Chanson de Calogero lors d’un meeting du RN : un artiste peut-il s'opposer à la diffusion de sa chanson lors d’un rassemblement politique ?

Le chanteur a déploré l'utilisation de sa chanson "1987" lors d'un meeting du Rassemblement national. Mais les artistes peuvent-ils refuser que leurs musiques soient utilisées dans le cadre d'une campagne électorale ?
Article rédigé par franceinfo
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Marine Le Pen, présidente du groupe RN à l'Assemblée, et la tête de liste RN aux européennes Jordan Bardella, lors du meeting au Dôme de Paris le 2 juin 2024. (STEPHANE DE SAKUTIN / AFP)

Une opposition ferme à toute récupération politique. Calogero s'est dit lundi 3 juin "scandalisé" par la diffusion de l'une de ses chansons lors d'un meeting du Rassemblement national dimanche dans la capitale. La tête de liste du RN aux élections européennes, Jordan Bardella, s'est exprimée devant 5 000 personnes au Dôme de Paris. Cet ultime rassemblement du parti d'extrême droite avant le scrutin du 9 juin s'est notamment conclu avec la chanson 1987 de la star de la chanson française.

"À aucun moment, je n'ai donné une quelconque autorisation d'y diffuser ma musique. J'affirme que jamais je ne l'aurais donnée", écrit Calogero sur ses réseaux sociaux. Le chanteur s'oppose "fermement" à ce que sa musique "soit récupérée par quelque parti que ce soit". "Mes chansons ne sont pas faites pour le cadre politique, elles appartiennent au public et seulement au public", poursuit l'artiste qui se "réserve le droit de donner toute suite judiciaire à cette affaire".

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La diffusion d'une musique à un public ou son utilisation passe tout d'abord par une étape obligatoire auprès de la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (Sacem). Pour utiliser un morceau de leur répertoire, il faut demander au préalable une autorisation et payer les droits d'auteur, rappelle le site Slate.fr. "La Sacem va gérer l'utilisation patrimoniale de l'œuvre, tout ce qui a un rapport notamment avec la rémunération des artistes", explique Inès Bouzayen, avocate au sein du département propriété intellectuelle du cabinet August Debouzy.

Mais il ne suffit pas d'être en règle avec la Sacem pour pouvoir se servir d'une chanson. L'artiste peut en effet s'opposer à une utilisation de son œuvre au nom de son droit moral en tant qu'auteur et/ou en tant qu'artiste-interprète. Toute modification (reprise, remixage, etc.) de l'œuvre doit donc être soumise à l'artiste ou ses ayants droit mais aussi les utilisations, comme au sein d'une publicité.

"Le droit moral est une grande spécificité du droit français puisqu'il a deux caractéristiques : il est discrétionnaire et arbitraire. Vous dites que vous ne voulez pas de cette utilisation et vous n'avez pas à vous justifier auprès du juge", explique Marc-Oliver Deblanc, avocat spécialiste du droit de la propriété intellectuelle et fondateur du cabinet Barnett avocats.

La seule limite est de ne pas utiliser ce droit avec excès, c'est ce qu'on appelle l'abus de droit moral. "Hors l'hypothèse d'un abus, vous pouvez, pour des raisons qui vous regardent, dire que vous ne souhaitez pas que votre musique soit associée à une marque, à un film ou à des idées politiques", poursuit l'avocat. D'autant qu'être associé à des images d'une réunion politique peut être aussi considéré, selon l'avocat, comme une association à une marque, "puisque le Rassemblement national, c'est une marque déposée à l'Institut national de la propriété industrielle (Inpi)".

"Il faut vraiment des motifs assez légitimes"

S'il estime qu'il y a eu une atteinte à l'esprit de l'œuvre, l'artiste peut donc demander réparation mais généralement cela ne va pas jusque devant le tribunal. "On trouve un accord entre avocats, développe Marc-Oliver Deblanc, soit pour enlever tous les contenus avec l'œuvre de l'artiste et on en reste là, soit on demande un dédommagement financier puisqu'il y a eu une faille dans le dispositif." Certains cas sont toutefois emblématiques et sont allés jusqu'à un procès. Jean Ferrat avait notamment contesté son apparition dans des compilations aux côtés d'artistes remettant en cause pour lui ses valeurs et ses convictions politiques. Une atteinte à son droit moral reconnue par la justice en 2006. Autre exemple, un street-artist a obtenu réparation en 2023 après que son œuvre La Marianne Asiatique soit apparue dans des clips de campagne de La France insoumise.

Mais pour l'avocate Inès Bouzayen, "les tribunaux restent assez réticents à condamner fortement pour une atteinte à l'esprit de l'œuvre. Cela reste difficile à démontrer car vous ne pouvez pas abuser de ce droit et vous ne pouvez pas interdire à n'importe qui. Il faut vraiment des motifs assez légitimes." Dans le cas de l'utilisation d'une musique lors d'un rassemblement politique, le moment où on diffuse la musique à son importance. "On ne considère pas qu'une musique est associée aux idées politiques quand elle passe simplement en fond musical [hors des discours des politiques], estime l'avocat Marc-Oliver Deblanc. En revanche si la chanson apparaît au début ou à la fin d'un meeting, ou qu'on décide d'en faire un message, cela va être différent."

Il en est de même pour les messages cachés, poursuit l'avocat. L'utilisation de la chanson 1987 de Calogero à la fin du meeting du Rassemblement national peut apparaître comme symbolique. À cette époque, le Front national, ancien nom du RN, était présent pour la première fois sur les bancs de l'Assemblée nationale. C'est aussi l'année où Jean-Marie Le Pen avait minimisé le rôle des chambres à gaz dans l'extermination des Juifs lors de la Seconde Guerre mondiale.

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