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Brice Teinturier (Ipsos) : "une inversion totale des tendances par Nicolas Sarkozy serait une performance inédite"

Les Français se posent des questions sur les sondages. Disent-ils la vérité ? Sont-ils manipulés ? Pourquoi donnent-ils des résultats différents ? Vous avez posé vos questions à Brice Teinturier, directeur général délégué d'Ipsos France.
Article rédigé par Olivier Biffaud
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 16min
Evolution des candidats PS au premier tour selon Ipsos (Ipsos)

Les Français se posent des questions sur les sondages. Disent-ils la vérité ? Sont-ils manipulés ? Pourquoi donnent-ils des résultats différents ? Vous avez posé vos questions à Brice Teinturier, directeur général délégué d'Ipsos France.

"Les sondages disent-ils la vérité ?". Cette interrogation intervient alors que son entrée officielle en campagne, le 15 février, n'a pas profité à Nicolas Sarkozy dans les sondages. Selon la dernière enquête Ipsos pour France Télévisions, Radio France et Le Monde, réalisée les 17 et 18 février, le président-candidat obtient 25% d'intentions de vote et François Hollande, 32%.

Ces scores sont exactement les mêmes que ceux enregistrés dans le précédent sondage Ipsos des 3 et 4 février.

A 60 jours du premier tour de la présidentielle, mercredi 22 février, France TV 2012 a organisé un chat avec Brice Teinturier, directeur général délégué d'Ipsos France. Retrouvez l'intégralité de ce chat ci-dessous :

Julian : Quand on regarde les sondages, on a l'impression que l'élection est déjà jouée. Quelle est votre opinion ?

Brice Teinturier : Non, l'élection n'est pas et n'est jamais jouée quand il reste 60 jours de campagne...D'ailleurs, et c'est normal, certains sondages commencent à montrer un début de rééquilibrage en faveur de Nicolas Sarkozy. En revanche, ce qui est vrai, c'est que l'avantage aujourd'hui reste clairement orienté vers François Hollande.

DHOIFIRI : Comment sont ils organisés ? Pourquoi 950 personnes prises au hasard doivent forcément représenter tout un peuple ?

Les sondages reposent sur des théories statistiques relativement éprouvées, notamment la méthode des quotas. Cela signifie que si l'on interroge la bonne proportion d'hommes et de femmes, de jeunes et de gens âgés, de cadres, d'ouvriers, d'employés etc., on parvient, avec un échantillon réduit - 1000 personnes - à savoir ce que pensent les Français globalement.

Cela ne remplace nullement le vote, mais cela permet de comprendre les opinions et les attentes de nos concitoyens.

Raymond P.: Beaucoup de gens doutent de la sincérité des sondages. Certains disent même, parmi les politiques, qu'ils sont manipulés. Que leur répondez-vous ?

D'abord, que c'est une spécificité très française que de voir du complot et de la manipulation partout. Ensuite, que ce serait à ceux qui accusent les instituts de sondages d'être manipulés de nous dire par qui, comment et pourquoi.

En tous les cas, d'apporter un minimum d'arguments à de telles affirmations. Enfin, et c'est le plus important, au-delà de la déontologie - qui compte pour moi - nous sommes dans un secteur très concurrentiel avec plusieurs instituts, et aucun n'a intérêt à falsifier les résultats, car cela se verrait immédiatement.

NGAYOUMNOU : De quelle manière le pouvoir peut influencer les résultats des sondage?

Le pouvoir ne peut avoir aucune influence, en tous les cas sur une société comme Ipsos. Nous publions ce que nous trouvons dans nos enquêtes et rien d'autre. En revanche, une campagne électorale, des thèmes mis en avant, des questions non abordées, peuvent évidemment créer des effets sur l'opinion que les sondages mesurent ensuite.

Guido64 : Pourquoi les instituts de sondages n'affichent-ils jamais leur marge d'erreur ?

Les marges d'erreur figurent systématiquement dans les rapports d'étude que nous fournissons ! En revanche, vous avez raison, cela n'est sans doute pas suffisamment cité lors de la reprise ou des commentaires.

Agentsecret : Pourquoi les instituts de sondages entourent-ils leurs enquêtes d'opinion d'autant de mystères quant à leur fabrication ?
Mimi1981 : Nicolas Dupont-Aignan affirme que les instituts de sondages sont a la solde du CAC40. Qu'en est-il ?

