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Jean-Michel Blanquer, le chouchou de la macronie devenu bonnet d'âne du gouvernement

L'annonce tardive, depuis Ibiza, du protocole sanitaire mis en place dans les écoles lors de la rentrée après les vacances de fin d'année a affaibli le ministre de l'Education nationale au sein de l'exécutif. 

Article rédigé par Antoine Comte, Thibaud Le Meneec
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9 min
Jean-Michel Blanquer, le ministre de l'Education nationale, à Paris, le 15 octobre 2021.  (CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP)

Il avait commencé le quinquennat dans les bonnes grâces du macronisme triomphant, le voici en pleine tourmente à quelques semaines de la fin du mandat du chef de l'Etat. Critiqué de toutes parts en raison des atermoiements autour de sa gestion de la crise du Covid-19 à l'école, Jean-Michel Blanquer, le ministre de l'Education nationale, s'est retrouvé au cœur d'une nouvelle polémique, lundi 17 janvier, Mediapart révélant que le ministre avait passé une partie des vacances de fin d'année à Ibiza, jusqu'à la veille de la rentrée scolaire du 3 janvier.

C'est donc depuis la célèbre île des Baléares que le ministre a accordé un entretien au Parisien pour dévoiler les contours du nouveau protocole sanitaire, très attendu par les parents et les professeurs (mais modifié quelques jours plus tard). De quoi attiser les appels à la démission formulés par ses détracteurs, déjà revigorés par la grève menée par sept syndicats de l'enseignement primaire et secondaire, jeudi 13 janvier. Une deuxième journée de grève est d'ailleurs organisée ce jeudi 20 janvier, à 80 jours du premier tour de l'élection présidentielle, alors que "l'affaire Blanquer" secoue le gouvernement et sa majorité.

Le bon élève du gouvernement

Pour le ministre de l'Education nationale, les derniers mois rue de Grenelle ne ressemblent en rien à ses premiers pas dans ce ministère sensible, il y a cinq ans. A l'époque, le directeur général de l'Essec, école de commerce renommée située à Cergy-Pontoise (Val-d'Oise), n'est pas un parfait inconnu dans le monde politique : ce père de quatre enfants fut, sous la présidence de Nicolas Sarkozy, le directeur général de l'enseignement scolaire, l'équivalent du numéro 2 du ministère de l'Education nationale. "Les 80 000 postes supprimés, c'était lui. Ce n'est pas rien de le voir arriver à ce poste", s'agace alors sa prédécesseure socialiste, Najat Vallaud-Belkacem, sur le plateau de "Quotidien".

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Dans un premier temps, Jean-Michel Blanquer prend des mesures plutôt consensuelles : dédoublement des classes de CP, retour des classes bilangues, aide aux devoirs... Avant de lancer, en novembre 2017, l'une des premières grandes réformes du quinquennat, celle du baccalauréat, le ministre ne s'est pas encore attiré les foudres des enseignants et des syndicats. Ainsi, il peut jouer les premiers rôles au sein du gouvernement d'Edouard Philippe, qui recèle de personnalités civiles pas forcément aguerries à la politique.

Fort de son assise, il n'hésite pas à mettre très vite en avant deux de ses combats : l'autorité et la laïcité. Des prises de position plutôt payantes politiquement. Plusieurs fois ovationné à l'Assemblée nationale, notamment pour son refus des réunions "en non-mixité raciale" organisées par SUD-Education 93, le ministre est même félicité par Marine Le Pen. "L'engouement suscité autour de Jean-Michel Blanquer, que l'on peut même qualifier de 'phénomène Blanquer', constitue une victoire idéologique notable pour le Front national et une défaite cuisante des sociologues et des pédagogistes", déclare la présidente du RN en décembre 2017. Dans les médias, le volontarisme de "l'atout réformateur" est salué par Le Figaro, quand Libération évoque son "macronisme avec mention". Pour Le Point, c'est simple : Jean-Michel Blanquer est le "vice-président".

