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Procès d'Eric Dupond-Moretti : comment le ministre de la Justice est devenu un membre "respecté" et "très identifié" du gouvernement

L'ancien ténor du barreau comparaît jusqu'au 16 novembre devant la Cour de justice de la République pour des soupçons de prise illégale d'intérêts. En trois ans, l'ex-avocat a réussi à se faire sa place au sein de la macronie. Une place désormais en sursis.
Article rédigé par Clément Parrot, Thibaud Le Meneec
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
Le garde des Sceaux, Eric Dupond-Moretti, est jugé devant la Cour de justice de la République, à Paris, depuis le 6 novembre 2023. (ILLUSTRATION HELOISE KROB)

Cette fois, c'est à son tour de se retrouver sur le banc des prévenus, face à ce qu'il considère comme une "infamie". Eric Dupond-Moretti, l'avocat terreur des prétoires, devenu ministre de la Justice il y a trois ans, est jugé depuis lundi 6 novembre pour prise illégale d'intérêts. C'est la première fois qu'un membre d'un gouvernement en exercice fait l'objet d'un procès devant la Cour de justice de la République, seule instance habilitée à le juger.

Devant cette juridiction composée de trois magistrats et de douze parlementaires, le garde des Sceaux entend "fermement" se défendre. On lui reproche d'avoir usé de ses fonctions de ministre pour régler ses comptes avec plusieurs magistrats avec lesquels il a eu des différends quand il était avocat. "Quel aurait été mon intérêt ? Il faudra quand même qu'on m'explique", a tonné Eric Dupond-Moretti mardi, lors de l'audience. Ces deux semaines de procès vont offrir une plongée dans les deux vies de ce pénaliste renommé, devenu un ministre quasi incontournable, malgré des dérapages et des emportements.

"Il a eu besoin de prendre ses marques"

L'homme qui comparaît au palais de justice de Paris, situé sur l'île de la Cité, est une personnalité bien connue du grand public, plus que bon nombre de ses collègues du gouvernement, selon un sondage du Figaro. Les Français le voient depuis des décennies à la télévision commenter le verbe haut les médiatiques procès qu'il remporte les uns après les autres. "Il est cash, compréhensible et très identifié", confie Olivier Véran, le porte-parole du gouvernement. Mais lorsqu'il intègre l'équipe de Jean Castex en 2020, le coup politique apparaît risqué. Ses débuts ne sont pas simples. Les syndicats dénoncent d'emblée "une déclaration de guerre contre la magistrature" et affichent leur hostilité à cet avocat devenu ministre de la Justice.

"Il a vite été bousculé par les syndicats, les magistrats, les parlementaires."

Ludovic Mendes, député Renaissance

à franceinfo

En matière de communication politique, "l'ogre des assises" peine d'abord à trouver le bon ton sans sa robe d'avocat. Il découvre alors "un monde totalement étranger", a-t-il expliqué devant la Cour de justice de la République. "Sa première réponse aux questions au gouvernement est assez délicate", se souvient un familier du ministère de la Justice. "Il a eu besoin de prendre ses marques, il arrivait d'un autre milieu", l'excuse Ludovic Mendes. Petit à petit, pourtant, le microcosme l'observe prendre ses marques. "Il a démontré qu'il était capable d'acquérir les codes, de transformer l'Hémicycle en son nouveau prétoire", analyse un proche.

"C'est un exemple réussi issu de la société civile"

Pour s'en sortir, "Dupond", comme il est surnommé au gouvernement, mise sur l'affect. "Il fume sa clope et parle avec tout le monde, sans distance, avec de l'humour", résume un connaisseur de l'Assemblée. Séances au Parlement, Conseil des ministres, interviews... Le ministre apprend à s'orienter dans la jungle politique. "Il est respecté par ses collègues et les parlementaires. C'est un exemple réussi issu de la société civile", soutient Olivier Véran. "Avoir quelqu'un qui n'est pas issu du sérail politique, dont le parcours professionnel incarne une très grosse réussite, et qui n'a pas peur de se mettre à dos des institutions, ce sont des éléments qui plaisent à Emmanuel Macron", analyse Bruno Cautrès, politologue au CNRS. 

"C'est un ministre qui n'a pas peur de prendre et de donner des coups." 

Bruno Cautrès, politologue

à franceinfo

D'après les proches du ministre, le chef de l'Etat apprécie aussi celui qui n'affiche pas d'ambitions élyséennes à longueur de journée, et qui a mouillé la chemise avec de nombreux déplacements lors de la dernière campagne présidentielle.

Mais ce passage au gouvernement est loin d'être un long fleuve tranquille. Comme en mars, lorsqu'Eric Dupond-Moretti fait deux bras d'honneur à l'Assemblée nationale après une intervention d'Olivier Marleix, le patron des députés Les Républicains. La séance est levée, la polémique enfle aussitôt. "Je l'ai vu sortir en furie. Il était dans un état de nervosité", raconte un député socialiste. Il faut l'intervention de la présidente de l'Assemblée pour le convaincre de rester. "Yaël Braun-Pivet lui a dit qu'il était hors de question qu'il ne s'excuse pas", précise une autre source parlementaire. Il le fera au bout de 45 minutes, en tentant de justifier un bras d'honneur "à la présomption d'innocence".

