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Affaire Benalla : Emmanuel Macron peut-il être entendu par une commission d'enquête parlementaire ?

A priori, le principe de la séparation des pouvoirs s'oppose à ce que le président de la République puisse être convoqué par les parlementaires. Mais tout le monde n'est pas d'accord.

Article rédigé par Ilan Caro
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Emmanuel Macron, le 6 juillet 2018, à l'Elysée. (JULIEN MATTIA / NURPHOTO / AFP)

Emmanuel Macron va-t-il devoir répondre devant les commissions d'enquête parlementaires qui se penchent à l'Assemblée et au Sénat sur l'affaire Benalla ? Pour une partie de l'opposition, l'affaire est entendue : le chef de l'Etat doit être convoqué pour s'expliquer sur le rôle exact de son ancien chargé de sécurité, et la raison pour laquelle ses agissements lors de la manifestation du 1er-Mai semblent avoir été couverts par l'Elysée. Jean-Luc Mélenchon, Benoît Hamon ou encore Marine Le Pen réclament une audition du président.

Mardi soir, le chef de l'Etat a lui-même affirmé, devant les élus de sa majorité, qu'il était "le seul responsable de cette affaire", ajoutant que "s'ils veulent un responsable, (...) qu'ils viennent le chercher."

Mais une commission d'enquête parlementaire a-t-elle le droit d'entendre le chef de l'Etat ? Les politiques s'écharpent sur la question. La présidente La République en marche (LREM) de la commission des lois de l'Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, a prévenu sur franceinfo qu'une telle audition était juridiquement impossible : "Il n'est pas question d'entendre le président de la République. Le chef de l'Etat ne peut pas être entendu constitutionnellement et institutionnellement devant le Parlement."

J'ai consulté plusieurs constitutionnalistes. Le principe majeur de nos institutions, c'est la séparation des pouvoirs. La jurisprudence de la Ve République est extrêmement claire.

Yaël Braun-Pivet

sur franceinfo

Même s'ils exhortent le chef de l'Etat à parler aux Français, les députés du parti Les Républicains s'opposent également à ce qu'il comparaisse devant une commission d'enquête. "Nous ne pensons pas qu'il est possible d'entendre à l'Assemblée nationale le président de la République. Ce serait incohérent d'affaiblir la fonction institutionnelle", a notamment expliqué Eric Ciotti sur BFMTV.

Des interprétations diverses de la Constitution

Les spécialistes du droit constitutionnel sont eux aussi divisés, même si une majorité d'entre eux semble estimer que le chef de l'Etat ne peut répondre à une telle convocation. Contacté par franceinfo, Jean-Philippe Derosier, professeur de droit public à l'université de Lille, met en avant "trois raisons juridiques". D'abord le principe de la séparation des pouvoirs, édicté par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.

Deuxième argument : les conditions très strictes dans lesquelles le président peut s'exprimer devant le Parlement. L'article 18 de la Constitution précise qu'il "communique avec les deux assemblées du Parlement par des messages qu'il fait lire et qui ne donnent lieu à aucun débat". La seule possibilité pour lui de s'y exprimer est de faire une déclaration devant le Parlement réuni en Congrès, ce qu'Emmanuel Macron a d'ailleurs fait début juillet.

Enfin, Jean-Philippe Derosier rappelle le principe de l'irresponsabilité du chef de l'Etat, inscrit dans l'article 67 alinéa 1 de la Constitution : "Le président de la République n'est pas responsable des actes accomplis en cette qualité." Selon le constitutionnaliste, Emmanuel Macron n'a donc pas à se soumettre à une telle audition, de surcroît sous serment.

D'autres spécialistes estiment, au contraire, que rien ne s'oppose à l'audition du président de la République par une commission d'enquête parlementaire. Dominique Rousseau, professeur de droit constitutionnel à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, s'appuie ainsi sur "une lecture stricte" de l'article 67 alinéa 2 de la Constitution. 

Le président de la République (...) ne peut, durant son mandat et devant aucune juridiction ou autorité administrative française, être requis de témoigner non plus que faire l'objet d'une action, d'un acte d'information, d'instruction ou de poursuite.

Article 67 de la Constitution

Or, Dominique Rousseau relève qu'une commission d'enquête parlementaire n'est "ni une juridiction, ni une autorité administrative". Quant au principe de séparation des pouvoirs, le professeur de droit estime qu'il ne serait pas remis en cause dès lors que la commission d'enquête ne demande pas au chef de l'Etat de comptes sur son action politique, mais l'interroge sur la gestion administrative de l'Elysée.

Aucun précédent sous la Ve République

Une chose est sûre cependant : jamais un président de la République n'a été amené à témoigner devant une commission d'enquête parlementaire. En 1984, Valéry Giscard d'Estaing, qui avait quitté l'Elysée trois ans auparavant, avait été convoqué dans l'affaire des avions renifleurs en tant qu'ancien président de la République. Le chef de l'Etat en exercice, François Mitterrand, avait alors écrit au président de l'Assemblée pour s'opposer à l'audition de son prédécesseur. "J'estime que ni la lettre, ni l'esprit, ni la pratique des institutions ne donnent à une commission parlementaire le droit d'entendre M. Giscard d'Estaing", avait-il écrit.

Une convocation d'Emmanuel Macron devant l'une des deux commissions d'enquête reste donc hautement hypothétique. A priori, seule une volonté explicite de sa part d'être entendu pourrait l'amener à répondre aux questions des parlementaires. En attendant, le débat entre constitutionnalistes se poursuit par tweets interposés.

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