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"Il n'a jamais été élu local, et ça se voit" : six mois après l'avoir parrainé, des maires jugent les premiers pas de Macron

Franceinfo a interrogé des élus qui avaient appuyé la candidature d'Emmanuel Macron lors de l'élection présidentielle. Si la plupart ne regrettent pas leur parrainage, certains n'hésitent pas à critiquer l'action du chef de l'Etat et confient leur déception.

Article rédigé par Ilan Caro
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Emmanuel Macron à Göteborg (Suède), le 17 novembre 2017. (LUDOVIC MARIN / AFP)

"Pendant la campagne, il y avait un vrai enthousiasme. Mais maintenant, on se sent vraiment délaissés." Six mois après l'élection d'Emmanuel Macron, la maire du Caule-Sainte-Beuve (Seine-Maritime) ne cache pas sa déception. "J'ai été adhérente En marche ! depuis le début. J'espérais qu'on puisse travailler avec les responsables LREM du secteur, et puis je n'ai plus eu aucune nouvelle, déplore celle qui avait apporté son soutien au jeune candidat. Rien ne s'est passé." Depuis son petit village d'à peine 500 habitants situé aux confins de la Normandie et de la Picardie, Chantal Benoît dit vivre cette expérience "comme un délaissement total".

Comme elle, ils sont plus de 1 400 maires à avoir parrainé Emmanuel Macron pendant la présidentielle. Avant le grand oral du chef de l'Etat devant le Congrès des maires de France, jeudi 23 novembre, franceinfo a interrogé quelques-uns de ces soutiens affichés du candidat Macron. Avec un peu de recul, que pensent-ils des premiers pas du nouveau président ? Ne regrettent-ils pas leur choix alors qu'ils doivent faire face à une baisse de dotations de l'Etat de 13 milliards d'euros ?

Le "choc" de la baisse des APL

Séduit par les promesses de renouvellement démocratique du mouvement En marche !, auquel il a adhéré d'un clic avant la présidentielle, Jean-Charles Prono, maire délégué de Mathurin-sur-Loire (Maine-et-Loire), n'a pas hésité, au printemps, à offrir son parrainage à Emmanuel Macron. Mais la déception n'a pas tardé à venir.

Ils m'ont déçu car tout arrive d'en haut. Finalement, c'est exactement comme dans les autres partis.

Jean-Charles Prono, maire délégué de Mathurin-sur-Loire

à franceinfo

Pour lui, le point de non-retour a été atteint lors des élections sénatoriales, en septembre. Dans le Maine-et-Loire, La République en marche a choisi comme tête de liste… un élu LR. Pour protester contre cette décision "imposée depuis Paris par les instances nationales", Jean-Charles Prono a lancé sa propre liste. Il a depuis démissionné du parti présidentiel. Sans renier son choix initial, justifié par "l'attitude de Benoît Hamon, qui s'était mis à chasser sur les terres de Jean-Luc Mélenchon", il avoue qu'il "hésiterai[t] un peu plus" s'il devait parrainer Emmanuel Macron aujourd'hui.

A Saint-Genis-Pouilly (Ain), Hubert Bertrand ne regrette pas son choix, mais admet volontiers avoir "subi un choc" lorsqu'il a appris que le gouvernement envisageait de baisser les aides personnalisées au logement (APL).

La baisse des APL est pour le moment ma plus grande déception.

Hubert Bertrand, maire de Saint-Genis-Pouilly (Ain)

à franceinfo

Cet ancien membre du Parti radical de gauche souligne que si Emmanuel Macron "conduit très bien les affaires internationales", "il n'a jamais été élu local, et cela se voit !" "On a le sentiment de ne pas être soutenus, et on ne sent pas beaucoup de respect de la part du président envers les élus", regrette-t-il.

"Des mesurettes qui font mal aux collectivités"

"Depuis six mois, il y a du bon et du moins bon. Mais au niveau des communes, c'est vrai qu'il y a plus de négatif que de positif", juge Maurice Saniez, maire de Forest-en-Cambrésis, un petit village du Nord. Ayant voté Alain Juppé à la primaire de la droite, il avait choisi Emmanuel Macron "pour son honnêteté", plutôt que de donner sa signature à François Fillon, empêtré dans les affaires. Comme de nombreux autres édiles, il veillera particulièrement à ce que la compensation promise pour remplacer le manque à gagner dû à la suppression de la taxe d'habitation soit bien au rendez-vous.

Il sera obligé de tenir sa promesse, sinon les communes vont crever.

