: Enquête franceinfo Les dix travaux d'Emmanuel Macron pour réformer le Conseil économique social et environnemental
Le président de la République veut réformer le Conseil économique social et environnemental (Cese) mais il va avoir du travail, et risque de rencontrer certains écueils.
Le président de la République a annoncé, le 3 juillet dernier, qu'il voulait réformer le Conseil économique, social et environnemental (Cese) pour en faire "le forum de la République". Cette instance, qui compte 233 membres chargés de donner leur avis sur des sujets divers et variés, est taxée d'inefficacité. Mais le chemin sera long pour réussir à réformer le Cese et les écueils seront nombreux.
1Arrêter d'y recaser des amis
"La chambre des recasés", c’est ainsi que l’on surnomme parfois le palais d’Iéna. Les 233 membres du Conseil économique social et environnemental (Cese) sont censés éclairer le gouvernement sur des sujets de société. Leur avis est consultatif. Tous les cinq ans, chaque nouvelle promotion recèle son lot de politiques, syndicalistes, artistes en mal de succès qui viennent trouver là, sinon une retraite tranquille, au moins un strapontin doré en attendant des jours meilleurs. On les trouve surtout dans le contingent des 40 personnalités qualifiées directement nommées par l’Élysée.
Ainsi, Nicolas Sarkozy y avait nommé ses anciens conseillers Raymond Soubie et Pierre Charon ou le maire de Meudon, Hervé Marseille, qui avait eu le bon goût de laisser sa place à l’établissement d’aménagement de la Défense à Jean Sarkozy. François Hollande a moins abusé du système mais n’a pas résisté à l'envie d'y placer son ami Jean-Luc Bennahmias, qui n’avait plus de mandat, ou son copain de promo de l’ENA, Jean-Marie Cambaceres. Christian Estrosi y avait également trouvé refuge à une époque, de même que Luc Ferry lorsqu’il était sorti du gouvernement.
2En finir avec l'absentéisme
L’absentéisme est une habitude très ancienne chez certains conseillers du Cese. Officiellement, il n’est que de 30% en séance plénière et 35% en réunion de section (ce qui est déjà relativement élevé), mais en réalité il se révèle plus important. Pour lutter contre le phénomène, en 2011, un système de retenue financière a été mis en place mais il prévoit que les conseillers peuvent se faire excuser par leur section pour échapper à la sanction. Certains ont ainsi pu cumuler jusqu’à 11 "mots d’excuse" sur un trimestre.
D'autres ne sont pas vraiment présents : ils viennent signer le cahier d’émargement dans le hall d’entrée et disparaissent sans passer par l’hémicycle. Jusqu’à 30 conseillers peuvent effectuer ce genre de passage express et chargent un collègue de voter pour eux. Dans leur rapport de fin de mandature en 2015, certains conseillers constatent, amers, que "la confiance et la responsabilité ne peuvent être le socle du système". Ils réclament un durcissement des sanctions mais rien n’a été fait. Pour l'anecdote, le 11 juillet 2017, à l'occasion de la venue d'Édouard Philippe, l'hémicycle du Cese est plein. Deux jours plus tard, pour la séance plénière ordinaire, les rangs sont clairsemés.
3Exclure les récalcitrants
Pour les "grands absents", l’article 18 du règlement du Cese prévoit qu’ils sont considérés comme "démissionnaires d’office" s’ils se sont abstenus de venir pendant six mois. Étrangement, cette procédure d’exclusion n’a jamais été utilisée. En réalité, tout le monde ignorait son existence au Cese, jusqu’à ce qu’un journaliste en parle à Jean-Paul Delevoye, président de l’institution de 2010 à 2015. Il a donc décidé de l’appliquer pour les deux "fantômes" de cette époque : l’élu corse Ange Santini et l’ex-présidente du Medef, Laurence Parisot. Ils n’ont échappé à cette procédure infâmante que grâce à la lenteur de sa mise en œuvre : leur mandat s’est terminé avant que leur démission d’office ne soit officiellement prononcée.
Le Cese entretient un savant écran de fumée sur les statistiques de présence de ses conseillers. Cependant, franceinfo a réussi à identifier le cas d’une conseillère de l’actuelle mandature, représentante des Jeunes agriculteurs, qui n’est venue que deux fois en 29 séances plénières. Quand nous avons demandé au président Patrick Bernasconi ce qu’il comptait faire concernant son cas, il nous a demandé de répéter son nom. Il ne la connaissait pas.
4Mettre de l'ordre dans une gestion désastreuse
Les 150 fonctionnaires du palais d’Iéna ont un statut en or. Un salaire moyen de près de 4000 euros par mois et même 150 000 euros par an pour le secrétaire général, des congés très généreux, la possibilité de faire une heure de gym par jour sur leur temps de travail, etc. Selon un ancien haut fonctionnaire de la maison, "le personnel a noué de fortes relations de solidarité avec les syndicats présents dans l’assemblée. Au cours du temps, ils ont obtenu des statuts et des déroulements de carrière sans équivalent." Quitte à parfois sortir des règles élémentaires de bonne gestion.
Pendant longtemps, le Cese déclarait une dizaine de postes "fantômes" au ministère des Finances, que Bercy finançait. Cette enveloppe était ensuite répartie en primes entre les salariés. Certains agents se voyaient attribuer des heures supplémentaires fictives et la gestion des achats se faisait sans appel d’offres. Deux audits de la Cour des comptes ont, semble-t-il, permis de remettre un peu d’ordre mais les juges s’interrogent toujours sur la légalité de certaines primes. D'après leurs investigations, le temps de travail de certains agents est inférieur de 200 heures à la durée légale annuelle.
