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Election présidentielle : Emmanuel Macron est-il le candidat du hollandisme ?

Accusé par ses contradicteurs d'être "l'héritier" de François Hollande, le candidat Macron refuse d'assumer une continuité avec celui dont il a été le conseiller puis le ministre. Mais leurs visions ne semblent pourtant pas si éloignées.

Article rédigé par Clément Parrot - Propos recueillis par
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 11min
François Hollande et Emmanuel Macron discutent lors d'un conseil stratégique à l'Elysée, le 16 juin 2015. (DENIS ALLARD / REA)

C'était l'un des rares points qui mettaient d'accord François Fillon, Jean-Luc Mélenchon ou Benoît Hamon, et c'est désormais l'angle d'attaque numéro un de Marine Le Pen et de ses partisans. Qualifié pour le second tour de l'élection présidentielle, dimanche 23 avril, en recueillant 23,7% des voix selon notre estimation Ipsos/Sopra Steria, Emmanuel Macron ne serait que "l'héritier" de François Hollande, dont il a été le conseiller à l'Elysée avant d'entrer au gouvernement. Et son programme serait dans la droite ligne de celui du président sortant. Une critique réfutée en bloc par l'intéressé.

>> Election présidentielle : Emmanuel Macron recueille 23,7% des voix et termine en tête, selon une estimation Ipsos/Sopra Steria

Le candidat Macron est-il vraiment en rupture avec François Hollande, ou incarne-t-il au contraire la continuité du quinquennat qui s'achève ? Pour tenter de répondre à la question, franceinfo a interrogé Elie Cohen*, directeur de recherche au CNRS et professeur à Sciences Po. Cet économiste est bien placé pour évoquer cette proximité idéologique supposée entre les deux hommes : après avoir travaillé au côté de François Hollande en 2012 à l'élaboration du programme, il distille aujourd'hui ses conseils à Emmanuel Macron – sans pour autant avoir de rôle officiel dans l'organigramme.

Franceinfo : Le programme d'Emmanuel Macron vous semble-t-il dans la continuité du quinquennat de François Hollande ?

Elie Cohen : Pour répondre à cette question, il faut se souvenir du programme économique élaboré pour François Hollande en 2012 par ce qu'on a appelé le "groupe de la Rotonde", une équipe animée par Emmmanuel Macron et dont je faisais partie. On a composé un programme original pour la gauche de l'époque puisque, pour la première fois, l'accent était mis sur l'économie de l'offre et non plus sur la stimulation par la demande.

On proposait déjà un volet libéral avec notamment une libéralisation du marché du travail, mais aussi une série de dispositions autour de l'invention d'une flexisécurité à la française. Par rapport à cette proposition faite à François Hollande, le programme d'Emmanuel Macron s'inscrit en effet dans la continuité.

Dans les deux cas, il y a cette idée d'un modèle social-libéral, avec la nécessité de libérer la croissance et en même temps de protéger les individus.

Elie Cohen, économiste

à franceinfo

Pourquoi Emmanuel Macron refuse-t-il alors de reconnaître qu'il incarne cette continuité avec François Hollande ?

Car nous avons essayé de vendre cette philosophie à François Hollande, mais il a gardé ce qu'il voulait ! Il a fait ce qu'il pouvait avec la réalité des forces politiques en présence mais, de fait, il est allé beaucoup moins loin que ce que nous souhaitions.

Chacun de nos sujets de réflexion a été repris mais, à chaque fois, il a fait un pas là où nous pouvions en espérer quatre ou cinq ! Le programme d'Emmanuel Macron va beaucoup plus loin avec cette philosophie de base. Il se montre beaucoup plus audacieux dans un certain nombre de domaines.

Vous indiquez qu'il va plus loin que François Hollande, mais en quoi incarnerait-il une quelconque rupture ?

C'est d'abord une question de degré mais, en politique, un changement de degré peut s'avérer fondamental. Il y a aussi de vraies ruptures. Par exemple, il rompt avec la logique de François Hollande quand il considère que le système d'indemnisation chômage ne fonctionne pas, et qu'il faut un changement sur le fond et sur les modalités de gestion. Il propose de changer la philosophie de ce système basé sur les ruptures d'activité pour les seuls salariés, qui ne correspond plus à l'évolution de la société. Il veut donc assurer une protection de la cessation d'activité pour tous : indépendants, entrepreneurs, professions libérales...

Il développe également une conception radicalement différente sur les retraites. En 2012 déjà, nous avions proposé une réforme systémique avec un régime par points à la suédoise pour sortir des réformes paramétriques consistant à moduler l'âge de départ ou la durée de cotisation. La réflexion d'Emmanuel Macron a continué sur ce thème et il propose que tout euro cotisé, quel que soit le statut de départ, donne lieu au même équivalent en retraite. Il s'agit d'abolir la frontière entre salariés du privé et du public pour aller vers un régime universel. C'est aussi une rupture radicale.

Emmanuel Macron revendique aussi une rupture au niveau du dialogue social...

Emmanuel Macron engage une autre rupture majeure avec la volonté d'encadrer au mieux la formation professionnelle, pour l'orienter vers les besoins de l'économie. Et sur ce point, il prend le risque d'être désagréable avec les partenaires sociaux.

Il croit comme François Hollande à la valeur du contrat et à la valeur de la négociation sociale. Mais François Hollande considère que la France étant ce qu'elle est, il faut en passer par des négociations centrales avec les grandes organisations syndicales. Emmanuel Macron, lui, propose cette autre grande rupture, basée sur l'inversion des normes juridiques dans le champ social, avec des compromis négociés au niveau des entreprises.

