Accusations contre Sophia Chikirou : les langues commencent à se délier au sein de La France insoumise
La France insoumise traverse une nouvelle crise. La députée LFI Sophia Chikirou est dans la tourmente, accusée par plusieurs enquêtes journalistiques d'employer des méthodes brutales avec ses collaborateurs et au sein de son groupe politique. Cette très proche collaboratrice de Jean-Luc Mélenchon doit également être convoquée prochainement, selon Le Monde, en vue d'une possible mise en examen pour "escroquerie aggravée", pour des soupçons de surfacturations de prestations à LFI lors de la campagne présidentielle de 2017. Des accusations que conteste la députée de Paris.
>> "Complément d'enquête" : Sophia Chikirou, la dame de piques de Jean-Luc Mélenchon
Dans l'émission "Complément d'enquête", diffusée jeudi 5 octobre sur France 2, les témoignages se multiplient pour décrire les comportements abusifs de cette communicante qui souffle à l'oreille de Jean-Luc Mélenchon depuis quinze ans. Un journaliste ayant fréquenté la responsable insoumise lorsqu'elle dirigeait Le Média témoigne anonymement d'"un certain nombre de choses inqualifiables", de gens qui partent en pleurant, de malaises, de cris dans le bureau de Sophia Chikirou. Il y a par exemple cette réaction à une demande des journalistes, qui souhaitent que Le Média fasse son "mea culpa" dans un communiqué après la diffusion d'une fausse information : "Ils le font, le signent et se le mettent dans le cul profond, cette bande de tafioles de merde."
Des demandes "d'explications"
Depuis la parution de ces révélations, quelques voix s'élèvent au sein de LFI pour demander des comptes. La députée LFI Pascale Martin a réclamé des "explications" à sa collègue Sophia Chikirou sur ses "pratiques" au sein du mouvement, après l'enquête publiée mardi par Le Monde. Le quotidien révèle des échanges de la députée insoumise sur la boucle Telegram du groupe LFI. Elle y qualifierait certains collègues de "langues de pute". A un insoumis qui l'alerte contre les "chasses aux ennemis de l'intérieur", elle aurait répondu : "Tu as raison. (…) Je préfère attendre sur le bord de la rivière de voir passer leurs corps."
Pascale Martin a été rejointe jeudi par la députée LFI Danielle Simonnet. "Je ne suis pas naïve, je sais que depuis les perquisitions [au siège de La France insoumise en 2018] il y a aussi une volonté d'attaque de la FI et de toutes celles et ceux qui l'incarnent. Néanmoins, des explications de Sophia et du mouvement doivent être données à l'ensemble des militants passés et présents qui sont impliqués dans ces campagnes et dans le mouvement", a déclaré la députée parisienne jeudi à l'AFP. Lors d'une réunion du groupe LFI à l'Assemblée, son collègue Alexis Corbière est allé dans le même sens.
"On a des principes. C'est la lutte contre le harcèlement moral, tous les collaborateurs et anciens collaborateurs de quelque député que ce soit doivent savoir que notre groupe doit être à leurs côtés et notre mouvement aussi."
Danielle Simmonetà l'AFP
Certains sympathisants sont également sortis du silence, comme le psychanalyste Gérard Miller, qui a répondu aux questions de "Complément d'enquête". "Pour l'électeur et le compagnon de route de La France insoumise que je suis depuis une douzaine d'années, les dérives personnelles de Sophia Chikirou ne sont pas une invention du grand capital et de ses alliés, et les nier au nom d'une cause supérieure me semble désormais nuire à l'ensemble des insoumis", a-t-il écrit sur le réseau social X.
"La loyauté comme la valeur cardinale"
Joints par franceinfo, plusieurs députés insoumis choisissent de leur côté de botter en touche. "Je crains de ne pas avoir grand-chose à vous dire, d'autant que je n'ai pas regardé 'Complément d'enquête'", évacue un parlementaire. Une omerta qui s'expliquerait notamment par la proximité entre Sophia Chikirou et l'ancien candidat à la présidentielle, Jean-Luc Mélenchon. "Dans notre groupe politique, il y a une déférence vis-à-vis d'elle, parce que Jean-Luc a déjà éliminé des gens qui n'ont pas été gentils avec elle. Dans notre orga, tout le monde sait que ça provoque l'exclusion", explique un insoumis dans "Complément d'enquête". L'émission de France 2 constate d'ailleurs que les rares poids lourds du mouvement à avoir accepté de participer à l'enquête ont choisi de parler sous couvert d'anonymat.
De fait, plusieurs épisodes ont contribué à créer un malaise au sein du groupe insoumis. Lors du retour à l'Assemblée nationale d'Adrien Quatennens, suspendu de son groupe pendant quatre mois après sa condamnation pour violences conjuguales, Sophia Chikirou donne le ton au sein de son groupe, en se levant pour l'applaudir. "Ce qui était douloureux pour moi, c'était de voir des membres de notre groupe, pas des moindres, entourer Adrien et l'applaudir, alors qu'il me semblait que ce n'était pas ce que nous avions collectivement décidé", déclare alors la députée LFI Clémentine Autain sur le plateau de "Quotidien". "Le cas de l'affaire Quatennens dit beaucoup de Sophia Chikirou, il dit que la loyauté est la valeur cardinale dans les équipes de Jean-Luc Mélenchon", confie à "Complément d'enquête" Georges Kuzmanovic, un ancien de La France insoumise.
"La loyauté prime sur la ligne idéologique."
Georges Kuzmanovic, ancien conseiller de Jean-Luc Mélenchonà "Complément d'enquête"
Les réactions de plusieurs cadres LFI aux dernières révélations viennent confirmer cette thèse. Le député Bastien Lachaud a ainsi préféré s'en prendre, sur le réseau social X, au travail des journalistes de "Complément d'enquête" : "Creux dans son contenu, éculé dans ses ressorts (...) vieilles accusations mille fois démontées, témoins à charge colportant des ragots, méthodes de caniveau..." De son côté, le coordinateur du mouvement Manuel Bompard a tenu à relativiser les propos tenus par Sophia Chikirou dans les boucles internes de LFI. "Des termes un peu durs, dits dans un cadre privé, assure-t-il. Ses mots ont dû dépasser sa pensée. Ça n'aura absolument pas de conséquences politiques."
"Il n'y a pas de surprise, tout le monde sait que Sophia peut ne pas être sympa, comme n'importe quel camarade", a cherché à dédramatiser dans Libération le député LFI Hadrien Clouet. Ce dernier est également revenu sur la référence au collaborationniste Jacques Doriot utilisée par Sophia Chikirou à l'encontre du communiste Fabien Roussel : "C'est un loupé, pas le fruit d'une stratégie. Mais quoi qu'il arrive, on fait bloc. Vous savez que c'est une caractéristique de la mélenchonie. Même quand on a tort." Un bloc qui semble se fissurer légèrement à la lumière des dernières révélations.
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