"Ils n'échapperont pas à la pression" : comment le Nouveau Front populaire compte s'opposer à Michel Barnier et Emmanuel Macron

Article rédigé par Thibaud Le Meneec
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Les cadres du Nouveau Front populaire, dans les jardins de l'Elysée, à Paris, le 23 août 2023. (DIMITAR DILKOFF / AFP)
Les élus des quatre partis de gauche font leur rentrée parlementaire en promettant de tout mettre en œuvre pour censurer le futur gouvernement. La France insoumise veut même destituer le chef de l'Etat. Sans assurance, pour l'instant, d'arriver à ses fins.

Perdre une bataille, mais préparer les autres dans l'espoir de gagner la guerre. Voilà, en substance, ce qui anime aujourd'hui la gauche, indignée par la nomination par Emmanuel Macron de Michel Barnier comme Premier ministre, jeudi 5 septembre. Dans ce paysage politique fracturé, redessiné par les élections législatives anticipées, le Nouveau Front populaire a échoué à propulser à Matignon sa candidate, Lucie Castets, et doit désormais faire face à un exécutif qui penche davantage à droite qu'avant la dissolution de l'Assemblée nationale.

Criant au "coup de force" et au manque de démocratie, alors qu'elle représente la première force dans l'hémicycle, l'alliance de gauche tente de se tourner vers l'avenir avec plusieurs objectifs. Les quatre partis veulent d'abord que l'exécutif ouvre une session extraordinaire du Parlement, avant la session ordinaire qui débute quoi qu'il arrive le 1er octobre.

Tenter d'abroger la réforme des retraites

Il y a deux objectifs derrière cette demande répétée depuis fin août : les élus de La France insoumise pourraient d'abord déposer une proposition de loi visant à abroger la réforme des retraites. Si leur texte est inscrit à l'ordre du jour, ils n'auront alors pas à se positionner sur une proposition aux visées similaires, mais qui sera déposée cette fois par le Rassemblement national à l'occasion de sa niche parlementaire, fin octobre. Depuis 2022, les élus de gauche se sont en effet appliqués à ne pas signer des textes du RN et comptent poursuivre cette stratégie. Pour la gauche, cela aurait tout d'"un piège", comme l'a reconnu le député LFI Eric Coquerel sur franceinfo, lundi matin. 

Surtout, les députés du Nouveau Front populaire profiteraient de cette session extraordinaire pour présenter une motion de censure, dans le but de faire tomber le gouvernement, le cœur de leur stratégie cet automne. Pour l'instant, cependant, le RN se refuse à ajouter ses voix à celles de la gauche, assurance de réunir la majorité absolue des voix pour renverser Michel Barnier. "Ce gouvernement sera évidemment sous surveillance", a toutefois prévenu Marine Le Pen à La Tribune, dimanche.

Déposer une motion de censure

Sans majorité absolue, le sort de Michel Barnier et de ses futurs ministres n'est donc pas seulement entre les mains du NFP, fort de 193 députés, mais aussi entre celles du RN, qui compte 142 élus avec ses alliés ciottistes. Une situation également inconfortable pour les élus de gauche, mais qu'ils entendent retourner à leur profit. "La motion va dessiner très clairement le périmètre de l'accord qui a conduit Michel Barnier à Matignon, pour montrer s'il y a eu entente avec le RN, veut croire Cyrielle Chatelain, patronne des députés écologistes. Ce n'est pas si simple à assumer pour une partie du groupe Ensemble pour la République". "Il faut dénoncer l'existence au moins implicite de cet accord", appuie le député socialiste Arthur Delaporte, qui y voit "un moment de vérité".

Egalement demandée par Yaël Braun-Pivet, la présidente de l'Assemblée nationale, la session extraordinaire ne devrait cependant pas se tenir, car elle ne s'ouvre que sur décret du président de la République. "Plus la composition du gouvernement sera rapide, plus les chances d'avoir une session extraordinaire seront élevées. Et à l'inverse, plus ça prendra du temps, moins cette session aura de sens", estime l'entourage de Yaël Braun-Pivet auprès de France Télévisions. La gauche, dont Cyrielle Chatelain, dénonce un déni de démocratie.

"La session extraordinaire est indispensable, car le gouvernement agit sans contrôle du Parlement."

