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Lizy-sur-Ourcq (Seine-et-Marne) ou la contradiction du "vote décomplexé"

A Lizy-sur Ourcq, en Seine-et-Marne, un tiers des électeurs a voté pour Marine Le Pen. Mais les électeurs de la dirigeante d'extrême-droite ne connaissent pas tous le "vote décomplexé". C'est souvent "l'autre" qui a voté Front national. Reportage.
Article rédigé par Jérémie Maire, Hervé Pozzo
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Lizy-sur-Ourcq a voté à 30,1 % pour Marine Le Pen au premier tour de l'élection présidentielle. (HP)

A Lizy-sur Ourcq, en Seine-et-Marne, un tiers des électeurs a voté pour Marine Le Pen. Mais les électeurs de la dirigeante d'extrême-droite ne connaissent pas tous le "vote décomplexé". C'est souvent "l'autre" qui a voté Front national. Reportage.

Au milieu des champs de colza, Lizy-sur-Ourcq était balayée par une pluie incessante, ce jour là, après le premier tour de la présidentielle. Le gris du ciel semblait se refléter sur les rues de cette petite ville de 3 000 habitants, en Seine-et-Marne.

Le cœur économique de Lizy-sur-Ourcq bat aujourd'hui au ralenti.

L' imprimerie, autrefois premier employeur de la commune, multiplie les plans sociaux depuis sept ans. Alors, ceux qui ne prennent pas le RER pour aller travailler à Meaux, à une trentaine de kilomètres, ou à Paris, à 45 minutes, errent comme des âmes en peine, dans l'unique rue commerçante, la rue Jean Jaurès, entre les quatre bistrots que compte la bourgade.

Par journée de pluie, la ville est plutôt silencieuse. À l'heure du déjeuner, seuls quelques jeunes du centre de formation d'apprentis (CFA) d'à côté prennent leur pause kebab. La police municipale et la gendarmerie font leurs rondes, régulières.

"Nous n'avons aucun problème avec la population d'origine maghrébine"

Dans la rue, on ne sent pas d'insécurité, de jour comme de nuit, si l'on en croit ses habitants et Guy Michaux, le maire (divers droite) : "Nous n'avons aucun problème avec la population d'origine maghrébine, le vote FN est un vote de mécontentement".

À Lizy-sur-Ourcq, on compte près de 40% de logements sociaux et un chômage qui monte en flèche. La commune occupe l'avant-dernière place du département pour ce qui est du revenu par habitant.

La rumeur veut que la démolition des barres HLM de Meaux aurait délocalisé les familles occupantes (souvent à faible revenu, parfois descendantes d'émigrés) dans les communes alentours. Dont Lizy-sur-Ourcq, occasionnant une réaction de repli de ses habitants.

Une raison pour expliquer les 30,1% du Front national au premier tour de l'élection présidentielle ?

Le gérant d'une entreprise de télésurveillance, croisé par hasard dans la rue, indique que son activité se porte bien dans le coin. "Les gens ont peur, il y a de plus en plus de cambriolage". Ce que réfute le maire.

"Certains étrangers touchent 750 euros. C'est ce qu'on m'a dit"

Il se dégage des rues de Lizy-sur-Ourcq une sorte de mal-être. Marine Le Pen a séduit près d'un tiers des électeurs de la commune. Son père, en 2002, avait fait presque la même chose. Or, dans la rue, à la gare ou dans les estaminets, personne n'a voté pour le FN. Quand on ne fuit pas simplement la question.

"Moi, j'ai voté Sarkozy", est la réponse la plus communément entendue. Pourtant, le candidat de l'UMP arrive troisième, avec 24,20%, derrière François Hollande et ses 24,62%.

Mais dès lors que l'on cherche les raisons qui expliquent un score si haut de l'extrême-droite parmi les habitants, le vernis craque. "J'ai travaillé toute ma vie, explique une retraitée boulangère. Et pourtant, je ne touche que 430 euros par mois, alors que certains étrangers touchent au minimum 750 euros de prestations sociales. C'est ce qu'on m'a dit."

