Le premier ministre s'est "félicité" dimanche de "la polémique" après ses propos concernant la proposition d'Eva Joly
"On me dit qu'il y a une polémique en France sur les propos que j'ai tenus en réponse à qui proposait de supprimer le défilé militaire du 14 juillet. Je vais vous dire: je m'en félicite parce que je suis en colère", a affirmé François Fillon.
Cette déclaration a été qualifiée de "honte" par la socialiste Martine Aubry.
Le premier ministre s'exprimait dimanche devant la communauté française du Gabon réunie à la résidence de France pour fêter le 14 juillet après trois jours de retard.
La polémique avait commencé quand Eva Joly a proposé de supprimer le défilé militaire du 14 juillet. François Fillon lui avait alors reproché (vendredi) de ne pas avoir "une culture très ancienne des traditions françaises, des valeurs françaises, de l'histoire française". L'ancienne magistrate est d'origine norvégienne.
Du Gabon, dernière étape de sa tournée africaine, le chef du gouvernement a enfoncé le clou, mais cette fois sans faire référence implicitement à la binationalité franco-norvégienne de Mme Joly. "Je suis en colère quand j'entends comparer le défilé des Forces françaises le 14 juillet à ce qui se passe en Corée du nord. Cela témoigne pour le moins d'une grande mauvaise foi ou alors d'une profonde méconnaissance des traditions et de l'histoire de notre pays", a-t-il dit.
Le quotidien Le Monde épingle François Fillon dans son édition daté du mardi 19 juillet avec un édito intitulé "Petite leçon civique à l'intention de M. Fillon". "Il faut le dire clairement : cet angle d'attaque est odieux et flirte avec la xénophobie. la France n'a pas besoin de cela", écrit-il. Et de conclure : "s'il y a une tradition française à préserver, elle est tout autre : c'est celle d'un pays qui ne distingue pas parmi ceux qui ont choisi d'en faire partie".
Réactions à gauche
Le porte-parole du PS, Benoît Hamon, a demandé lundi que le chef de l'Etat "s'exprime" sur le sujet de la binationalité. "On n'a pas entendu le président de la République. On sait bien qu'il cultive le silence, mais sur deux ou trois sujets, ça serait bien qu'il se rappelle à sa responsabilité", a-t-il estimé. Selon lui, François Fillon a "décidé de céder à un discours qui est d'une rare agressivité à l'égard de tous nos compatriotes qui ont la particularité d'avoir acquis la nationalité française par naturalisation ou d'être des binationaux". "Outre la volonté de remettre en cause l'intégrité de la nationalité française d'Eva Joly, il y a surtout la cible. On la connaît : ce sont nos compatriotes qui sont des binationaux, particulièrement d'origine maghrébine ou d'Afrique noire", a-t-il ajouté.
"On ne peut pas se féliciter d'une polémique. Le premier ministre qui sait qu'il a fait une bourde ferait mieux d'en convenir et de passer à autre chose", lui a répondu, toujours dimanche, François Hollande, candidat à la primaire PS. Le matin même, Martine Aubry, autre candidate à la primaire PS, avait encore haussé le ton contre François Fillon. "Si j'étais présidente de la République, j'aurais un premier ministre qui traite comme ça un de mes citoyens, eh bien je lui demanderais de partir", a-t-elle dit. Avec cette phrase, le président du groupe UMP au Conseil de Paris, Jean-François Lamour, a jugé qu'elle "se discrédit(ait) comme candidate à la présidentielle".
Pour l'eurodéputé écologiste Daniel Cohn-Bendit, "les seuls pays où l'on ne voit parader que des militaires et des missiles, c'est qui ? La Chine, la Russie, la Corée du Nord ! Ce n'est quand même pas très glorieux". "L'armée française ne défile pas sur les Champs-Elysées pour étaler la puissance militaire de notre pays", mais "afin que la nation puisse rendre hommage à ceux qui risquent leur vie pour la défendre", a rétorqué François Fillon.
Réactions à droite et à l'extrême droite
Face à la bronca de l'opposition, le premier ministre a reçu le soutien des siens. Le patron de l'UMP, Jean-François Copé, a fait part de "son étonnement et de son indignation".
La porte-parole du gouvernement, Valérie Pécresse, a évoqué "une tentative acrobatique de la gauche pour se ressouder".
Le ministre de l'Enseignement supérieur, Laurent Wauquiez, a dénoncé "l'écran de fumée" de la gauche "pour tenter de faire oublier (la) proposition scandaleuse qui discrédite leur principale alliée". "Ce qu'a dit François Fillon, c'est que, contrairement à d'autres pays européens comme la Norvège (...), le défilé du 14 juillet est au coeur de notre tradition républicaine", a-t-il ajouté.
Seule note dissonante à l'UMP: celle de l'eurodéputée et ex-ministre de la Justice Rachida Dati: "Si effectivement on reproche à Eva Joly d'être d'origine étrangère ou de nationalité étrangère ce n'est pas le sujet, ce n'est pas le débat et je trouve que ce n'est pas la hauteur de vue nécessaire. En tout les cas, ce n'est pas un bon argument pour pouvoir contrer cette proposition choquante".
La présidente du Front national, Marine Le Pen, a ironisé sur le "défilé citoyen" de Mme Joly, demandant: "Il y aura des stands pour fumer le chichon (haschisch) aussi ?"
La contre-attaque d'Eva Joly
De son côté, la candidate écologiste est revenue sur la polémique dans une interview au site du Point. "Prétendre défendre la République en agitant le démon des origines est une hypocrisie dangereuse", explique-t-elle.
"Je ne descends pas de mon drakkar ! Ca fait 50 ans que je vis en France et donc je suis Française", déclare la représentante d'Europe-Ecologie-Les Verts. La Franco-Norvégienne estime avoir, vu son âge (67 ans), "vécu en France sûrement plus longtemps que" certains de ceux qui lui font des reproches. "Je ne suis pas moins française que ceux qui me refusent le droit de m'exprimer", explique-t-elle.
"De tels excès n'étonnent guère quand ils proviennent des habituels matamores de l'identité nationale", poursuit Eva Joly sur le site de l'hebdomadaire. "Dans la bouche d'un
premier ministre, ils témoignent de la dégradation des termes du débat public et de la gangrène identitaire qui attaque le corps républicain", dit-elle. "Je ne permets pas que l'on mette en doute mon patriotisme" et "je ne suis pas antimilitariste", souligne la candidate écologiste.
Pour elle, "le débat ne fait que commencer parce qu'il ne se limite pas au symbole du 14 juillet", explique-t-elle. "Je veux que la République retrouve l'esprit de ses origines, car je suis préoccupée par le recul de l'idée républicaine dans notre pays", ajoute-t-elle, estimant ne "pas être isolée" sur cette question. "Ce sera l'un des enjeux de la campagne qui s'ouvre", prévient-elle.
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