Municipales 2020 : bienvenue dans les deux villes du Pas-de-Calais où LREM et le RN enregistrent leurs meilleurs scores nationaux
A quelques semaines des municipales, franceinfo a analysé les données démographiques, politiques, économiques et sociales de toutes les communes françaises. Lors des dernières élections européennes, deux villes du Pas-de-Calais se sont distinguées : Mazingarbe a été la ville la plus "frontiste" et Le Touquet-Paris-Plage la plus "macroniste" de France.
Des terrils noirs et du sable blanc. Moins de 100 kilomètres séparent deux visages bien différents du Pas-de-Calais. Mazingarbe, dans l'ancien bassin minier, et Le Touquet-Paris-Plage, sur la Côte d'Opale. Deux communes qui s'opposent aussi en politique. Lors des élections européennes de 2019, Mazingarbe est la ville* qui a le plus voté pour le Rassemblement national (57,63%) quand Le Touquet a été celle qui a le plus nettement plébiscité la liste de La République en marche (49,46%). De quoi aiguiser les appétits des deux formations pour les municipales à venir, mais la partie est loin d'être gagnée.
A Mazingarbe, les petites baraques en brique rouge s'alignent harmonieusement dans les anciennes cités ouvrières. Derrière ses jolis jardinets entretenus, la ville de 8 000 habitants reste marquée par la fin du charbon. Son taux de chômage, de 23,5% en 2016 selon l'Insee, est plus de deux fois supérieur à la moyenne nationale. Près d'un tiers de sa population vit sous le seuil de pauvreté. "Regardez, on est là, on a froid, elle est où la dignité ?", s'insurge Béatrice, blottie dans sa parka rose en attendant la distribution de nourriture du Secours populaire.
Au Touquet, changement de décor : ce sont de belles demeures à colombages qui accueillent les nombreux visiteurs de la cité balnéaire. A travers sa forêt ou sur sa plage de sable fin, les retraités aisés sont rois. La moitié de la population a plus de 60 ans et les résidences secondaires représentent près de 80% des habitations. Les 4 200 habitants recensés cachent en réalité environ 30 000 résidents temporaires, dont le couple présidentiel. "Ici, c'est une ville faite pour les riches", résume une quinquagénaire, aide à domicile, qui attend son bus pour rejoindre Etaples, la commune voisine où elle habite.
"C'est le chômage qui a fait monter le RN"
Le Rassemblement national et La République en marche ne dirigent aucune des deux villes, mais les deux partis se sont fait une place, ces dernières années, dans les élections nationales. A Mazingarbe, l'extrême droite progresse depuis de longues années déjà. "C'est le chômage qui a fait monter le RN", explique Jean-Pierre Coquelle, candidat sur la liste du maire et président de l'antenne du Secours populaire. "Au début", l'association aidait "des gens privés d'emploi". "Maintenant, il y a des retraités, beaucoup de femmes seules et de plus en plus de personnes qui travaillent, mais qui n'y arrivent plus."
Macron, c'est le président de la France qui va bien. Il ne répond pas aux problématiques de la pauvreté.
Bernard Naglik, candidat sans étiquette aux municipalesà franceinfo
Ludovic Decocq, tête de liste RN pour les élections municipales, pointe un autre problème. "Ici, l'insécurité est énorme", lance-t-il, assis devant ses fiches. Le candidat blond aux yeux bleus se remémore la soirée du 8 avril 2019, quand un incendie volontaire a ravagé le gymnase de la ville. "Ce n'est pas Chicago non plus", tempère Bernard Naglik, candidat d'opposition sans étiquette à Mazingarbe. "On a de la petite délinquance, qui est aussi liée au chômage et au désœuvrement d'une partie de la population", analyse-t-il.
L'extrême droite "normalisée"
Le maire sans étiquette de la ville a déjà multiplié les mesures : plus de policiers, de caméras de vidéosurveillance… "On a aussi mis des éducateurs pour trouver des activités aux jeunes", ajoute Laurent Poissant, aux commandes de la ville depuis la mort de son prédécesseur, il y a seulement un an. "L'important, c'est de fédérer. Le calme est revenu", rassure-t-il, devant une pile de parapheurs.
Reste que le Rassemblement national continue sa progression fulgurante. "Il faut que Marine Le Pen passe !", s'exclame Mélanie, 33 ans, dans la file d'attente du Secours populaire. Elle ne baisse pas la voix : "Je n'ai pas peur de le dire, j'assume !" Elle et son mari gagnent 1 200 euros par mois au total, mais il ne leur reste que 300 euros pour les dépenses courantes. "On se prive pour pouvoir donner ce qu'il faut à notre fils d'un an", explique la jeune femme brune. "Ici, nous sommes normalisés, se félicite Ludovic Decocq. Nos affiches ont été collées il y a deux semaines et pas une seule moustache n'a été dessinée."
"Le couple présidentiel est notre meilleur VRP"
Au bord de la Manche, la plus forte progression politique est signée par La République en marche. Il faut dire qu'Emmanuel Macron lui-même fait partie des électeurs de la ville. "Le couple présidentiel est notre meilleur VRP au niveau national", s'enthousiasme Olivier Lebreuilly, le candidat soutenu par LREM aux municipales. Leur simple présence semble faire son petit effet. "La ville pourrait devenir macroniste. La femme du président est charmante, elle dit toujours bonjour", se réjouit Jacqueline, retraitée touquettoise.