"Nous, on n'a rien", indique Gérard, un habitué du Relais de l'Ourcq, un des bars de Lizy. "Il y a des jeunes qui se payent des BMW alors qu'ils sont au chômage ! "

Chacun sait pour qui vote l'autre mais fait semblant...

Le peu d'animation se fait dans les bars de la ville. Le Relais de l'Ourcq, La Royale, en face de la gare, ou le Café du centre, dans la rue commerçante, sont tous les trois tenus par des immigrés ou des fils d'immigré. Mais tout le monde y vient boire un café, un rosé ou faire un PMU. On évite les discussions qui fâchent.

Chacun sait pour qui vote l'autre mais fait semblant de ne pas s'en préoccuper. On se regarde en chien de faïence, on entretient des relations autour du ballon de rosé que l'on descend en vitesse. Pour ne pas nuire aux affaires sans doute.

Comme pour dédramatiser le vote FN, ceux qui sont notoirement connus comme "facho" (sic) s'en amusent. Mais se ravisent sitôt qu'on pose la question sur le vote. Pourtant, le discours peut vite déraper.

Sa petite dernière de 20 ans "fait ses études à Londres"

"Les étrangers ne font rien et touchent des allocations familiales", s'emporte Gérard dans le Relais de l'Ourcq. Le tenancier, Sadoudi, est Algérien de Kabylie. Ses neuf enfants ont grandi à Lizy et il est fier d'annoncer qu'il "n'y en a pas un seul au chômage ou au RSA". Et que sa petite dernière de 20 ans "fait ses études à Londres".

Paradoxalement, le seul titulaire du RSA que l'on croise a voté Jean-Luc Mélenchon au premier tour. Frédéric*, accoudé au bar La Royale, s'est octroyé "deux ans de chômage pour [se] reposer" après avoir négocié son départ de l'imprimerie. Lui dit "ne pas comprendre" le vote de ses concitoyens et de ses fréquentations.

"À Lizy, il n'y a pas d'insécurité", explique-t-il. Malgré son incompréhension, il continue tout de même à fréquenter ses connaissances sympathisantes d'extrême droite.

Voter Marine Le Pen pour lutter contre les délocalisations d'usines

Le Parisien de la veille est posé sur le zinc. Certains ont cru y reconnaître Lucien*, un habitué des lieux, qui apparaît dans les lignes d'un article sur le vote FN en Seine-et-Marne. Tatouage "mort aux vaches" sur la main, le retraité, un rien grande gueule, ne fanfaronne pourtant pas.

Il a voté Marine Le Pen pour lutter contre les délocalisations d'usines mais aussi contre l'insécurité qu'il a connu durant toute sa vie de chauffeur routier, à sillonner les routes de France. Mais ce n'était pas la première fois qu'il donnait sa voix au Front. Par contre, pour le second tour, il ne sait pas vers qui reporter son vote. "À droite, certainement", mais "rien n'est fait".

Comme pour se protéger, un couple de retraités parle d' "amis" qui ont voté Marine Le Pen, mais qui "restent indécis pour le second tour".

"Nous sommes dans un pays qui retourne sa veste sans cesse"

Au Café du centre, un peu plus loin dans la ville, Nono, fait plus que ses 41 ans. Le visage marqué, lui n'a pas peur de se vanter de son choix. "J'ai voté Marine", annonce-t-il au milieu du bar tenu par un "Portugais", où il boit des bières "avec [ses] amis arabes". "C'est la preuve que je ne suis pas raciste", assène-t-il.

Il développe : "J'ai voulu exprimer un ras le bol. C'est une sanction, pour dire aux politiques de se bouger". Pour ce qui est du 6 mai, il attend "de voir le débat" pour se décider.

La discussion ne monte pas, mais Hamid et Abdel expriment leur "dégoût" des résultats du vote du 22 avril. "Nous sommes dans un pays qui retourne sa veste sans cesse", indique Hamed.

Pourtant, tous les habitants rencontrés précisent que le vote FN ne les a pas surpris. Si le vote de droite voire à l'extrême-droite est traditionnel, le vote décomplexé et fier dont se targue Marine Le Pen, ne semble pas encore avoir atteint Lizy-sur-Ourcq. Il reste encore silencieux. Comme ses rues.

*Les prénoms ont été modifiés.

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