Cyrielle Chatelain, présidente du groupe Ecologiste et Social

à franceinfo

Soumise au vote dès la session extraordinaire ou au cours de la session ordinaire, la motion de censure pourrait revenir sur la table à la faveur des débats sur les textes budgétaires à adopter avant la fin de l'année. Une séquence que le NFP attend de pied ferme : "On va imposer le maximum d'amendements, pour ne pas faire un budget macroniste", soutient le député LFI Matthias Tavel. Le gouvernement pourrait néanmoins décider de ne pas retenir ces amendements du NFP, dans un texte qui serait adopté sans vote, grâce au recours à l'article 49.3. "Il faut aller négocier avec le gouvernement pour que des amendements votés par l'Assemblée nationale soient intégrés", défend Cyrielle Chatelain. Sans certitude sur le contenu final d'un budget 2025 élaboré dans une période très tendue pour les finances publiques.

Mobiliser dans la rue

Comme lors de la réforme des retraites au premier semestre 2023, la gauche tente par ailleurs de mobiliser dans la rue. Des manifestations se sont tenues, samedi, dans toute la France, à l'appel notamment de La France insoumise, avec une affluence largement inférieure au mouvement social contre le report de l'âge légal de départ à 64 ans. La mobilisation doit se poursuivre dans les semaines à venir, notamment avec une partie des syndicats, le 1er octobre, une date qui coïncide avec l'ouverture de la session ordinaire. "Le peuple de France est en rébellion, il est entré en révolution", a lancé Jean-Luc Mélenchon, samedi, dans le cortège parisien, prélude à un automne promis sans répit pour Emmanuel Macron.

L'issue de ces mobilisations citoyennes reste cependant incertaine. "La rue, c'est un bon outil pour ne pas sombrer dans la désillusion amère, même si ce ne sont pas des centaines de milliers de manifestants qui feront reculer Emmanuel Macron, car il n'a pas reculé sur les retraites", tempère le socialiste Arthur Delaporte.

"La vraie modalité d'action reste à l'Assemblée nationale."

Arthur Delaporte, député socialiste

à franceinfo

Comme pour les manifestations contre ce qu'elle a qualifié de "coup de force" présidentiel, La France insoumise est à la manœuvre de la procédure de destitution visant le chef de l'Etat. "On est dans une logique d'action tous azimuts", assume l'insoumis Matthias Tavel. Il est néanmoins probable que cette procédure n'aboutisse pas, car il faut rassembler les deux tiers de l'Assemblée nationale et du Sénat. Or, réunir deux tiers des votes des sénateurs, à majorité de droite, semble impossible. A l'image de la motion de censure en octobre, les nouveaux combats de la gauche pourraient tous se solder par des défaites. "On est sûrs de perdre que les batailles qu'on ne mène pas", balaie l'élu LFI.

Préparer le NFP aux prochaines échéances électorales

L'enjeu de ces multiples actions est-il ailleurs pour le NFP ? "Les symboles comptent aussi politiquement, avance Benjamin Lucas, porte-parole du groupe Ecologiste et Social. Sur la destitution, c'est un message de fermeté délivré à l'égard du chef de l'Etat. On ne peut pas dire qu'il insulte la mobilisation des Français aux législatives et une fois qu'il siffle la fin de la récré, faire comme s'il n'avait rien dit." L'intention est claire : "Ils n'échapperont pas à la pression", promet Matthias Tavel.

En attendant les prochaines joutes parlementaires, le fonctionnement interne de l'alliance de gauche fait aussi l'objet de réflexions. "J'appelle à une transformation du NFP, lance Benjamin Lucas. Si on veut tenir face au gouvernement, incarner une alternative au macronisme et au lepénisme, être prêt pour les législatives, cela oblige à réfléchir à la forme. Ça ne peut pas rester une coordination, ça doit être un outil politique massif." Aux yeux du parlementaire, cela passerait par un intergroupe parlementaire entre insoumis, socialistes, écologistes et communistes, alors que chaque parti dispose de son propre groupe à l'heure actuelle. Mais aussi par le fait de "se préparer pour les municipales" de 2026. Un rendez-vous encore lointain pour la gauche, bien décidée à tourner la page d'une rentrée marquée par un camouflet.

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