Il n'y a aucun mystère quant à leur fabrication, mais beaucoup de fantasmes. Je crois au contraire qu'il y a eu énormément de pédagogie et de dossiers de presse consacrés à la façon dont nous travaillons, les échantillons, les modes de recueil etc.

Toutes nos méthodes sont par ailleurs déposées à la Commission des sondages, car nous sommes une profession en réalité très contrôlée. Nous n'indiquons pas les résultats bruts que nous obtenons à côté des résultats redressés, tout simplement parce que les résultats bruts sont des résultats inexacts.

Il y a dans toutes les enquêtes des biais possibles, notre métier est d'essayer de les corriger sans introduire de la confusion dans les chiffres diffusés.

Nestor : Existe-t-il une rubrique "autres candidats" dans les sondages, en dehors de ceux qui sont proposés aux sondés ? Si oui, qu'en faites-vous ?

Nos intentions de vote sont posées avec la liste de tous les candidats déclarés, y compris ceux qui ont très peu de chances d'obtenir 500 signatures de parrainages.

Bulle : Quels sondages sont les plus fiables : ceux réalisés par téléphone ou ceux réalisés via internet ? Ipsos privilégie quel canal ?

C'est une très bonne question. Si l'on est honnête, il faut dire qu'aujourd'hui, nous ne savons pas quel est le meilleur mode de recueil. A l'évidence, chacun comporte des avantages et des inconvénients.

Ipsos travaille par téléphone, car nous pensons que nous maîtrisons empiriquement mieux les biais de ce mode de recueil que nous connaissons depuis longtemps. Mais je double toutes nos enquêtes téléphoniques par des enquêtes on line pour suivre les écarts éventuels, mieux comprendre leur origine et essayer d'être le plus fiable possible.

Cachan : Est-il vrai que vous diminuez le poids de Marine Le Pen dans les sondages ?

Non, c'est totalement inexact. Au contraire, à une époque, le redressement permettait utilement de se rapprocher de la réalité en corrigeant la sous-estimation du vote FN.

Aujourd'hui, les électeurs FN semblent décomplexés et nous n'avons plus vraiment ce type de problème. Et en aucune manière, le vote FN n'est corrigé à la baisse. Cela fait partie des accusations sempiternelles, mais elles sont sans fondement.

Gérard Vincent : Faut-il suivre tous les sondages pour avoir l'idée la plus précise de la situation ?

Peut-être pas de tous les sondages, car il y en a beaucoup. Mais oui, il est intéressant de suivre la production de trois ou quatre instituts pour notamment voir si les évolutions vont dans le même sens (ce qui est en général le cas) et comparer les différences de niveau (ce qui peut arriver).

Guest : Quand pourrons-nous considérer les intentions de votes comme fermes ? Autrement dit, à partir de quel moment les sondages seront-ils au plus prés du résultat final ?

Si l'on est rigoureux, on ne connaît la réponse que rétrospectivement! Mais dans le cas présent, je pense la pièce se met en place, ainsi que tous les acteurs, que nous avons des certitudes des choix qui commencent à s'affirmer et que les trois semaines à venir sont décisives pour savoir si Nicolas Sarkozy peut inverser la tendance actuelle et non pas seulement la rééquilibrer, ou s'il n'y parviendra pas.

C'est tout l'intérêt de la campagne, et j'espère que mi-mars, nous aurons la réponse.

Léonard de : Quatre instituts de sondage placent François Hollande sous la barre de 30% (intentions de vote). Trois, dont le vôtre, le mettent au dessus ? Comment expliquez-vous cette distorsion ?

Les différences sont d'abord ténues. Trois instituts mettent François Hollande à 29%. Trois ou quatre autres à 30-32%. Il faut aussi prendre en compte les dates de terrain qui ne sont pas tout à fait les mêmes.

En revanche, nous avons des différences plus importantes, c'est vrai, dans l'écart qui oppose Nicolas Sarkozy à François Hollande. Cela tient à des différences de niveaux initiales, et nous verrons si cela finit par converger. Nous sommes aujourd'hui, j'insiste, dans un moment important, où les choses bougent, sans que l'on puisse affirmer qu'elles soient cristallisées. Il peut donc y avoir des différences dans ce que nous recueillons.

VoteBlanc&Abstention : Vos sondages tiennent-il compte des personnes déclarant ne pas aller voter ? Ainsi que celles qui disent voter blanc ?