5Sortir ses rapports du placard
"Vous avez des gens qui travaillent, parfois beaucoup, qui font de beaux rapports et puis, ces rapports, on les oublie." Ce constat sans appel n’émane pas d’un adversaire du Cese mais de Dominique-Jean Chertier, un ancien conseiller du palais d’Iéna. En 2009, à la demande de Nicolas Sarkozy, il a rédigé un rapport sur le fonctionnement de l’institution. Pour lui, le Cese fonctionne en "vase clos", souffre d’une "réactivité insuffisante" et d’une "composition anachronique". La qualité de ses travaux est également souvent pointée du doigt. Étant donné qu'ils doivent concilier les intérêts de presque toutes les organisations présentes, "il s’en dégage un consensus mou", sourit l’ancienne conseillère Sophie de Menthon. "Quand vous êtes trente autour de la table, parfois, le choix d’un adjectif peut prendre une heure !", explique-t-elle. Le Cese produit une vingtaine d'avis par an mais il est rare que l’un d’entre eux fasse l’actualité.
6Lui donner du travail
L’anecdote est racontée par une ancienne haute fonctionnaire du ministère de la Santé. Un jour, elle propose à Roselyne Bachelot, à l'époque ministre, de saisir le Cese sur un dossier. "Surtout pas !", lui répond la ministre. "Ils vont mettre un an à me sortir de l’eau tiède !" De fait, le gouvernement ne saisit le Cese que cinq à six fois par an et le Parlement quasiment jamais. Pour alimenter son programme de travail, l’institution est obligée de s’autosaisir.
Ses choix d’études peuvent paraître parfois assez éloignés des préoccupations majeures de la société. Récemment, le Cese a rendu deux rapports : La Micro-finance dans les Outremers et Les Filières lin et chanvre au cœur des enjeux des matériaux biosourcés émergents. Sans vouloir juger de la qualité de ces avis, la troisième assemblée de la République aurait peut-être pu trouver plus fédérateur. Le problème, c’est que l’État a favorisé la concurrence au Cese en créant, année après année, des dizaines de hauts comités, groupes d’experts, agences d’évaluation chargés eux aussi de donner leur avis. On en dénombre actuellement plus de 440 !
7Cesser le financement déguisé des syndicats
Sur les 233 membres du Cese, 69 appartiennent à des syndicats de salariés qui ont un quota de membres bien précis : la CGT et la CFDT en ont 18 chacun, FO en a 14, etc. Particularité de ces conseillers : ils reversent l’intégralité de leur indemnité, soit environ 3000 euros par mois, à leur organisation. Parfois, c’est même le Cese qui la vire directement sur le compte du syndicat en toute légalité. La CGT empoche ainsi pas loin de 35 millions d'euros par an, grâce à ses 18 représentants au Cese et ses 200 représentants dans les Ceser, l'équivalent du Cese en région.
Ce système de financement déguisé des syndicats par l’État a été dénoncé en 2011 dans un rapport parlementaire de l’ex-député centriste, Nicolas Perruchot. Son contenu était explosif. Les organisations patronales ne sont pas en reste, grâce à leurs 41 conseillers. Elles aussi se financent partiellement grâce aux indemnités versées à leurs représentants au Cese.
8Réformer la caisse de retraite
Si certains conseillers ne touchent rien pendant leur mandat, ils reçoivent leur gratification plus tard : la retraite des membres du Cese a longtemps été extrêmement avantageuse. Pour un mandat de cinq ans, elle donnait droit à une pension de 700 euros par mois, qui vient s’ajouter à la pension de droit commun, dont la plupart bénéficient après avoir exercé une activité professionnelle rémunérée. Dans les faits, puisque de nombreux conseillers effectuent plusieurs mandats, la pension moyenne est aujourd’hui de 1200 euros.
Ce taux de réversion très généreux a fini par menacer l’équilibre des comptes de l’institution, avec 600 retraites à payer tous les mois, la caisse de retraite étant très déficitaire. Plusieurs réformes, dont la dernière date de 2015, ont divisé par deux le montant des futures pensions. Mais le Cese doit encore remettre 6 millions d’euros sur la table tous les ans pour équilibrer le système.
9Réformer la rémunération des conseillers
Sur les 3000 euros net mensuels que touchent les conseillers pour quatre à cinq demi-journées de présence au palais d’Iéna, une grosse moitié de ce traitement est constituée d’une "indemnité représentative de frais". Cette indemnité est payée forfaitairement, que les frais soient engagés ou non. Cette IRF, que l’Assemblée nationale vient de supprimer pour passer au remboursement sur frais réels, subsiste au Cese et elle présente l’avantage de ne pas être imposable.
10Réduire le nombre de conseillers
Le 3 juillet dernier, Emmanuel Macron a annoncé qu’il voulait réformer le Cese pour en faire "le forum de notre République", ce qu’il est déjà censé être. En reconnaissant que l’institution s’était figée, le chef de l’État a annoncé la réduction d’un tiers de ses membres et l’élargissement des sensibilités qui y sont représentées. Les syndicats et les organisations patronales risquent d’y laisser quelques plumes.
Pour l’ancien député UDI Nicolas Perruchot, les partenaires sociaux risquent de faire front commun pour tenter de limiter les dégâts : "C'est une partie importante, pour certains syndicats, de leur fonctionnement annuel. Ils considèrent que le Cese est en partie à eux. Je suis persuadé que les partenaires sociaux, que ce soit les représentants des syndicats de salariés ou les représentants du patronat, seront très liés entre eux pour éviter qu'on touche à ce qu'ils considèrent être un dû. Ils auront des arguments assez identiques quand ils défendront ça dans le bureau du président de la République."
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