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Vidéo Élisabeth Borne "n'est pas une idéologue", livre la journaliste Bérengère Bonte, autrice d'une biographie de la Première ministre

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Temps de lecture : 9min
Article rédigé par franceinfo
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Le suicide de son père, sa proximité "cassée" avec Lionel Jospin, son compagnon fantôme... Comment Élisabeth Borne est devenue cette femme ambitieuse, exigeante, à l'image dure et cassante ? Bérengère Bonte retrace la biographie de la Première ministre dans un livre, "Élisabeth Borne - La Secrète".

Élisabeth Borne "est dure aussi bien avec les autres qu'avec elle-même", raconte jeudi 27 avril Bérengère Bonte, journaliste à franceinfo et autrice d'Élisabeth Borne - La Secrète, un portrait de la Première ministre, publié le 5 mai aux éditions de L’Archipel.

franceinfo : Qu'a-t-elle de secret ?

Bérengère Bonte : On ne connaît pas grand chose d'elle. Elle a passé cinq ans au gouvernement durant tout le quinquennat. Je regardais son CV, à faire pâlir d'envie tout le monde : elle a été trois fois ministre, elle a été présidente de la RATP, elle a été préfète et elle a eu des gros postes, très tôt, même sous Lionel Jospin à Matignon. Malgré ça, on se demandait comment elle avait atterri à Matignon, au nez et à la barbe de cadors politiques de droite et de gauche. Toutes les hypothèses avaient été envisagées et on ne savait toujours pas.

Le premier des secrets d'Élisabeth Borne, c'est peut-être son histoire familiale, dont elle n'a pas parlé d'ailleurs pendant des décennies : l'histoire de son père, résistant rescapé d'Auschwitz, qui se suicide lorsqu'elle a onze ans. C'est quelque chose qui la hante encore aujourd'hui ?

Évidemment, ça l'a construite. Elle a onze ans quand son papa se suicide dans des conditions vraiment très dures, avec en plus, un contexte familial qui est très difficile. Sa maman lui dira plus tard : "Tu sais, le jour de ta naissance, ton père a fait une crise d'épilepsie, ça a été le début de la fin". Il y a quelque chose de très fragile et de très fort, mêlé dans cette femme, qui est lié à ça. À partir de ce jour-là, elle s'est dit : "Il n'y a qu'un truc qui tient dans la vie, c'est les maths, donc je vais faire des maths". Elle donne l'impression d'être un peu coupée de ses émotions. Ça donne une très grande dureté et une très grande fragilité.

L'histoire de son père, elle l'a évoquée en quelques mots lors de son tout premier discours devant l'Assemblée, son discours de politique générale. En quoi ce qu'elle a vécu dit peut-être quelque chose de la femme politique qu'elle est aujourd'hui ?

Ça en fait une femme différente, sans doute. C'est ce qui déroute beaucoup de gens, d'ailleurs. Ce n'est probablement pas une femme politique au sens où on l'entend habituellement. Un jour, pendant les discussions des retraites, elle est sortie de son bureau en pleine négociation et a dit à son directeur de cabinet : "Je n'ai pas besoin d'aimer les gens pour les écouter". Je n'ai jamais entendu un homme ou une femme politique dire ça.

"Elle ne va pas chercher à vous raconter qu'elle aime les gens, non elle ne les aime pas, mais ce n'est pas grave."

Bérengère Bonte, journaliste

à franceinfo

C'est troublant et dérangeant pour eux, pour le quidam et pour ceux qui suivent la politique.

Élisabeth Borne a la réputation d'être une bosseuse, tout le monde le dit, ceux qui l'apprécient comme ses adversaires. Elle est exigeante, parfois cassante. Ce que vous racontez, c'est qu'il lui arrive régulièrement de faire trembler les murs aussi à Matignon, quand elle n'est pas contente ?

Je l'ai constaté lors du premier rendez-vous [avec elle] que j'ai fini par obtenir, au bout de six mois. J'attendais dans l'antichambre, de l'autre côté de portes capitonnées, quand j'ai entendu hurler : "S'il n'est pas content, il n'a qu'à sortir de mon cabinet !". On est tout de suite dans l'ambiance. Et c'est vrai que tout son parcours professionnel est jalonné de récits de ce genre-là. Il y a beaucoup de dureté, il y a beaucoup d'exigence. Elle est dure aussi bien avec les autres qu'avec elle même.

"C'est quelqu'un d'extrêmement intelligent, rapide, qui scanne les choses, qui est capable de vous les restituer avec une rapidité dingue. Elle ne comprend pas que les autres ne soient pas dans le même état."

Bérengère Bonte

à franceinfo

Est-ce qu'on dirait la même chose pour un homme ? Des hommes politiques au caractère compliqué, il y en a eu quelques uns...

