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Les dossiers qui poussent Sarkozy à attaquer Schengen

Nicolas Sarkozy réclame la réforme de l'espace Schengen. Depuis les révolutions arabes et dans la perspective des adhésions roumaines et bulgares, le débat sur la libre circulation des personnes fait rage en Europe.

Article rédigé par Ilan Caro
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Un bateau transportant 200 migrants en provenance de Libye accoste sur l'île italienne de Lampedusa, le 9 avril 2011. (FILIPPO MONTEFORTE / AFP)

"Il n'est pas question que nous acceptions de subir les insuffisances de contrôle aux frontières extérieures de l'Europe." A Villepinte, dimanche 11 mars, Nicolas Sarkozy a proposé de renégocier les accords de Schengen, qui posent le principe de la libre-circulation en Europe, menaçant d'en suspendre unilatéralement sa participation. Retour sur les enjeux liés à cette législation européenne.

• Schengen, c'est quoi ?

Schengen, c'est d'abord le village luxembourgeois où ont été signés les accords du même nom en 1985, puis en 1990. Mais l'espace Schengen, c'est surtout ce qui permet à chaque Européen de voyager avec une simple carte d'identité à travers le Vieux Continent sans avoir à subir de contrôle douanier. 

Ces accords s'appliquent aujourd'hui à 26 pays : la plupart des membres de l'Union européenne (exceptés le Royaume-Uni, l'Irlande, la Roumanie, la Bulgarie et Chypre), ainsi que l'Islande, la Norvège, la Suisse et le Liechtenstein.

• Le cas de la frontière turco-grecque

A travers "les insuffisances de contrôle aux frontières extérieures", Nicolas Sarkozy vise, sans la nommer, la Grèce, dont la frontière avec la Turquie est très poreuse. Une fois arrivés sur le territoire européen, les migrants – surtout originaire du Moyen-Orient – peuvent facilement rejoindre les pays du Nord du continent puisqu'il n'y a pas de contrôle aux frontières intérieures.

Mais le problème est plus complexe. Car même dans le cas où ils sont arrêtés en Grèce, Ankara refuse régulièrement le retour des clandestins sur son territoire. Depuis des mois, les négociations entre l'UE et la Turquie butent sur un accord de réadmission. La Turquie exige notamment de Bruxelles une politique de visas plus souple pour ses ressortissants. Ce à quoi l'Europe se refuse.

• La France hausse le ton depuis l'affaire Lampedusa

Avril 2011 : des milliers de migrants tunisiens tentent de rejoindre l'Europe après la chute de Ben Ali. L'île italienne de Lampedusa, située entre la Tunisie et la Sicile, est rapidement submergée par cet afflux massif. Pris en charge dans des centres d'hébergement sur le continent, certains migrants s'en échappent et sautent dans des trains, direction la France. Mais, à la frontière, la police veille, et le périple s'arrête bien souvent à la ville-frontière de Vintimille, comme le racontait alors cet article de La Stampa traduit en français.

Alors, lorsque le chef du gouvernement italien, Silvio Berlusconi, annonce la délivrance de 20 000 titres de séjour temporaires, la France voit rouge. Paris décide de bloquer certains trains en provenance de Vintimille et le gouvernement menace
– déjà – de suspendre provisoirement et unilatéralement les accords de Schengen. Ce qui n'est possible qu'en cas de "menace sérieuse pour l'ordre public ou la sécurité intérieure", pour trente jours renouvelables. La situation tourne à la mini-crise diplomatique entre les deux pays.

• Une réforme de Schengen déjà à l'étude

Quelques jours après avoir étalé leurs divisions au grand jour, Nicolas Sarkozy et Silvio Berlusconi se remettent à parler d'une même voix lors d'une conférence de presse commune, le 26 avril, suivie d'une lettre adressée à Bruxelles. "Nous voulons que Schengen vive, et pour que Schengen vive, Schengen doit être réformé", dit le chef de l'Etat.

Les deux dirigeants demandent à l'UE d'"examiner la possibilité de rétablir temporairement le contrôle aux frontières intérieures (...) en cas de difficultés exceptionnelles dans la gestion des frontières extérieures communes, dans des conditions à définir", ainsi qu'un renforcement de l'agence européenne Frontex, chargée de la surveiller les frontières.

En septembre, la Commission européenne émet alors des propositions pour renforcer Schengen, mais pas dans la direction espérée par Paris et Rome. Bruxelles propose en effet que le rétablissement temporaire des contrôles aux frontières soit encadrée par l'Union. Dans ce cas, la décision serait prise sur "proposition de la Commission européenne, appuyée par une majorité qualifiée d'experts des Etats membres". Les Etats, dépossédés de cette prérogative, pourraient prendre des mesures unilatérales en cas d'"urgences imprévues", mais seulement pendant cinq jours.

La réponse des dirigeants européens ne se fait pas attendre : le ministre de l'Intérieur, Claude Guéant, et ses homologues allemands et espagnols se fendent d'un communiqué dans lequel ils considèrent que "le respect de la souveraineté nationale est primordial pour les Etats membres". Ils soutiennent que c'est à eux, et pas à la Commission, de "maintenir l’ordre public et d’assurer leur sécurité intérieure", comme le rapportait Euractiv.fr.

Depuis, les négociations avancent mollement. Jeudi, une réunion des ministres de l'Intérieur s'est tenue à Bruxelles. En l'absence remarquée de Claude Guéant, souligne Le Monde. On se dirigerait désormais vers la possibilité pour les Etats, en dernier recours, de rétablir pour six mois leurs contrôles aux frontières d'un autre Etat de l'espace Schengen qui ne parviendrait pas à faire face à un afflux massif d'immigrés.

• La Roumanie et la Bulgarie toujours refoulées

Derrière les crispations des Etats envers les règles de libre circulation figurent les futures adhésions de la Roumanie et de la Bulgarie. Les deux pays ont signé les accords, mais ils ne sont pas encore appliqués. Leur entrée effective dans l'espace Schengen est soumise à un vote à l'unanimité des Etats. Or, depuis de nombreux mois, plusieurs pays s'y opposent. Fin 2010, après s'être attaqué aux Roms en situation irrégulière sur son territoire, la France (soutenue par l'Allemagne) avait bloqué cette adhésion.

En septembre, ce sont les Pays-Bas qui ont opposé leur veto, jugeant les deux pays inaptes à combattre les filières d'immigration clandestines. En juin, le Parlement européen était pourtant parvenu à une conclusion inverse, prônant "une adhésion pleine et entière à Schengen" de Sofia et Bucarest. Le 1er mars 2012, les Etats européens, qui devaient à nouveau se prononcer sur la question, ont renvoyé leur décision à septembre. La Roumanie et la Bulgarie, frontalière de la Turquie, devront donc encore attendre, et faire de nouveaux efforts. La mise en garde de Nicolas Sarkozy les vise aussi.

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