"Sa défaite ne l'a pas vacciné"

Au sein du gouvernement aussi, le ministre conserve son franc-parler. Dès septembre 2020, une passe d'armes l'oppose à Gérald Darmanin à propos du concept d'"ensauvagement" de la société. Une idée, empruntée par le ministre de l'Intérieur à l'extrême droite, qui renforcerait le "sentiment d'insécurité", selon le garde des Sceaux. "Avec Darmanin, ils s'entendent bien. Tout le monde retient les quelques fois où ils se sont embrouillés, mais ils ont une relation de proximité naturelle", tempère son entourage. 

Gérald Darmanin et Eric Dupond-Moretti, le 13 juillet 2022, à l'Elysée. (ARTHUR NICHOLAS ORCHARD / AFP)

Les deux hommes sont originaires du Nord, issus de milieux modestes. C'est d'ailleurs dans cette région des Hauts-de-France qu'Eric Dupond-Moretti, jamais élu, tente de s'implanter lors des élections régionales de 2021 pour "chasser le Rassemblement national". Le pari est perdu, le RN est qualifié au second tour. "Il a pris une 'ratatouille', comme il dit, s'amuse son entourage. Il y est allé, car le président lui a demandé et que c'est un bon soldat, mais il a aimé le contact avec les gens. Ça ne l'a pas vacciné."

"Je ne pense pas qu'il se soit raffermi"

Deux ans ont passé et l'échec des régionales a été oublié. Les conseillers du ministre préfèrent mettre en avant ses résultats à la tête de la chancellerie. "Il a aujourd'hui, sans doute, le plus beau bilan des ministres de la Justice des 40 dernières années", se félicite un familier de la Place Vendôme. Son cabinet rappelle à l'envi les hausses du budget de 8% lors des trois premières années, puis de 5% pour 2024, grâce auxquelles l'enveloppe du ministère va dépasser pour la première fois les 10 milliards d'euros d'ici 2027. Ces moyens vont permettre notamment l'embauche de 10 000 fonctionnaires d'ici à 2027, dont 1 800 greffiers et 1 500 magistrats, selon la loi de programmation pour la justice.

"Comme ministre du Budget, j'ai vu comment il a su, par son implication personnelle, obtenir une augmentation historique des moyens de la justice", assure Gabriel Attal, désormais à la tête de l'Education nationale. Pour gagner ces arbitrages, "Acquittator" a travaillé ses plaidoiries. La deuxième année, face au Premier ministre et au ministre du Budget, "entourés chacun de technos lisant leurs tableaux Excel", il est arrivé avec un épais dossier contenant tous les articles de la presse quotidienne régionale, se réjouissant des nouveaux moyens accordés aux juridictions, raconte un conseiller. 

"Je ne sais pas ce qui relève du pouvoir de persuasions du garde des Sceaux et ce qui relève de la volonté du président de la République", nuance Ludovic Friat, nouveau patron de l'Union syndicale des magistrats, dans Le Monde. "Ils n'ont fait que compenser une partie du retard dont ils sont en partie responsables", commente Edwige Diaz, députée du Rassemblement national. Le ministre, taxé à ses débuts de "laxisme", affiche depuis trois ans sa fermeté. "Un pragmatisme face à la demande de sécurité des Français", évacue son équipe. Il a notamment annoncé 15 000 nouvelles places de prison d'ici la fin du quinquennat. Pas suffisant pour convaincre la droite et l'extrême droite. "Je ne pense pas qu'il se soit raffermi. Il reste le ministre qui se fait applaudir par les détenus", tacle Edwige Diaz.

"Il pèsera lors des prochaines échéances"

Eric Dupond-Moretti espère pouvoir continuer de marquer de son empreinte le ministère de la Justice, que ce soit avec la loi sur l'inscription de l'IVG dans la Constitution, la mise en place des pôles spécialisés dans les violences intrafamiliales ou encore la réforme du statut de repenti. Le garde des Sceaux "de sang-mêlé", selon ses propres mots, qui possède la double nationalité franco-italienne, souhaite continuer à s'investir dans le débat politique, notamment lors des élections européennes de 2024.

Mais cet avenir est conditionné à l'arrêt de la décision de la Cour de justice de la République. "S'il est relaxé, il en sortira probablement grandi et renforcé dans l'idée qu'on a voulu sa peau, avec un 'complot' ourdi par les magistrats et Anticor", souffle Jérôme Karsenti, l'avocat de l'association anticorruption, qui poursuit le garde des Sceaux.

"S'il finit par se sortir de cette épreuve, ça ne fera qu'ajouter à sa légende d'avocat réputé pour le nombre d'acquittements obtenus dans sa carrière."

Bruno Cautrès, politologue

à franceinfo

En cas de condamnation, la Première ministre Elisabeth Borne l'a déjà prévenu qu'il devra démissionner. L'exécutif serait alors contraint de lui trouver un successeur. "De grands spécialistes des questions juridiques existent. On ne manque pas de noms", tempère Bruno Cautrès. Difficile de dire si Eric Dupond-Moretti retournera à sa vie d'avocat ou s'il gardera le virus de la politique. "Il ne se projette pas, mais il pourra faire plein de choses", assure son entourage. "Il est devenu un homme politique, donc il pèsera lors des prochaines échéances, y compris la présidentielle, veut croire un conseiller. Il sera interrogé et sa voix comptera, surtout dans un contexte où le RN est en capacité d'accéder au pouvoir."

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