Il s'agit de la philosophie même de la loi Travail. Peut-elle vraiment être généralisée, lorsque l'on voit l'ampleur de la contestation sociale contre la loi qu'a soutenue Myriam El Khomri ?

Effectivement, il prend des risques, puisqu'il pense qu'il faut aller encore plus loin que la loi El Khomri. Ensuite, c'est toute la question de l'existence ou non d'une majorité pour réformer le pays.

François Hollande aussi a été audacieux d'un point de vue programmatique, mais il a buté sur une triple opposition : les frondeurs du PS au Parlement, les élus locaux et les syndicats.

Elie Cohen, économiste

à franceinfo

Avec quelle majorité législative Emmanuel Macron va-t-il gouverner ? Quel type de compromis pourra-t-il passer avec les syndicats ? Va-t-il reculer face aux élus locaux ? La question de la taxe d'habitation [Emmanuel Macron propose d'exonérer 80% des Français] commence à en agiter certains. On se souvient comment Hollande a par exemple reculé sur la réforme du mille-feuille territorial face à la pression de ces élus. Macron aura le même problème. C'est là tout l'art de gouverner.

Du coup, ce programme est-il vraiment applicable ? Ne risque-t-il pas de décevoir ses électeurs, comme François Hollande a déçu les siens en renonçant à plusieurs de ses promesses ?

Alors que fait-on en France ? On a des problèmes, identifiés dans tous les rapports depuis trente ou quarante ans, et on ne fait rien ? Emmanuel Macron est jeune, téméraire, et il veut réformer. Accordons-lui le crédit de la volonté de remettre en cause les choses. Ensuite, c'est sûr qu'il engage son crédit politique dans un rapport de force avec les syndicats.

Pour quelle raison la politique économique d'Emmanuel Macron réussirait là où François Hollande n'a pas atteint ses objectifs avec la même idéologie sociale-libérale ?

D'abord, la politique de François Hollande a produit des résultats. Le CICE a permis de mettre un terme à la descente aux enfers des entreprises françaises et de restaurer leur compétitivité. Les perspectives montrent une reprise, certes moins dynamique que prévu, mais qui est bien là. Les prévisions économiques d'Emmanuel Macron sont dans la continuité, avec 1,4% de croissance pour la première année, et entre 1,4 et 1,8% pour la suite.

Cette reprise donne donc une dynamique de croissance pour l'emploi. Macron fait aussi le pari qu'à plus ou moins long terme une force de travail mieux qualifiée et mieux encadrée pourra contribuer positivement à la croissance. Si vous voulez être président de la République et que vous ne croyez pas à la possibilité d'agir sur les choses, ça ne sert à rien d'être candidat.

Le candidat socialiste, Benoît Hamon, considère que la recherche de la croissance n'est plus une grille de lecture valable...

Je réponds simplement que la performance de la France sur la dernière décennie montre une croissance de l'ordre de zéro. La consommation énergétique et l'activité nucléaire ont baissé. On a donc déjà appliqué le programme Hamon, et c'est la décennie que nous venons de connaître.

La primaire a désigné Benoît Hamon candidat du PS, mais il n'est pas du tout dans la ligne Hollande. La bataille interne au sein du PS n'est pas encore terminée. Je pense que tout le monde attend la performance au premier tour de Benoît Hamon pour remettre les débats sur le tapis. S'il est battu largement, je suis persuadé que le PS, actuellement très critique, évoluera beaucoup dans son appréciation du programme de Macron.

Emmanuel Macron a aussi évoqué une rupture vis-à-vis de François Hollande dans sa méthode. Quel intérêt ?

Il faut revenir au début de son initiative, lorsqu'il a décidé de se mettre en marche il y a un an et demi. Il a considéré que le cursus classique, consistant à commencer sa carrière en tant qu'élu local pour finir éventuellement par la présidence de la République, était totalement obsolète.

Il a alors développé une conception horizontale de la politique avec les marcheurs qui sont allés sur le terrain recueillir des propositions et des idées. Une initiative qui a beaucoup fait sourire mais qui a porté ses fruits.

Il a engagé une rupture de méthode, mais également générationnelle, symbolisée par le refus de l'opposition gauche-droite et des partis traditionnels.

Elie Cohen, économiste

à franceinfo

La méthode Macron passe aussi par beaucoup de communication !

Les personnages sont totalement différents. François Hollande est un amoureux de la politique territoriale, de la fréquentation des élus et de la réalisation du compromis. Emmanuel Macron vient d'un autre monde, il a plutôt un profil technocratique, davantage intéressé par les dimensions économiques et techniques. Comme on dit en anglais, c'est un "problem solver". Il aime résoudre les situations difficiles en trouvant des arrangements techniques. Sur ce point, il est aux antipodes de François Hollande, qui a un amour de la scène politique plus traditionnelle.

Macron a réussi à imposer les termes du débat tel qu'il les conçoit. Un débat politique moins centré sur la politique traditionnelle, qui repose sur un dialogue étonnant entre une espèce de chef providentiel d'un côté et des équipes de terrain qui tentent d'agglomérer l'opinion des gens.

Macron va parvenir à dépasser le hollandisme s'il réussit dans son entreprise économique et politique. Il aura été plus cohérent dans ses orientations et surtout dans les conséquences de ses choix. Finalement, Macron, c'est Hollande... avec de l'audace supplémentaire !

*Entretien publié par franceinfo pour la première fois le 7 mars 2017.

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