Maurice Saniez, maire de Forest-en-Cambrésis

à franceinfo

De son côté, Jean-Charles Prono est pour le moins sceptique sur la méthode employée. "Les compensations, on sait comment ça se passe. Un jour, l'Etat commencera par compenser un peu moins, puis à ne plus compenser du tout. Et on se retrouvera Gros-Jean comme devant !" Sur le fond, il estime pourtant que supprimer la taxe d'habitation, "une taxe injuste", est "plutôt une bonne chose". C'est la méthode qui pèche : "Il aurait fallu que ça s'inscrive dans un projet global, qu'on mette tout sur la table et qu'on fasse une vraie réforme des finances locales. Là, on a des mesurettes qui font mal aux collectivités."

Des budgets de plus en plus serrés

Autre sujet qui figure en bonne place au rayon des récriminations des maires contactés par franceinfo : la baisse des dotations allouées par l'Etat aux communes. "Ce qui se passe en ce moment pour les collectivités, c'est pas bon", déplore Jean-Claude Courneil, maire de Lézat-sur-Lèze (Ariège).

"Chaque année, nous avons droit à une baisse des dotations, et malheureusement, ça continue", constate le maire de cette commune de 2 400 habitants située au pied des Pyrénées. En trois ans, la ville a été privée de 130 000 euros (sur un budget de 3 millions d'euros). "Et on va peut-être devoir subir une baisse de 20 000 euros en 2018." "Peut-être", "car on ne sait jamais comment cette dotation est calculée", critique-t-il.

On nous demande de boucler notre budget en mars, alors que la dotation n'arrive qu'en mai. Comment voulez-vous présenter un budget en équilibre et sincère ?

Jean-Claude Courneil, maire de Lézat-sur-Lèze (Ariège)

à franceinfo

Sur le terrain, cette incertitude se traduit par moins d'investissements ou le report de travaux de voirie. "Je devais rénover une partie de la toiture de la mairie, mais cela attendra. Il y a aussi une rue qui devait être refaite. Les travaux auraient déjà dû être terminés, ils n'ont pas encore commencé", souffle Jean-Claude Courneil.

Dans le petit village d'Ouainville (Seine-Maritime), 520 habitants, Didier Lemaistre va "réfléchir à deux fois" avant d'engager les travaux prévus dans l'école, surtout qu'une classe pourrait être menacée à la rentrée prochaine. A Saint-Genis-Pouilly (Ain), le maire a dû réduire la voilure sur les embauches d'Atsem dans les écoles, les services de garde d'enfants, mais aussi le portage des repas à domicile pour les personnes âgées.

Une colère qui vise plus l'Etat que Macron

Parmi les maires qui avaient fait confiance à Emmanuel Macron au premier tour de la présidentielle au point de le parrainer, peu regrettent toutefois leur choix. "Si c'était à refaire, je le referais sans hésiter", assure par exemple le maire de Ganges (Hérault), Michel Fratissier. Plus qu'à Emmanuel Macron, ces élus en veulent à l'Etat qui, depuis des années, prend des décisions pénalisantes pour les collectivités.

L'Etat se décharge de ses compétences sur les communes, mais diminue en même temps ses dotations, limite les emplois aidés… C'est antinomique !

Michel Fratissier, maire de Ganges (Hérault)

à franceinfo

L'édile cite le cas des passeports et des cartes d'identité. Depuis quelques mois, sa mairie est chargée de les délivrer non seulement aux 4 200 Gangeois, mais aussi aux habitants de 25 communes, plus petites, situées aux alentours. "Pour assumer ce service, l'Etat nous verse 8 000 euros par an. Mais moi, j'ai dû mobiliser un poste et demi, soit l'équivalent de 50 000 euros par an !" grince-t-il.

S'ils ne tiennent pas rigueur à Emmanuel Macron de la mauvaise passe traversée par les collectivités, les maires interrogés l'exhortent à ne pas rééditer les erreurs de ses prédécesseurs. Michel Fratissier attend ainsi du président qu'il mette fin aux lourdeurs administratives en tous genres : "On nous répète depuis des années qu'on simplifie. Mais moi, derrière mon bureau, je vois exactement l'inverse."

L'élu donne l'exemple de la nouvelle caserne de gendarmerie construite dans sa ville. "La commune a acheté un terrain 600 000 euros, tous les acteurs se sont mis d'accord, et il n'y a eu aucune difficulté particulière. Mais malgré cela, explique-t-il, il a fallu cinq ans et demi de procédures avant de pouvoir poser la première pierre, alors que la construction en elle-même n'a pris que dix mois ! Ce n'est plus possible !"

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