Le gouvernement a-t-il fait voter une loi qui réduit le temps de parole des députés ?
L'Assemblée a bien adopté ce point très controversé de la réforme de son règlement intérieur. Le patron des députés, Richard Ferrand, veut éviter "les longs tunnels" de discussions, alors que l'agenda parlementaire est de plus en plus chargé. Les oppositions craignent, elles, d'être "muselées".
Le gouvernement a-t-il fait voter une loi réduisant le temps de parole des députés lors des séances à l'Assemblée nationale ? Un internaute a posé la question dans le live de franceinfo. Les députés ont en effet adopté, dans la nuit du 28 au 29 mai, un article très controversé de la réforme du Règlement de la chambre basse du Parlement, définitivement votée mardi 4 juin. Et ce texte réduit bel et bien le temps de parole des groupes. Explications.
Que prévoit cette réforme ?
Le président LREM de l'Assemblée nationale, Richard Ferrand, a décidé de modifier le règlement intérieur du Palais-Bourbon, sans attendre la nouvelle réforme constitutionnelle qui doit être présentée en juillet et devrait contenir un volet sur la fabrique de la loi. Fin mai, le patron de l'Assemblée a ainsi présenté aux députés sa proposition de résolution. Du point de vue du droit constitutionnel, ce n'est donc pas une loi. Et encore moins une proposition de loi, texte à l'initiative d'un parlementaire, ou un projet de loi, texte présenté par le gouvernement.
L'une des mesures les plus polémiques de cette réforme est la révision du temps de parole, lors de la discussion générale sur un texte de loi, avant l'examen des articles et des amendements déposés. Ce temps de parole est fixé par la conférence des présidents : le président de l'Assemblée et ceux de groupes notamment.
Aujourd'hui, il est réparti en fonction de l'importance des groupes parlementaires, qui désignent ensuite leurs orateurs. Il est ainsi de 15 minutes pour LREM, 10 minutes pour les autres groupes et cinq minutes pour les non-inscrits. Avec la résolution, il passerait à cinq minutes et à un orateur par groupe – et pour l'ensemble des députés non-inscrits. Le rapporteur du texte souligne toutefois que la conférence des présidents pourra augmenter les temps de parole sur des sujets complexes comme la bioéthique.
Outre ces débats moins longs, la modification du règlement intérieur de l'Assemblée porte également sur des horaires de séances resserrés, des questions d'actualité au gouvernement modifiées ou des amendements moins foisonnants... La réforme doit entrer en vigueur en septembre.
Quels sont les arguments de la majorité ?
Heures de séance, nombre d'amendements déposés... L'Assemblée fait face à une surcharge d'activité depuis le début de la législature en 2017. Elle poursuit ainsi la tendance à l'inflation législative amorcée depuis des années. Pour Richard Ferrand, sa réforme vise à rendre les débats dans l'hémicycle plus "fluides et efficaces", en évitant "les longs tunnels" de discussions parfois répétitives.
Le rapporteur MoDem de la proposition de résolution, Sylvain Waserman, a vanté une réforme au "juste équilibre". Pour la présidente LREM de la commission des Lois, Yaël Braun-Pivet, la fabrique de la loi, "entravée par des expressions trop répétitives" et trop d'amendements, peut y "gagner en efficacité".
Pour modifier ce réglement – déjà revu "plus de 30" fois depuis 1958 –, Richard Ferrand s'est notamment appuyé sur les groupes de travail transpartisans qui ont planché sur la "modernisation" de l'Assemblée. Il a aussi réuni à plusieurs reprises depuis six mois les présidents des huit groupes politiques, mais sans obtenir leur cosignature.
Que lui reprochent les oppositions ?
Les députés des oppositions, de droite comme de gauche, ont fait front commun contre cette réforme, lundi 27 et mardi 28 mai, en séance. Ils ont accusé la majorité de vouloir "museler les oppositions", "brider des débats parlementaires", "nier la diversité et la complexité de la pensée" ou encore porter atteinte à "la respiration démocratique".
"Le principe du débat parlementaire, c'est le contradictoire. Vous avez acquis le pouvoir de gouverner, pas celui de nous empêcher de nous opposer", a dénoncé Laurence Dumont (PS). "Le Parlement, c'est la parole. Ce projet vise à la contenir", a affirmé son collègue socialiste, David Habib. Selon lui, la majorité qui a "douloureusement vécu l'affaire Benalla", qui avait entraîné une situation inédite de blocage à l'été 2018, souhaite "se prémunir à l'approche de la prochaine révision constitutionnelle". Le groupe PS a refusé la "démarche d'autorité" menée par la majorité, plaidant qu'elle a "gagné dans les urnes le droit de gouverner, pas celui de nous faire taire".
"Vous n'allez gagner que 40 minutes sur l'examen d'un texte qui dure plusieurs jours", a souligné Jean-Christophe Lagarde (UDI) évoquant des conséquences graves pour la démocratie et un bénéfice organisationnel quasi nul. "En cinq minutes, quelle idée peut-on développer sur la fonction publique ou la réforme des retraites ?", s'est élevée Mathilde Panot (LFI). Aux yeux de l'"Insoumis" Alexis Corbière, les droits de l'opposition seraient en "diminution" avec le texte.
Pour Philippe Gosselin (LR), le projet contient des possibilités de "museler l'opposition" ou de limiter son temps de parole au point qu'elle devienne "inaudible". "Un orateur par groupe... mais nous ne sommes pas des blocs monolitiques", a dénoncé son confrère républicain Patrick Hetzel. "On va donner le même temps de parole à un groupe de 115 députés et à un autre de six membres", s'est étonné son collègue Marc Le Fur, pour qui cette réforme vise également à "caporaliser la majorité" avec un seul orateur, pour "éviter les frondes".
L'opposition espère une censure du Conseil constitutionnel. Le texte "ne tiendra pas", selon Sébastien Jumel (PCF), car les Sages veillent à ce que le règlement "ne soit pas uniquement fait pour la majorité".
Dans quelles conditions s'est déroulé le vote ?
Après plus de trois heures de débats acharnés, d'éclats de voix, d'amendements de suppression, de rappels au règlement, de suspensions de séance et de tractations en marge de l'hémicycle, l'article a été adopté par les seuls députés de la majorité dans une ambiance tendue.
L'opposition avait réclamé le report du vote pour donner une chance à un texte de compromis après une discussion jugée prometteuse avec le rapporteur du texte. Mais le président de l'Assemblée a refusé de suspendre les débats. Et les groupes d'opposition ont quitté ensemble l'hémicycle en signe de protestation, sans défendre les nombreux amendements qui restaient à examiner. "Le temps de parole dans l'hémicycle est un sujet sensible", a constaté le rapporteur, après avoir essuyé la charge de toutes les oppositions contre le texte.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.