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"Parfois, il s'agit surtout de sauver sa peau" : le mercato des assistants parlementaires avant les élections européennes

Alors que les eurodéputés sont soit sur le départ soit en campagne, leurs "petites mains" cherchent de nouveaux employeurs.

Article rédigé par Noémie Bonnin
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
L'hémicyle du Parlement européen de Strasbourg, le 17 avril 2019. (MARC OLLIVIER / MAXPPP)

C'est une autre compétition qui se joue en parallèle des élections européennes, organisées en France le 26 mai prochain. Si les candidats des partis politiques font tout pour se faire élire (ou réélire), leurs assistants – qui les accompagnent au quotidien, qui les conseillent – sont également en pleine effervescence. Il s'agit de trouver un nouvel employeur, sans être 100% sûr que celui-ci siègera bien au Parlement européen à partir de l'été prochain.

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"Tout peut arriver, tout est possible", raconte Stéphanie*, l'une des plus anciennes assistantes du Parlement. "Un député peut vous dire oui et puis se voir coller quelqu'un au dernier moment. Il faut miser sur la bonne personne, car elle peut ne pas être élue." C'est une sorte de mercato géant, avec de multiples inconnues et incertitudes. "C'est beaucoup de bouche-à-oreille."

Choisir le bon candidat (et le bon parti)

"Le mois de mai est un moment assez stressant, oui", confie également Sandrine, assistante d'une eurodéputée socialiste française. Cela dépend beaucoup du groupe politique : "En ce qui concerne les assistants PS, on vit le moment actuel de façon très particulière, sachant que le parti n'est même pas sûr de dépasser la barre des 5%... L'opportunité de se 'recaser' est assez mince pour nous et nous en sommes conscients."

Plus un parti est haut dans les sondages, plus il a "la cote" auprès des assistants : "On sait qu'il va y avoir un gros appel d'air pour nous dans le groupe de La République en marche", explique Mathieu, qui quitte un eurodéputé communiste. "Beaucoup de gens vont vouloir se placer là. Mais il faudra montrer patte blanche, il faut les avoir suivis depuis un moment, on ne peut pas débarquer comme ça du jour au lendemain."

Je ne devrais pas vous le dire, mais j'ai pas mal de collègues qui travaillent actuellement avec des élus de droite, et qui regardent du côté de La République en marche.

Simon

à franceinfo

Mathieu poursuit son analyse du panorama politique : "Au Rassemblement national, ce sont essentiellement des militants. Mais je ne les connais pas." Les Insoumis aussi devraient envoyer une délégation intéressante, chez les Verts les bureaux sont déjà en partie formés. "Dans les autres groupes, il s'agit de sauver sa peau…"

Trouver chaussure à son pied (et ne pas se rater)

S'il y a une part de réflexion stratégique, c'est souvent dans un seul et même corpus idéologique. La plupart des assistants sont en adéquation politique avec leur employeur. "Je ne pourrai travailler qu'avec quelqu'un qui est profondément européen", témoigne Stéphanie, au Parlement depuis plus de 30 ans. Sandrine, qui quitte une élue socialiste, confirme : "Je pourrais travailler pour les Verts, Génération.s s'ils étaient élus ou le PS, mais je ne regarde pas en-dehors de ces trois partis car je ne partage pas les valeurs des autres."

J'aurais du mal avec quelqu'un qui veut réviser les traités tous les quatre matins.

Stéphanie

à franceinfo

Mais le travail d'assistant implique aussi que les profils concordent. "Étant intéressée par les problématiques environnementales, si je restais au Parlement j'aimerais travailler pour un député qui soit dans la commission Agriculture ou Environnement", explique Sandrine.

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"Il faut une alchimie, on est l'homme à tout faire du ou de la député.e, c'est une relation personnelle très particulière, il faut qu'il y ait une confiance forte", confie de son côté Mathieu. Le choix d'une personnalité est crucial, car le travail en commun dure l'ensemble du mandat. En cas d'erreur, c'est le drame : "J'ai des amis qui avaient une très bonne relation pendant la campagne avec un député. Mais ensuite, en cours de mandat, il s'est avéré que la personne était totalement hystérique, c'était terrible".

