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Manuel Valls se prépare à "faire président"... au cas où

Article rédigé par Sophie Brunn
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Manuel Valls et François Hollande, le 19 octobre 2016, après le Conseil des ministres à l'Elysée. (ALAIN JOCARD / AFP)

Cela fait des mois que ses proches l'assurent : si le président n'y va pas, Manuel Valls sera candidat en 2017. Une hypothèse toujours incertaine, mais renforcée par le livre "Un président ne devrait pas dire ça"... et les déflagrations qu'il continue de produire dans la majorité.

Dans l'avion qui l'amène au Canada mercredi 12 octobre, Manuel Valls prend un peu de temps pour aller saluer, au milieu de l'appareil, les parlementaires qui l'accompagnent dans ce déplacement. Détendu et badin, le Premier ministre se met à énumérer les conditions qui permettraient à François Hollande de gagner la présidentielle l'an prochain. Il n'est pas exclu que l'actuel chef de l'Etat soit réélu, dit-il en substance, si Jean-Luc Mélenchon n'a pas ses signatures et ne peut donc pas se présenter. Idem pour Cécile Duflot ou tout autre candidat écolo. Il faudrait aussi qu'Alain Juppé gagne la primaire à droite, mais avec un écart si serré que Nicolas Sarkozy se jetterait lui aussi dans la bataille...

Dans ces conditions, il y aurait alors un "trou de souris", dit le Premier ministre en souriant. "C'était une boutade, on a ri, assure à france info un député qui a assisté à la scène. C'est bien comme cela qu'on l'a pris."

"Je sais ce que je représente pour le pays"

Il n'empêche, sous couvert d'humour, Manuel Valls a sans doute livré le fond de sa pensée, partagée par une grande part des dirigeants socialistes : la candidature de François Hollande, plombée par ses "confessions" explosives, recueillies dans le livre Un président ne devrait pas dire ça... est quasiment vouée à l'échec. Ce qui ne signifie pas que celui-ci ne se présentera pas. Le Premier ministre le sait, lui qui se réfère constamment aux institutions : la logique de la Ve République veut que le président sortant soit candidat. Cela reste pour lui l'hypothèse la plus probable. Mais "dans un coin de sa tête, il se dit : François Hollande peut quand même jeter l'éponge", analyse un de ses proches.

Alors au Canada, Manuel Valls envoie des signaux. S'exprimant auprès de quelques journalistes, il ne franchit jamais la ligne jaune mais ne ferme aucune porte non plus. "Je serai obligé de m'adapter. Quoiqu'il arrive, j'incarnerai cette gauche sociale réformiste, dit-il. J'ai ma place, ma personnalité. Je sais ce que je représente pour le pays." Le Premier ministre n'hésite d'ailleurs plus à se présenter comme le "deuxième personnage de l'Etat" : une formule qui concourt à faire de lui le premier recours si le président renonçait. "Il prend la posture de doublure du chef de l'Etat, en positif, analyse un pilier du groupe socialiste à l'Assemblée. Il essaie de construire l'idée que si François Hollande n'y va pas, c'est le candidat quasi naturel."

Ses proches estiment qu'il est "urgent d'y aller"

De retour à Paris, il réunit, comme tous les lundis matins, ses plus proches à Matignon. La situation politique est passée en revue. Plusieurs élus, qui ont passé leur week-end en circonscription, estiment que le divorce avec François Hollande est consommé. Avec les Français : "Chez moi, l'opinion publique l'a lâché depuis longtemps", dit l'un d'eux. Mais aussi avec les militants. "Je n'arrête pas d'avoir des messages de parlementaires et d'élus, assure un député. Ce week-end, cela a vraiment été la goutte d'eau. Même les légitimistes en ont ras le bol. On n'est plus sur une perspective de défaite honorable : c'est la Bérézina !" Alors, après ce livre, certains des fidèles de Valls estiment qu'il est urgent d'"y aller" ; en tout cas, de s'y préparer. 

Manuel Valls évoque avec eux le discours qu'il doit prononcer le soir même dans son fief d'Evry (Essone), pour l'installation du conseil local de la laïcité. Une occasion rêvée de répondre au président en assurant que l'islam "n'est pas le problème". Mais aussi de changer un peu de tonalité sur ce sujet, dont Manuel Valls a depuis des années fait un marqueur de son identité. Ce soir-là à Evry, plus question de "faire du Valls", comme il l'avait fait au meeting de Colomiers (Haute-Garonne) fin août. "Lundi soir, il n'a pas clivé. Il change de registre, il prend de la hauteur", note un proche.

Un profil plus rassembleur

Le même qui le pousse à se lancer n'hésite pas : il faut qu'il se "présidentialise". Finies les formules chocs qui fracturent la gauche, éventuellement "adaptées à un ministre de l'Intérieur ou un Premier ministre". L'heure est au "rassemblement" : "Si on veut que Valls apparaisse comme une alternative, il doit monter une marche. Cela passe par une logique de rassemblement, de la main tendue."

Si Manuel Valls modère ses propos, c'est sans doute aussi car il est poussé par un objectif très local : "S'il veut se faire réélire à Evry l'an prochain, il a intérêt à renouer avec toute une partie de la population qui s'est sentie stigmatisée par ses propos", observe un élu de la région parisienne. "Il a conscience que sur ce sujet, il faut qu'il donne à voir autrement sa pensée", dit pudiquement un proche.

Le "scénario noir" où "on perd au tirage et au grattage"

Dans le camp des vallsistes, une menace a été bien identifiée. Un scénario dans lequel leur favori serait perdant sur tous les tableaux. En cas de victoire d'Arnaud Montebourg à la primaire, une hypothèse que des cadres socialistes n'excluent plus aujourd'hui, le PS va exploser, pronostiquent les supporters du Premier ministre. Avec, d'un côté, Arnaud Montebourg. Et de l'autre, le camp des "réformistes", "progressistes", ou "libéraux", qui, quel que soit le nom qu'on leur donne, rejoindraient... Emmanuel Macron ! "Et on est où, nous ? s'alarme un proche du Premier ministre. On perd au tirage et au grattage ! Celui qui est loyal n'a plus rien!"

Samedi, Manuel Valls clôturera un meeting du Parti socialiste à Tours, pour évoquer une nouvelle fois la gauche de gouvernement. Il pourrait continuer à arrondir les angles pour "faire président". A la fois si proche et si loin d'une candidature en 2017, tiraillé entre sa "loyauté", proclamée à longueur de discours, et une ambition dont il n'a jamais fait mystère.

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