Politiquement, certaines mesures ont aussi convaincu les retraités aisés de la commune. "La suppression de l'ISF a pu plaire ici", reconnaît Juliette Bernard, candidate d'opposition de droite aux élections municipales. "Les Touquettois sont pro-européens et ils ont adoubé cette vision portée par la majorité", analyse Olivier Lebreuilly, dans sa doudoune blanche sans manche siglée au nom de son mouvement citoyen.
Dans une ville historiquement marquée à droite, La République en marche a aussi pu être perçue comme le meilleur bouclier contre le Rassemblement national, qui grignote des parts électorales dans le département. "Les Touquettois se sont donnés comme mission de faire baisser la moyenne du score du Rassemblement national", analyse Juliette Bernard depuis le salon de sa maison cossue en bordure de forêt.
RN et LREM, les seules étiquettes de l'élection
Les résultats hors-normes des deux formations politiques ont naturellement placé les deux villes parmi la liste des communes "gagnables" pour le RN et LREM. Alors, les partis ont décidé de s'y afficher : les seules listes arborant l'étiquette d'un parti national sont celles du Rassemblement national à Mazingarbe et celle soutenue par La République en marche au Touquet. La magie des élections nationales pourrait toutefois bien se prendre la réalité des luttes locales en pleine figure.
Aux dernières municipales, le RN n'avait d'ailleurs réuni que 12,5% des voix à Mazingarbe, alors qu'il était déjà fort dans la région. Mais le candidat a changé. Rajeuni surtout, avec Ludovic Decocq, 31 ans. "La stratégie du Rassemblement national, c'est de faire comme avec Jordan Bardella en investissant partout un 'gendre idéal', mais il n'y a pas de projet derrière", raille Jérémy Nicolle, sympathisant socialiste et candidat aux municipales.
Reste que la stratégie des élections européennes ne fonctionne pas toujours aux municipales. "Les gens font la distinction entre élection nationale et municipale", assure le maire de Mazingarbe. D'ailleurs, les échanges avec les habitants se déroulent bien, assure-t-il. Certains critiquent aussi l'inexpérience du candidat RN, qui n'est pas élu au conseil municipal. "Ne me demandez pas son nom, je ne le connais pas, pourtant ça fait trente-sept ans que je suis facteur", raille Jean-Pierre Coquelle qui a rejoint la liste du maire pour faire barrage au Rassemblement national.
Je leur dis aux gens : tu peux être fâché sans être facho !
Jean-Pierre Coquelle, candidat sur la liste du maireà franceinfo
Ludovic Decocq y croit dur comme fer. "La ville est sur la liste des communes que l'on peut gagner. On a d'énormes chances", avance son directeur de campagne, Laurent Dassonville. Dans la rue, certains habitants ne le voient pas pour autant comme une alternative crédible. Le ras-le-bol politique a aussi emporté le RN. "Qui peut nous aider ? Le bon Dieu peut-être !", s'exclame Béatrice en levant les yeux au ciel.
"Le soutien de LREM, un secret de polichinelle"
Au Touquet, l'élection s'annonce tout aussi indécise. La nouveauté, c'est justement la liste soutenue par La République en marche. D'abord présentée comme un simple rassemblement citoyen qui organisait des tables rondes avec des habitants, la liste "Nous les Touquettois" a affiché clairement ses affinités politiques début 2020. Pour l'occasion, c'est Tiphaine Auzière, responsable LREM de la circonscription et belle-fille d'Emmanuelle Macron, qui s'est affichée avec la tête de liste Olivier Lebreuilly.
Je suis très fier de pouvoir dire que le président de la République vote pour moi.
Olivier Lebreuilly, candidat soutenu par LREM aux municipalesà franceinfo
Cet affichage fait grincer des dents. "Cela fait des décennies que je n'avais pas vue une liste avec une étiquette aux élections municipales", note Juliette Bernard, élue depuis douze ans. "On a toujours eu plusieurs listes de droite au Touquet et des débats déconnectés du plan national", explique Daniel Fasquelle, député Les Républicains de la circonscription. Ce dernier, qui a dirigé la ville pendant près de dix ans, jusqu'à l'application du non-cumul des mandats en 2017, prendra la tête de la liste de la majorité pour les municipales 2020, mais laissera le fauteuil de maire à Anthony Jouvenel, en cas d'élection.
"Le soutien de LREM, c'était un secret de polichinelle. On préfère jouer la transparence", assume le capitaine de la liste et chef d'entreprise, Olivier Lebreuilly. Le trentenaire en profite aussi pour tacler Daniel Fasquelle, qui n'affiche pas d'étiquette politique bien qu'il soit trésorier des Républicains.
Une surprise le soir des élections ?
Cette liste marquée LREM va-t-elle profiter des bons scores de la majorité aux dernières élections ? "A mon sens, le résultat des européennes au Touquet n'a pas de valeur d'adhésion à LREM. Il peut très bien s'inverser aux municipales, d'autant qu'il n'y a pas de candidat Rassemblement national. Le match ne fonctionnera pas", analyse Hervé Pierre, ancien responsable "sécurité" du programme de François Fillon et candidat d'opposition.
Si certains comptent sur leur score aux élections européennes pour gagner, ils vont avoir de sacrés mauvaises surprises aux municipales.
Daniel Fasquelle, député LR et ancien maire du Touquetà franceinfo
Entre petits arrangements, jeux d'influences et transfuges de candidats, l'élection touquettoise promet des rebondissements en série, dans un spectre idéologique restreint au centre et à la droite. "Bien malin celui qui peut dire qui va gagner", conclut Juliette Bernard.
* Parmi les communes de métropole de plus de 1 000 habitants.
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