Échanger, écouter, conseiller (sans tout déballer)

"On en discute énormément entre nous, on échange des tuyaux", détaille Simon. "On se dit 'tel député a mauvaise réputation', 'j'ai entendu dire ceci ou cela', 'tel ou tel ne serait pas un bon chef'". Si les amitiés se font plus facilement entre assistants de mêmes cercles politiques, "ici il n'y a pas de sectarisme, beaucoup moins qu'en France à l'Assemblée nationale", affirme l'assistant. "On échange, on se côtoie librement en dehors du travail, dans les soirées bruxelloises." Stéphanie lâche avec un sourire : "Oui, on bâche un peu aussi parfois."

J'ai un ami pour qui tout était négocié. Mais au final, son futur chef n'a pas été élu, ça s'est joué à quelques centaines de voix près. Et bien il s'est retrouvé le bec dans l'eau.

Mathieu

à franceinfo

Dialogue, conseils, recommandations… tout en restant assez évasif, tout de même, puisque tous participent à la même course. "En fait on discute beaucoup entre nous, on est assez ouvert sur nos chefs actuels, mais assez taiseux sur nos futurs chefs. Tout le monde cherche à se recaser, tout le monde a des pistes mais on n'en parle pas tant que ce n'est pas signé", reconnaît Mathieu.

Affronter la "prison dorée" (pour ne pas déprimer)

L'ambiance de ce mois de mai est donc très particulière. Si le travail parlementaire est en pause, le travail de l'ombre, pour conserver son emploi, est intense. "C'est fou le nombre d'annonces immobilières que l'on reçoit en ce moment dans les mails du Parlement ! D'habitude, c'est une ou deux par semaine, là c'est une petite dizaine par jour. Tout le monde se prépare à quitter son appartement bruxellois", raconte Mathieu.

Si cette période de recherche de nouveaux employeurs est angoissante pour les assistants des eurodéputés, c'est, paradoxalement, aussi parce que leur situation est bonne. Mieux payés, mieux protégés que les collaborateurs des députés français de l'Assemblée nationale. "L'intérêt et les conditions font que c'est très difficile de partir. Plus on continue, plus on a du mal à partir, plus c'est stressant", estime Mathieu. Une situation qu'il appelle, dans le jargon, la "prison dorée". "Nos copines, nos copains nous ont souvent rejoints à Bruxelles, on s'est installés, donc c'est difficile de repartir quelques années après. Mais que faire si on a misé sur la mauvaise personne, et qu'elle n'est pas réélue ? On sait que travailler dans les autres institutions est beaucoup moins intéressant. Travailler dans les ONG ? C'est bien moins payé", assume Mathieu. Certains font alors le choix du privé.

Pour moi, un bon assistant parlementaire doit être capable d'écrire un article pour Le Monde comme faire des photocopies.

Stéphanie

à franceinfo

Pour beaucoup, l'emploi d'assistant parlementaire n'est qu'un passage, un tremplin pour la suite. La plupart ont moins de 35 ans. "Cela permet de se faire un super carnet d'adresse, de travailler sur plein de sujets différents, on participe à l'écriture des amendements. Après, ça demande énormément de disponibilité et les relations avec les députés ne sont pas toujours faciles, certains sont plus tyranniques que d'autres, comme tous les chefs", estime Simon. "Il faut être malin et bien connaître la boutique", juge Stéphanie, du haut de ses 32 ans d'expérience. "Moi j'accepte toutes les missions, s'il faut s'occuper de prendre des billets d'avion je le fais."

"Le plus marrant, c'est voir la comédie des politiques", retient Simon. "On voit pas mal de choses drôles en coulisses, parce que les élus sont des êtres humains." Le jeune homme apprécie de côtoyer des personnalités vues à la télé. "Une fois j'ai accompagné ma députée dans un déplacement, on s'est retrouvé à l'hôtel au petit déjeuner avec Nadine Morano et Geoffroy Didier, c'est sympa."

*Tous les prénoms ont été changés

Vis leur vie au Parlement européen

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