Supprimer 500 000 emplois publics : cinq questions sur la promesse de François Fillon
L’idée est l’une des propositions clés du candidat des Républicains à l’élection présidentielle. Pourquoi prôner une telle mesure ? Quel en serait l’impact ? Décryptage.
Même dans les rangs des Républicains, la promesse fait débat depuis le début de la campagne. François Fillon, candidat de la droite à l’élection présidentielle, entend supprimer 500 000 postes d’agents de la fonction publique en cinq ans, s’il accède à l’Elysée. Franceinfo vous décrypte cette proposition.
1De quoi s’agit-il ?
L’ancien Premier ministre a dévoilé cette mesure lors de la campagne pour la primaire de la droite et du centre, courant 2016. "Je propose de supprimer 500 000 emplois publics en passant de 35 à 39 heures le temps de travail de la fonction publique", déclarait-il en septembre. Une fois candidat de la droite, il a précisé l’idée dans son projet présidentiel. S'il accède à l'Elysée, il compte "remplacer un départ d’agents publics sur deux en moyenne à l’échelle des fonctions publiques, ce qui permettra de réduire de 500 000 le nombre d’emplois publics en cinq ans".
"Aucun fonctionnaire ne sera licencié, affirme François Fillon sur son site de campagne. Les fonctionnaires ont un emploi à vie et ils ne le perdront pas." Pour atteindre son objectif, le député de Paris compte donc agir sur deux leviers : l’augmentation du temps de travail des agents publics, et le non-remplacement d’un bon nombre de départs en retraite dans le secteur. Le but est clair : réaliser des économies budgétaires de taille, et ainsi réduire sensiblement le poids des dépenses publiques dans l’économie. Précision importante : les territoires d’Outre-mer seront a priori épargnés par cette mesure, "tant que la situation de l’emploi [n'y] sera pas meilleure".
2Combien ça rapporterait ?
Fin 2015, le secteur de la fonction publique comptait environ 5,65 millions de salariés en France, selon l’Insee. Supprimer 500 000 postes reviendrait donc à réduire d’environ 10% le nombre d’agents publics dans le pays – le tout en seulement cinq ans.
Dans le chiffrage de son programme, François Fillon affirme que cette mesure pourrait permettre des économies de l’ordre de "15 milliards d’euros". L'Institut Montaigne présente une évaluation similaire, à 14 milliards d’euros, si la mesure était appliquée telle quelle. Mais le think tank libéral émet des réserves, car une telle baisse du nombre d’emplois publics entraînerait, selon lui, un recours plus important à des agents contractuels. Ce qui, de facto, "viendrait diminuer le montant d’économies envisagé".
3Qui seraient les gagnants ?
Pour François Fillon, l’économie du pays, "et donc les Français", seront les premiers bénéficiaires d’une telle mesure. L’ancien Premier ministre parie qu'elle permettra de "redonner des marges de croissance au pays". Car en réduisant les dépenses publiques, l’Etat pourrait alléger les charges et la taxation des entreprises. Selon son raisonnement, l'économie française gagnerait ainsi en compétitivité et en croissance, créant par conséquent plus d’emplois.
A l’étranger, les suppressions de postes dans la fonction publique ont pu avoir des effets importants sur l’économie. Comme le rappelle France 2, le Canada a supprimé près de 20% de ses emplois publics en trois ans et est parvenu à diviser sa dette publique par deux. Mais ces économies drastiques ont aussi eu un effet pervers, avec par exemple plusieurs fermetures d’hôpitaux dans le pays, entraînant des "dysfonctionnements dans les [services d']urgences", explique la chaîne.
Le candidat des Républicains affirme que ces réductions de postes bénéficieront aussi aux agents publics. Comment ? Ces derniers gagneront en pouvoir d’achat en travaillant plus.
4Qui seraient les perdants ?