Je suis vraiment vigilante là-dessus, mais je pense que oui. En l'occurrence, je n'en connais pas beaucoup des comme ça. Je n'en connais pas, je pense.

Vous racontez le parcours d'Élisabeth Borne, son ascension aux côtés de Lionel Jospin ou encore de Bertrand Delanoë, l'ancien maire socialiste de Paris. Est-ce que vous diriez qu'Élisabeth Borne est toujours, aujourd'hui, une femme de gauche ?

Je ne suis pas sûre qu'elle l'ait jamais été. Ce n'est pas quelqu'un qui a une culture politique. Ce n'est pas quelqu'un qui a une charpente. Elle n'a jamais été encartée au PS. Là, elle est encartée Renaissance, mais pour les besoins de la cause. Ce n'est pas une idéologue.

"Elle a été très proche de Lionel Jospin. Il avait une confiance absolue en elle. Ils ont fait les 35 heures à l'époque, mais elle prend aujourd'hui énormément de distance avec ça, ce qui fait d'ailleurs qu'il ne veut plus parler d'elle."

Bérangère Bonte

à franceinfo

Il y a quelque chose de fortement cassé [entre eux]. Elle dit que dans cette période Jospin, et dans toute cette "partie" de gauche qui lui vient sans doute de ses différentes amitiés, de son histoire personnelle, etc, il manquait toute l'initiative individuelle et quelque chose d'une forme de libéralisme qu'elle a complètement assimilée, et qui la rend compatible avec le dépassement macronien.

Dans votre livre, vous consacrez également un chapitre au compagnon d'Élisabeth Borne. C'est d'ailleurs un passage qui a, je crois, un tout petit peu inquiété Matignon. En quoi est-ce que ça nous regarde ?

Ça nous regarde parce que c'est elle qui en a parlé. Depuis des années, on ne savait pas quelle était la vie privée d'Élisabeth Borne. Elle a été mariée, elle a eu un fils. Lorsqu'elle arrive à Matignon, des rumeurs d'homosexualité qui circulent depuis longtemps resurgissent. Elle dément d'abord dans la presse, notamment dans Têtu, puis elle fait des interviews à Elle, à Paris-Match, où elle parle d'un compagnon, ce qu'on ignorait. Je fais une biographie. Je me dis : qui est cet homme ?

Cet homme, on ne l'a vu qu'une fois : à la une de Closer, l'été dernier. Séance de jogging en couple, sur le bord de mer. Est-ce que c'étaient des photos volées ?

Matignon dit que oui. Elle a un sac à main de ville, ce qui est un peu étrange quand on fait son jogging. L'identité de cet homme ne nous regarderait pas s'il était prof de ski.

Vous l'avez retrouvé, cet homme, qui est-il et en quoi ça nous concerne encore une fois ?

Ça nous concerne pour une raison, c'est qu'il a un profil très politique. Cet homme, il est très engagé intellectuellement et sur le plan associatif. Il a même été candidat aux européennes. C'est un catho de gauche, écolo, président d'une association qui s'appelle Les Poissons roses, pendant très longtemps, qui appelait à la Manif pour tous. Il se trouve que ça nous intéresse aussi parce que, quand elle est présidente de la RATP en 2015, elle l'embauche comme délégué à l'éthique, un gros poste de direction, ce qui pose question évidemment. Ils ont été ensemble, c'est certain. Ils se sont affichés comme tels il y a une dizaine d'années. Dernière chose : dans cette enquête, j'ai fini par trouver l'identité de cet homme, tout son parcours et son blog, où il dit qu'il est pacsé avec une autre femme depuis 2021.

Si l'on résume, en 2021, il n'est pas ou plus en couple avec Élisabeth Borne et en 2022, ils font la une de Closer. Vous la soupçonnez d'avoir inventé un faux compagnon ?

Ça veut dire qu'il a été son compagnon, ça, c'est sûr. Ça veut dire que je ne sais pas aujourd'hui [s'il l'est encore], mais en tout cas, on a tout lieu de s'interroger sur tout ça.

On connaît la tentation qui touche quasiment tous les Premiers ministres, celle de postuler à l'Élysée. Est-ce qu'Élisabeth Borne échappe à cette règle ou est-ce qu'elle en rêve, elle aussi ?

Elle répond que non, elle n'y a pas du tout réfléchi. Sauf qu'elle vous dit aussi qu'elle n'avait pas pensé à Matignon alors qu'elle a bien fait campagne pour Matignon. Quant à l'Élysée, beaucoup de gens dans son entourage l'imaginent là-bas. J'ai reçu des coups de fil, un peu de pression et d'inquiétudes du cabinet, me disant : "Arrêtez de lui poser des questions et arrêtez de poser des questions à son entourage sur son avenir éventuel à l'Élysée !". Je me dis qu'il y a quand même un sujet.

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