Premières critiques

Devenu un pilier du gouvernement, le ministre poursuit sa progression avec un portefeuille élargi à l'automne 2018, en abritant le secrétariat d'Etat chargé de mettre en place la réforme du Service national universel. Mais comme l'ensemble du gouvernement, le ministre doit faire face à la colère sociale. En novembre 2018, il affronte ainsi, pour la première fois, une grève nationale des enseignants, cinq jours avant le premier samedi de mobilisation des "gilets jaunes". Les syndicats dénoncent pêle-mêle des suppressions de poste, le début de l'application de la réforme du baccalauréat ou encore la piste d'une évaluation des établissements scolaires. Le mois suivant, au cœur d'un hiver de contestations, le ministre voit naître un mouvement d'opposition à ses réformes baptisé les "stylos rouges". Ces enseignants demandent notamment le dégel du point d'indice revalorisant les salaires. Rue de Grenelle, l'état de grâce est bel et bien terminé.

Alors qu'il ne souhaitait pas porter de "loi Blanquer" lors de ses débuts au gouvernement, le ministre défend finalement un texte, "pour une école de la confiance", au printemps 2019. Le projet de loi comprend notamment la présence obligatoire des drapeaux français et européen dans les salles de classe, tout comme les paroles de La Marseillaise, symbole de l'attachement du ministre à la défense de l'identité. L'abaissement de l'instruction obligatoire à partir de 3 ans divise l'Assemblée nationale et fâche de nombreux élus locaux. Les professeurs, eux, pestent contre le devoir "d'exemplarité" qui leur est imposé par cette loi et plusieurs groupes d'enseignants procèdent à une grève de la correction du bac 2019.

Au lieu d'arrondir les angles, Jean-Michel Blanquer défend bec et ongles les réformes menées depuis le début du quinquennat. Il n'hésite plus à s'éloigner de sa fonction pour affirmer dans les médias que le voile islamique n'est "pas souhaitable" en France, y voyant un vêtement qui n'est "pas conforme à nos valeurs". Le ministre tente de jouer sa propre partition. Certains lui prêtent des ambitions plus élevées que la rue de Grenelle, avec Beauvau ou Matignon dans le viseur. Mais alors que le départ d'Edouard Philippe entraîne un remaniement d'ampleur, à l'été 2020, Emmanuel Macron lui préfère Gérald Darmanin à l'Intérieur.

Les leçons de la crise sanitaire

Que s'est-il passé pour que le "chouchou de la macronie" voie son ascension freinée trois ans après son entrée au gouvernement ? Le tournant remonte à 2021. Le protégé du couple Macron se retrouve en quelques semaines dans le collimateur du monde enseignant et de l'opposition. Le ministre de l'Education, qui avait jusque-là plutôt bien contenu les critiques relatives à ses différentes réformes, se fait rattraper par la crise sanitaire. Face à la virulence de l'épidémie de Covid-19, le gouvernement décide de confiner le pays et donc de fermer les écoles dès mars 2020.

Très vite, Jean-Michel Blanquer milite, contre vents et marées, pour leur réouverture au nom de "la lutte contre les inégalités d'accès aux enseignements". En fin tacticien, l'ancien recteur de l'académie de Créteil obtient gain de cause auprès du chef de l'Etat. En mai, les écoles, puis les collèges et les lycées rouvrent donc leurs portes. "L'école ouverte", Jean-Michel Blanquer en fait même son slogan et il parvient à fédérer autour de lui de nombreux soutiens politiques dans la majorité.

"C'est à lui qu'on doit le maintien des écoles ouvertes et de la continuité pédagogique pour nos enfants. Il a tenu bon et nous sommes aujourd'hui l'un des pays qui a le moins fermé ses écoles dans le monde."

Anne Brugnera, députée LREM et membre de la commission de l'éducation à l'Assemblée nationale

à franceinfo

Début d'année raté

Mais face à la puissante vague Omicron et à l'explosion des contaminations dans les classes fin 2021, cette stratégie de maintien des écoles ouvertes n'est plus forcément vue d'un bon œil par les enseignants et les parents, nombre d'entre eux demandant le report de la rentrée du 3 janvier. Trois tests négatifs à réaliser en quatre jours pour que chaque enfant puisse rester physiquement en classe : le nouveau protocole sanitaire de Jean-Michel Blanquer ne passe pas. Il est très contraignant et dévoilé dans Le Parisien à la dernière minute. Certains y voient davantage une provocation du ministre qu'une réelle solution permettant d'assurer le bon déroulement des cours.

