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Infographies Municipales 2020 : tous les partis revendiquent la victoire, mais qui a vraiment gagné les élections ?

Les résultats du second tour à peine tombés, les responsables politiques s'empressaient de se féliciter de leurs scores. Mais derrière des succès symboliques dans certaines villes se cache en réalité une grande stabilité entre le scrutin de 2020 et celui de 2014.

Article rédigé par Ilan Caro, Brice Le Borgne
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
De g. à dr. sur notre montage photo, les maires Jeanne Barseghian (Strasbourg), Jean-Luc Moudenc (Toulouse), Anne Hidago (Paris), Edouard Philippe (Le Havre) et Louis Aliot (Perpignan). (PATRICK HERTZOG / AFP-XAVIER DE FENOYL / PHOTOPQR/LA DEPECHE DU MIDI/MAXPPP-JOEL SAGET / AFP-FRANCK CASTEL / MAXPPP-RAYMOND ROIG / AFP)

Des écolos aux anges, portés par une "vague verte", le PS et LR ravis d'avoir maintenu leurs positions respectives, un RN qui s'empare pour la première fois d'une ville de plus de 100 000 habitants et un parti présidentiel qui assure avoir rempli ses objectifs… A entendre les réactions de leurs leaders depuis le verdict du second tour des élections municipales, dimanche 28 juin, toutes les formations politiques trouvent des raisons de crier victoire. Chacune voyant dans les résultats du scrutin une validation de sa stratégie en vue de la présidentielle de 2022.

Mais qu'en est-il vraiment ? La configuration politique inédite née de l'élection d'Emmanuel Macron en 2017 rend l'analyse bien plus complexe que lors des précédents scrutins municipaux. "Auparavant, il y avait un bloc gouvernemental et un bloc d'opposition, avec généralement un bloc gouvernemental qui enregistrait une sévère défaite aux municipales", rappelle Emeric Bréhier, directeur de l'Observatoire de la vie politique de la Fondation Jean-Jaurès (et ancien député PS)

Les cris de victoire entendus d'un bout à l'autre de l'échiquier politique sont "un mélange de mauvaise foi et de vérité", estime le politologue Martial Foucault, directeur du Cevipof de Sciences Po Paris. "Le constat peut varier selon que l'on regarde les résultats en nombre de villes gagnées, en nombre de voix ou en nombre de conseillers municipaux. Certains partis peuvent aussi interpréter comme une victoire une défaite moindre qu'annoncé."

Une vague verte à relativiser

Les candidats écologistes ont frappé un grand coup dimanche soir en remportant 7 des 42 villes françaises de plus de 100 000 habitants, et non des moindres : Lyon, Strasbourg, Bordeaux, Tours, Annecy et Besançon, en plus de Grenoble, déjà conquise en 2014 et conservée.

Pour Martial Foucault, il s'agit d'un "tour de force historique", d'autant que le scrutin municipal et son mode de scrutin majoritaire à deux tours avantage généralement les grandes formations politiques. Pour la première fois, EELV a "réussi à enjamber cette barrière institutionnelle", note-t-il. De bon augure à l'approche des élections régionales et départementales en 2021.

Mais cette prétendue "vague verte" est à prendre avec "beaucoup de pincettes", estime Emeric Bréhier : "Hormis à Lyon et à Strasbourg, leurs conquêtes sont le fruit d'unions à gauche dès le premier tour. Et ils n'ont pas réussi à inverser le rapport de force avec le PS dans des villes comme Nantes, Rennes ou Rouen, qu'ils estimaient gagnables."

Surtout, la poussée écologiste est restée cantonnée aux centres-villes . "Leur succès est bien moindre dans les périphéries", souligne Emeric Bréhier. Si les Verts ont gagné sept grandes villes, ils n'en dirigeront pas forcément les agglomérations. Or, c'est souvent à cet échelon intercommunal que se prennent les décisions en termes de transports ou d'urbanisme, thématiques incontournables dans les programmes écolos.

Quant aux villes moyennes et aux plus petites communes, le bilan est encore moins flatteur. Sur les 3 168 villes en France qui comptent plus de 3 500 habitants, EELV n'en a remporté qu'une trentaine, soit moins de 1%. Au niveau national, le succès vert tient donc davantage de la vaguelette que du raz-de-marée.

Malgré la victoire à Perpignan, le recul du RN 

La stratégie du parti d'extrême droite était claire : présenter moins de candidats qu'en 2014 pour se concentrer sur des villes prenables. Mais à l'issue du scrutin, le pari est plutôt raté pour le Rassemblement national. Vainqueur à Perpignan (120 000 habitants) et dans la plupart des villes conquises en 2014 (Fréjus, Beaucaire, Hénin-Beaumont, Hayange, etc.), le RN a aussi perdu Mantes-la-Ville (Yvelines), Le Luc (Var), ainsi que le stratégique 7e secteur de Marseille. Les quelques nouvelles prises comme Bruay-la-Buissière (Pas-de-Calais) et Moissac (Tarn-et-Garonne) ne compensent pas forcément les échecs enregistrés à Carpentras (Vaucluse), Vauvert (Gard) ou Sète (Hérault).

