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Présidentielle : Samaran, un petit village gersois qui a laissé le FN sans voix

Dans cette commune gersoise de 88 habitants, aucun électeur n'a voté pour Marine Le Pen lors du premier tour, dimanche. Franceinfo s'est rendu sur place.

Article rédigé par franceinfo - Raphaël Godet, envoyé spécial à Samaran (Gers)
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
L'entrée de la commune de Samaran (Gers), le 24 avril 2017. (RAPHAEL GODET / FRANCEINFO)

Jusqu'au bout du dépouillement, M. le maire était "convaincu que ça allait finir par arriver". Une enveloppe, puis une autre. Toujours rien. "A la toute dernière, je vous avoue qu'il y avait un peu de stress dans la salle du conseil municipal." L'édile sans étiquette de droite, Luc Combina, et les autres membres de la mairie n'ont pas eu besoin de retenir leur souffle trop longtemps. "On a vu les premières lettres. Ce n'était pas ça." Cette fois, c'est officiel : à Samaran, aucun des 72 inscrits n'a glissé un bulletin Marine Le Pen dans l'urne, dimanche 23 avril, lors du premier tour de la présidentielle.

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Sur la feuille de pointage, qu'il a fallu remettre à la préfecture du Gers, un zéro apparaît au bout de la colonne de la candidate du Front national. C'est simple, elle n'a pas fait mieux que Nathalie Arthaud, Philippe Poutou et Jacques Cheminade (0 voix pour chacun), et elle a même été battue par François Asselineau, qui a sauvé l'honneur en récoltant un vote.

Dans ce village de 88 habitants, situé à une trentaine de kilomètres de Mirande et d'Auch, 25 ont voté pour Emmanuel Macron, 13 pour Jean-Luc Mélenchon, 10 pour François Fillon, 5 pour Nicolas Dupont-Aignan, 4 pour Jean Lassalle et 3 pour Benoît Hamon. Les 11 autres se sont abstenus. Un résultat frappant d'autant plus que Marine Le Pen a obtenu 19,71% des voix lors du premier tour dans le département.

La feuille de pointage après le premier tour de la présidentielle, dans la commune de Samaran (Gers), le 24 avril 2017. (RAPHAEL GODET / FRANCEINFO)

"Le petit village qui résiste au FN"

En France, 56 communes sont dans le même cas. A Samaran, le zéro pointé de la candidate FN a vite fait le tour du village. Pas besoin de Twitter ou Facebook, "en trois coups de téléphone, tout le monde était au courant", raconte le maire. Jeanne, 78 ans, regretterait presque de ne pas avoir parié. "Ça me rend assez fière de faire mieux que le reste de la France, sourit cette enseignante à la retraite. On nous a expliqué pendant des semaines que le FN allait réaliser un gros score. A partir de là, moi la première, j'ai pensé qu'il y aurait aussi quelques bulletins dans l'urne chez nous. Deux ou trois au moins. Eh bien non, aucun !"

Jeanne, habitante de la commune de Samaran (Gers), le 24 avril 2017. (RAPHAEL GODET / FRANCEINFO)

André Débat, le premier adjoint au maire, plaisante à peine lorsqu'il fredonne ce qui pourrait ressembler au nouveau slogan pour la commune : "Samaran, village 0% FN." Ce qu'il le satisfait, c'est que "les habitants ont gardé la tête froide, malgré tout ce qu'on entend dans les médias. J'ai presque envie de nous comparer au petit village gaulois qui résiste au FN." Ce n'était pourtant pas gagné d'avance. Pendant toute la campagne, des rumeurs laissaient penser que certains pourraient bien être tentés par le Front national sur la commune.

Douze voix FN lors des européennes en 2014

Deux maisons après la mairie, mais toujours sur la route principale, Christine remarque une chose. C'est que, "désormais, on en arrive à être surpris quand une commune n'a pas du tout voté Front national, explique cette infirmière à domicile. Tant mieux. Mais inutile de faire dans le triomphalisme. Disons qu'on y a juste échappé pour ce coup-ci."

Il suffit d'ailleurs de sortir les archives électorales de la commune pour s'apercevoir que le FN n'a pas toujours fait un zéro pointé à Samaran. Lors de la dernière présidentielle, en 2012, on avait compté quatre bulletins pour Marine Le Pen. Mais le record, c'était en 2014, lors des européennes. "Un vrai choc, se souvient le maire, déjà aux affaires à l'époque. On s'est retrouvés avec douze voix FN. Du jamais-vu."

Luc Combina, le maire de la commune de Samaran (Gers), démonte l'isoloir, le 24 avril 2017. (RAPHAEL GODET / FRANCEINFO)

Pourquoi la petite bourgade n'a pas voté FN cette fois ? "Parce que la vie est quand même d'une tranquillité incroyable, tient à rappeler Jeanne, qui habite depuis un demi-siècle dans le hameau. L'insécurité, ici, on ne connaît pas. La moindre voiture qui rôde est tout de suite repérée. Même un vélo ne nous échapperait pas. Tout le monde se connaît, on se fait confiance." Les problèmes d'immigration ? "Encore faut-il qu'il y ait des immigrés, rigole Christine. En fait, les seuls faits divers qu'on voit, c'est à la télé."

Assis dans son fauteuil de maire, Luc Combina est lui aussi très transparent. "Ne croyez pas que tout va bien dans le meilleur des mondes. Loin de là. On a aussi des problèmes."

La boulangerie la plus proche est à 3 kilomètres. Pareil pour le médecin. On n'a pas d'école, pas de commerce. La Poste, c'est juste une boîte aux lettres. Mais on fait avec.

Luc Combina, maire de Samaran

franceinfo

Dans ce canton du Gers, un département plutôt ancré à gauche, la "performance" de Samaran fait, en tout cas, quelques jaloux. Le voisin de Moncorneil-Grazan n'a pas réussi à en faire autant. Sur les 110 inscrits, 7 ont voté FN. "Je ne vous cache pas que ça me chiffonne, explique à franceinfo le maire René Pagotto (sans étiquette, droite). Je ne comprends pas vraiment. En termes d'image, ça m'aurait plu de ne pas en avoir."

Autre preuve que Samaran est "une autre France" : les panneaux électoraux installés en face de la mairie. Luc Combina défie quiconque de trouver la moindre trace de feutre ou de déchirure sur les affiches des candidats. "Elles sont comme neuves ! Même celle de Marine Le Pen est intacte. Je souhaite bien du courage à l'éventuel tagueur pour ne pas se faire repérer…"

Les panneaux électoraux installés dans la commune de Samaran (Gers), le 24 avril 2017. (RAPHAEL GODET / FRANCEINFO)

Dans la semaine, entre deux passages par les champs de son exploitation agricole, il doit d'ailleurs démonter les panneaux des neuf candidats éliminés. Et dimanche 7 mai, il faudra ressortir l'urne dans l'unique bureau de vote pour le second tour. Jeanne, qui a voté "deux fois pour François Mitterrand, une fois pour Ségolène Royal, et une fois pour François Hollande", glissera un bulletin Macron pour "dire non au Front national". Mais cette fois, le maire est moins optimiste. "Je n'ai pas commandé de sondage, mais je pense qu'il y aura des bulletins Le Pen. J'aimerais me tromper, mais je le sens." Combien ? "Peut-être trois ou quatre. On ne peut pas être performant à tous les coups."

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