La levée de l'immunité de Marine Le Pen est-elle "un cas à part" ?
Le Parlement européen a levé l'immunité parlementaire de Marine Le Pen, dans le cadre d'une enquête pour "incitation à la haine raciale" menée par le parquet de Lyon. Un cas isolé ? Pas vraiment.
Elle avait comparé les prières de rue musulmanes à l'occupation nazie. Le Parlement européen a décidé de lever l'immunité de l'eurodéputée Marine Le Pen, mardi 2 juillet. Un feu vert indispensable au parquet de Lyon (Rhône), pour convoquer la présidente du Front national, dans le cadre d'une enquête sur ces propos.
Cette procédure, qui ne préjuge en rien la culpabilité des personnes concernées, n'a rien d'exceptionnelle. Pour autant, Marine Le Pen a regretté une rupture de "jurisprudence" et dénoncé une décision politique, soulignant son statut de "dissidente". Francetv info a cherché à savoir si la présidente du FN est vraiment un"un cas à part".
Une rupture de jurisprudence ?
Ce que Marine Le Pen dit. "Le Parlement a toujours considéré qu'on ne pouvait pas poursuivre un député en fonction des propos qu'il tenait, pour lui préserver sa liberté de parole et éviter que soient effectuées sur lui des pressions, qui nuisent justement à cette liberté de parole. Je remarque que cette jurisprudence, qui est constante, vient d'être rompue pour moi", a regretté la présidente du FN sur BFMTV.
Comment le Parlement se justifie. La commission qui a rendu un avis favorable à la levée de l'immunité de Marine Le Pen s'appuie sur la Cour de justice. Cette dernière précise qu'un parlementaire est protégé par son immunité, quand il exprime une opinion, seulement "dans l'exercice des fonctions parlementaires" ou lorsqu'il prononce une "déclaration [qui] correspond à une appréciation subjective [et] qui présente un lien direct et évident avec l'exercice de telles fonctions". La commission évoque donc "l'exigence d'un lien entre l'opinion exprimée et les fonctions parlementaires".
Dans le cas des déclarations de Marine Le Pen sur les prières de rue, la commission estime que ce "lien direct et évident" avec ses fonctions d'eurodéputée n'existe pas. "L'affaire n'entre pas dans le champ des activités politiques de Marine Le Pen en sa qualité de députée au Parlement européen, mais relève d'activités d'un caractère purement national ou régional, étant donné que le discours au cours duquel certaines phrases ont été énoncées, a été prononcé à Lyon, devant des électeurs, lors de la campagne que Mme Le Pen a conduite en vue de la désignation du président du Front national", ajoute la commission.
Est-ce une "rupture" de jurisprudence ? Clairement non, il n'existe pas de jurisprudence protégeant la liberté de parole des députés européens. On peut notamment citer le cas de Bruno Gollnisch, également eurodéputé du FN. Il a déjà été privé de son immunité à deux reprises. En décembre 2005, après des interrogations sur les chambres à gaz et le nombre de morts, et en mai 2011, pour "infraction présumée d'incitation à la haine raciale", après un communiqué anti-islam sur le site internet de son groupe politique.
Jean-Marie Le Pen, l'ancien président du FN et père de Marine, a quant à lui été privé de son immunité parlementaire européenne à trois reprises. A chaque fois, Jean-Marie Le Pen était poursuivi à la suite de déclarations ou d'opinions exprimées (en décembre 1989, après avoir ironisé aux dépens du ministre du Travail Michel Durafour, le qualifiant de "Durafour-crématoire" ; en mars 1990, après des déclarations sur "l'internationale juive" ; en octobre 1998, pour avoir assimilé les chambres à gaz nazies à "un détail de l'histoire de la Seconde Guerre mondiale").
Une différence de traitement ?
Ce que Marine Le Pen dit. "Je suis un cas à part. Je ne peux pas être protégée, parce que je suis un adversaire politique et peut-être plus dangereuse que les autres, compte tenu de mes résultats dans les sondages ou dans les partielles", a déclaré la présidente du FN, dénonçant un "délit d'opinion".
Quelle réalité ? Peu de décisions ont été motivées par des accusations de racisme ou d'incitation à la haine. En plus des cas cités précédemment, on peut aussi rappeler qu'en juillet 2008, lors de la 6e législature, le Parlement a décidé de lever l'immunité parlementaire de l'eurodéputé belge (non inscrit) Frank Vanhecke, en tant qu'éditeur de propos racistes dans le journal de son parti, le Vlaams Belang. L'article incriminé accusait – à tort – des jeunes d'origine étrangère, d'avoir profané des tombes, "n’ayant aucun respect pour les morts et pour les symboles d'une foi différente".
Accusés de diffamation dans leurs pays, plusieurs eurodéputés (issus de différents groupes politiques) ont aussi été privés d'immunité. Ainsi, l'immunité d'Ágnes Hankiss, eurodéputée du Parti populaire européen accusée de diffamation, a été levée le 7 juin 2010, car le Parlement a considéré que "l'affaire ne concern[ait] pas ses activités politiques en tant que députée". En effet, les faits reprochés dataient de 2004, soit avant son élection au Parlement européen en 2009. Toutefois, d'autres élus ont conservé leur immunité, à l'image du député polonais Marek Siwiec (groupe socialistes et démocrates). Accusé "d'outrage à la croyance religieuse d'un citoyen", la commission a jugé que la procédure était un fumus persecutionis. En clair, que l'accusation n'avait d'autre but que de nuire à sa carrière.
Au total, le Parlement européen s'est déjà penché sur 25 cas (pour 23 eurodéputés), sous la 7e législature. Des levées d'immunités ont été votées concernant des représentants de six des sept groupes politiques, ainsi que des eurodéputés non-inscrits, comme le montre notre tableau ci-dessous. Trois élus du Parti populaire européen ont pu conserver leur immunité, de même qu'un député du groupe Socialistes et démocrates.
Quid du "délit d'opinion" ? Sur ce point, les avis sont partagés. Comme le montrent nos exemples précédents, le Parlement européen traite au cas par cas, libre à chaque élu d'interpréter le droit. Ainsi, Daniel Cohn-Bendit eurodéputé Europe Ecologie-Les Verts a voté contre la levée de l’immunité de Marine Le Pen, estimant qu’une telle levée devait s’appliquer à des "actes, pas pour des paroles".
"Toutes les bêtises, les insanités que Marine Le Pen dit, font partie de la liberté d'expression", explique à francetv info Daniel Cohn-Bendit défendant une "position de principe". "Lorsqu'il s'agit de paroles et non d'actes, je suis prudent. Car si on n'aime pas quelqu'un, on lève l'immunité, on l'aime, on ne la lève pas, c'est le risque en s'occupant de déclarations et d'opinions", ajoute l'élu EELV qui précise que sa position est "ultra-minoritaire" au sein du Parlement.
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