quand j’étais à l’UMP je ne me souviens pas de l’avoir croisé une seule fois dans les différentes instances de direction, explique un ancien élu. En fait son job idéal ce serait plutôt Premier ministre en 2021 ou… en 2002, après la présidentielle, conclut un proche. Il a une crédibilité européenne et une crédibilité territoriale en France."

Dans son entourage, on rapporte qu’il n’a jamais compris pourquoi Emmanuel Macron avait imposé Castex comme Premier ministre. Vendredi, à toute fins utiles, un porte-parole du groupe de la République en Marche à l’Assemblée assure par sms que la place à Matignon n’est pas à prendre. "Je crois qu’il n’est pas envisagé de changer de Premier ministre dans cette période de crise et que le Quai d’Orsay est également fermement occupé par Le Drian", écrit-il . A bon entendeur !

Une indifférence polie de la droite et de la majorité

"C’est normal qu’il ait envie d’être utile, juge un proche du président. Et c’est une bonne idée. La difficulté c’est que les Français ne connaissent Michel Barnier. Au sein de LR, il est un peu un émigré et pour la République en Marche il est essentiellement européen. Bref, Michel Barnier n’est plus un homme politique, on l’identifie plutôt à l’institution… européenne."

Pas sûr qu’au sein de la majorité ou à droite on applaudisse à tout rompre au retour du négociateur. Plutôt une indifférence polie face à son ambition. Reste à savoir si Michel Barnier, fort de son "énergie" va réussir à incarner la première surprise politique de 2021. "Son livre sur son expérience à Bruxelles et ses réflexions politiques, qui sortira probablement au printemps va constituer un test, assure une figure politique qui le connaît bien. L’occasion d’aller au contact, de voir comment il sera reçu, ce sera un test. Là il prendra sa décision…" Pour quoi faire ? La question reste entière.

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