Ces mêmes agents publics, car ils devront justement travailler 39 heures – et non plus 35 – pour compenser les suppressions de postes. D’autant plus que ces 39 heures hebdomadaires ne seront a priori pas payées 39. Lors du dernier débat de la primaire à droite, en novembre, le candidat a plutôt évoqué l’idée de 39 heures payées 37. Rien n’est pour l’instant figé. "On ouvrira une négociation secteur par secteur pour voir, avec les personnels, comment on améliore les salaires, a précisé le député de Paris au micro d’Europe 1. Naturellement, [ils] doivent augmenter." Comment ? C’est encore l’inconnue.
Bon nombre de contractuels pourraient ainsi ne pas voir leurs contrats renouvelés. Car les quelque 930 000 personnes qui travaillent sous ce statut sont aussi concernées, comme l'a confirmé le candidat à Acteurs publics. "L’enjeu est de réduire le nombre d’emplois publics, pas de supprimer uniquement des postes de fonctionnaires", explique François Fillon.
La suppression de 500 000 postes pourrait aussi avoir un impact sur la qualité du service public, comme cela a été le cas au Canada ou au Royaume-Uni. "Vous pouvez avoir de véritables déficits de personnel dans certains secteurs particuliers, s’inquiète Luc Rouban, directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS). Et peut-être justement, malheureusement, au moment où nous en aurons le plus besoin, notamment à l’hôpital."
5Est-ce réaliste ?
La promesse de François Fillon pose de nombreuses questions. A commencer par ses évalutations. "Il y a 120 000 départs à la retraite de fonctionnaires par an", expliquait-il en novembre sur RTL. Un peu trop optimiste ? La Cour des comptes estime plutôt entre 100 000 et 110 000 le nombre de départs annuels à la retraite dans la fonction publique.
Au-delà de ces chiffres, François Fillon pourra-t-il à ce point jouer sur les leviers qu’il propose ? En France, les collectivités territoriales bénéficient du principe de libre administration – et donc d’une autonomie de recrutement, explique Challenges. Réduire les effectifs de la fonction publique territoriale s’annonce particulièrement difficile si ce principe continue de prévaloir. Les collectivités pourraient s’opposer aux réductions de postes voulues à l'Elysée.
Autre écueil : comme expliqué par Les Echos, supprimer des postes de contractuels "ne sera pas si facile qu’il n'y paraît". Bon nombre des fins de contrats sur lesquelles François Fillon compte capitaliser pour réaliser ses réductions de postes "correspondent à des titularisations", explique le quotidien. "Et d’autres sont des CDD renouvelés, des quasi-permanents en somme, détaille le journal. L’utilité sociale de ces emplois rendra leur suppression difficile." Parmi ces contractuels, on compte en effet des enseignants, des aides-soignants... François Fillon a-t-il vraiment une marge de manœuvre sur ces postes ?
Enfin, l’argument selon lequel moins d'emplois publics équivaut à davantage de compétitivité et d'emplois privés a lui aussi ses limites. Une étude de 2001, citée par Le Monde, explique en effet que "la création d’un emploi public détruit environ un emploi privé et demi". Mais cette même étude affirme aussi que "l’emploi public peut avoir une influence positive sur la productivité et la rentabilité des emplois privés". Elle note également qu’en France, les emplois publics sont peu substituables : bon nombre d’entre eux pourraient difficilement être remplacés par des emplois privés.
En résumé...
S’il est élu président, François Fillon propose de réduire de 500 000 le nombre d’emplois publics au cours de son quinquennat. Il entend pour cela agir sur plusieurs leviers : l’augmentation du temps de travail dans la fonction publique – de 35 à 39 heures – le non-remplacement d’un départ à la retraite sur deux et le non-renouvellement de contrats d’agents contractuels. Le candidat des Républicains espère, grâce à cette mesure, réaliser des économies de l’ordre de 15 milliards d’euros et ainsi relancer l’économie. Mais cette promesse interroge, même à droite. Quel impact aura-t-elle sur la qualité des services publics ? François Fillon peut-il supprimer autant de postes de contractuels ? L'effet sur les finances est-il aussi clair que le candidat l'imagine ? Beaucoup de questions restent en suspens.
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