Derrière la victoire très symbolique de Louis Aliot à Perpignan, le parti de Marine Le Pen subit "une défaite en termes d'ancrage territorial", selon Martial Foucault. D'après les calculs de franceinfo, le RN enregistre en six ans un net recul en nombre d'élus. En 2014, il avait remporté 1 438 sièges dans les conseils municipaux de 463 communes. En 2020, il n'en compte plus que 827 dans 271 villes.

L'évolution du nombre de conseillers municipaux du Rassemblement national entre 2014 et 2020. (FRANCEINFO)

La déroute de LREM 

Les élections municipales pouvaient être l'occasion, pour le parti de la majorité, d'obtenir des résultats au diapason de ses scores aux derniers scrutins nationaux. Mais LREM a subi une déroute, ne gagnant aucune grande ville alors que son électorat potentiel se situait précisément dans ces métropoles. La faute, selon Martial Foucault, à un casting organisé depuis Paris, sans connexion avec le tissu associatif local, à de nombreuses candidatures dissidentes et à des stratégies d'entre-deux-tours illisibles.

A l'automne 2019, LREM s'était fixé un objectif de 10 000 élus municipaux. Il n'est même pas certain que cette modeste jauge (la France compte quelque 500 000 conseillers municipaux) soit atteinte. Deux jours avant le second tour, Stanislas Guerini, délégué général du parti, affirmait à Ouest-France être en mesure d'atteindre le chiffre de 10 000 élus. "Nous avons eu plus de 6 000 adhérents élus dès le premier tour (...). Je suis convaincu que nous atteindrons les 10 000 élus à l’issue du second tour et que nous aurons plusieurs centaines de maires LREM sur l’ensemble du territoire", répondait-il. 

Pour vérifier ces propos, il faudrait avoir accès au fichier des adhérents LREM, ce qui n'est pas possible. En revanche, lorsque l'on se penche sur les résultats des élections municipales, en utilisant la nuance politique "LREM" attribuée par le ministère, on est (très) loin du compte. Seules 9 villes ont été remportées par des candidats formellement identifiés comme ceux de LREM. Et du côté des élus municipaux, on en compte seulement... 693. Néanmoins, bon nombre d'élus soutenus ou investis par La République en marche l'ont été sous une autre étiquette centriste. Difficile, donc, de faire les comptes.

La gauche et la droite maintiennent leurs positions

Après leurs échecs cuisants à la présidentielle, aux législatives et aux européennes, Les Républicains comptaient sur ces élections municipales pour retrouver le sourire. "On renoue avec la victoire", s'est exclamé le patron du parti, Christian Jacob, revendiquant l'avoir emporté dans "plus de la moitié des villes de plus de 9 000 habitants". Au PS, le Premier secrétaire, Olivier Faure, a lui salué un "immense élan social-écologique".

En réalité, l'analyse des résultats montre une très grande stabilité. La proportion de maires sortants réélus (83% selon les calculs du Figaro), "est encore plus importante que d'habitude", note Emeric Bréhier. "Les alternances reçoivent davantage d'attention médiatique, surtout dans les métropoles, mais concernent une minorité de villes", confirme Martial Foucault.

Comme le montre ce graphique, la droite et la gauche maintiennent globalement leurs positions, avec peu de bascules dans un sens ou dans l'autre par rapport au scrutin de 2014, lors duquel la droite avait enregistré une victoire probante sur la gauche. Parmi les 3 168 communes de plus de 3 500 habitants concernées par le nuançage politique, seules 83 passent de gauche à droite, comme ce fut le cas à Metz. Et 115 passent de droite à gauche, comme Villejuif ou Quimper.

A noter toutefois, en 2020, une plus grande proportion de listes gagnantes sous l'étiquette "divers gauche" ou "divers droite", "un signe de l'affaissement des structures partisanes", selon Emeric Bréhier. Au final, la droite reste la principale force municipale, surtout dans les villes moyennes. La gauche, elle, conserve ses bastions et progresse dans les grandes villes.


Est-ce pour autant le signe d'un retour à "l'ancien monde" laissant présager la fin de la recomposition politique née de l'élection d'Emmanuel Macron en 2017 ? "Il ne faut surtout pas tirer de conclusions nationales. Les résultats des élections municipales sont un très mauvais critère pour prédire le vainqueur de l'élection présidentielle suivante", met en garde Martial Foucault.

"On est en train d'assister (peut-être provisoirement) à la fin du parallélisme entre la vie politique nationale et les vies politiques locales. Il y a une décorrélation de plus en plus forte", estime Emeric Bréhier. Un sondage Ifop paru le 22 juin sur l'élection présidentielle de 2022 place d'ailleurs Emmanuel Macron et Marine Le Pen loin devant les autres prétendants éventuels. "Les trois partis qui ont perdu ces municipales (LREM, le RN et La France insoumise) totalisent 65% à 67% des intentions de vote au premier tour de la présidentielle !" insiste Emeric Bréhier.

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