"Le président de la République a dit à Jean-Michel Blanquer qu'il était toujours d'accord pour laisser les écoles ouvertes, mais à condition que le protocole sanitaire soit irréprochable. Force est de constater que cela n'a pas été le cas début janvier."

Un cadre de la macronie

à franceinfo

Pour calmer le jeu, c'est le Premier ministre Jean Castex qui assure le service après-vente en présentant un nouveau protocole sanitaire, deux jours plus tard sur le plateau de France 2. Interrogé par une enseignante lors d'un entretien organisé par Le Parisien, Emmanuel Macron désavoue même publiquement Jean-Michel Blanquer : "Vous avez raison, je vous donne le point. Il faut plus d'anticipation." 

En parallèle de la crise sanitaire, Jean-Michel Blanquer est également vivement critiqué pour sa ligne dure sur la laïcité et sa lutte acharnée contre "le wokisme", ce concept né aux Etats-Unis qui se réfère notamment à différentes luttes pour l'égalité des droits"Jean-Michel Blanquer est un petit soldat du libéralisme macroniste. C'est un technicien doublé d'un idéologue. Ce qui est grave, ce n'est pas l'annonce du protocole sanitaire depuis Ibiza, ce sont ses cinq années catastrophiques à la tête du ministère", tacle Cédric Van Styvendael, maire socialiste de Villeurbanne (Rhône) et chargé du programme éducation d'Anne Hidalgo.

Un positionnement trop clivant sur certains sujets qui pourrait expliquer la récente prise de bec avec Olivier Véran, le ministre de la Santé, lui-même ancien député socialiste. "Les deux ministres se sont attrapés car Jean-Michel Blanquer a le sentiment d'être le bouc-émissaire de cette rentrée ratée et de ne pas être soutenu par ses collègues du gouvernement. Mais derrière tout ça, il y a aussi les divergences politiques entre lui et les ex-socialistes du gouvernement", confie à franceinfo un député de la majorité présidentielle.

Vers une réorientation ?

Mais les soutiens du ministre de l'Education – qui n'a pas donné suite à nos sollicitations – évoquent aussi "la jalousie" de certains membres du gouvernement vis-à-vis de Jean-Michel Blanquer. La raison ? En poste depuis le début du quinquennat, l'ancien directeur de l'Essec a battu le record de longévité pour un ministre de l'Education nationale sous la Ve République.

"Jamais un ministre de l'Education n'est resté cinq ans en poste. Cela a le don d'irriter les archaïsmes, les communautarismes et les corporatismes, mais aussi forcément ses petits collègues du gouvernement."

François Patriat, président du groupe LREM au Sénat

à franceinfo

A moins de deux mois du premier tour de la présidentielle, les critiques contre Jean-Michel Blanquer fragilisent aussi Emmanuel Macron. Mais le ministre de l'Education possède un atout de taille pour rester en poste jusqu'à la fin du quinquennat : Brigitte Macron. C'est elle qui a soufflé son nom au futur président, la veille de sa déclaration de candidature en novembre 2016. Tombée "sous le charme intellectuel" de Jean-Michel Blanquer, venu à l'époque vendre son livre L'Ecole de demain dans le studio d'Europe 1, la Première dame continue de défendre mordicus le ministre.

Mais selon les informations de franceinfo, Emmanuel Macron, qui n'aurait "pas du tout apprécié" la petite pause de son ministre sous le soleil hivernal d'Ibiza, pourrait bien acter la fin de leur collaboration en cas de réélection fin avril. D'après les soutiens de Jean-Michel Blanquer, deux options s'offrent désormais à lui : une hypothétique candidature aux législatives ou bien un retour à sa vie académique avec la publication de plusieurs ouvrages. "J'ai entendu parler d'une circonscription peut-être du côté de la région Auvergne-Rhône-Alpes, mais d'ici juin, tout peut encore se passer. Jean-Michel est capable de tout", ironise un ténor macroniste.

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