Oui, tout à fait. Nous posons en même temps que l'intention de vote des questions d'intention d'aller voter, et Ipsos donne ces résultats sur la base des personnes qui nous disent qu'elles sont absolument certaines d'aller voter.

Le taux de sans réponse est systématiquement indiqué. Lors du recueil, nous proposons également une modalité de réponses "blanc et nul", mais il y a très peu d'individus qui indiquent ce choix.

Eddy murreau : Pensez-vous, comme il a déjà été dit, que, dans peu de temps, les courbes de Sarkozy et de Hollande vont se croiser ?

Je pense que c'est tout à fait possible, et que cela ne suffirait pas pour dire que la tendance lourde de l'élection est inversée. Pour que Nicolas Sarkozy puisse aller au-delà du rééquilibrage - qui devrait ou qui est en train de se produire - et inverser le résultat final actuellement en faveur de François Hollande, il faut qu'il fasse au premier tour au moins 31%.

La dynamique est importante, mais l'arithmétique doit aussi être au rendez-vous.

Martin Guerre : Pouvez-vous nous donner votre opinion, comme analyste politique, sur les retombées en intentions de vote de la campagne droitière menée par Nicolas Sarkozy ?

Elle lui permet de reconstruire et de solidifier son socle électoral. Elle vise manifestement aussi à reprendre quelques points sur Marine Le Pen. Mais elle peut avoir comme conséquence de détacher vers François Bayrou ou d'autres des électeurs du centre-droit. C'est tout l'enjeu du moment actuel que de savoir si l'on peut additionner ainsi les positionnements différents, ou si un moment donné, la tension est trop forte entre la pluralité des droites.

Barthelemy : Croyez-vous qu'une élection peut se gagner en 60 jours, en remontant un handicap accumulé pendant plusieurs années ?

C'est une manière habile de me demander si l'élection est jouée!

On peut remonter en 60 jours une situation très défavorable, comme par exemple cela a été le cas en 1994 pour Jacques Chirac. Mais nous sommes ici dans une autre configuration, celle d'un président sortant qui porte donc un bilan, et un bilan aujourd'hui contesté. Cela lui est donc beaucoup plus difficile, car quoi qu'il propose ou fasse, on peut lui objecter deux choses: pourquoi ne l'avez-vous pas fait avant ?

Et pourquoi vous croire maintenant ? Mais difficile ne veut pas dire impossible. L'élection n'est jamais jouée. Mais ce serait incontestablement une performance.

Les handicaps d'image de Nicolas Sarkozy sont une insincérité perçue à un haut niveau, un manque de proximité et une faible sympathie à son égard. Ses attributs d'image positifs sont sa stature présidentielle et sa capacité à prendre des décisions difficiles.

François Hollande a une image très différente. Il est perçu comme sincère, sympathique, compétent et honnête. Mais sur les dimensions régaliennes, il est derrière Nicolas Sarkozy.

Elodie : Entre Marine Le Pen, François Bayrou et Jean-Luc Mélenchon, qui a le vent en poupe en ce moment ?

En niveau, Marine Le Pen est nettement devant. En tendance, elle s'est érodée, ainsi que François Bayrou. Enfin, Jean-Luc Mélenchon a plutôt eu tendance à monter, mais la bipolarisation accrue de ces derniers jours peut lui compliquer la tâche ainsi qu'à François Bayrou et Marine Le Pen.

Nicolas : François Hollande peut-il perdre l'élection présidentielle ?

A nouveau, oui, car une élection, encore une fois, n'est jamais jouée 60 jours avant le scrutin. Il a aujourd'hui l'avantage. Cet avantage reste important. Mais les choses peuvent encore considérablement évoluer

English : A quelle campagne présidentielle précédente ressemble le plus celle de 2012, sur le plan politique et sur celui des sondages ?

Sur le plan politique, la campagne de Valéry Giscard d'Estaing en 1981, parce que c'est le seul cas véritablement comparable d'affrontement entre un président sortant et son adversaire, sans cohabitation venant diluer les responsabilités.

Mais la différence, c'est que depuis, les Français ont connu l'alternance, et que Nicolas Sarkozy semble beaucoup plus lucide sur son handicap que ne l'était à l'époque VGE.

Sur le plan des sondages, les différences sont fortes puisque VGE était donné comme gagnant jusqu'à quelques semaines du scrutin, et qu'il a perdu. Alors que Nicoals Sarkozy est donné perdant depuis de longs mois. C'est pour cela qu'une inversion totale des tendances par Nicolas Sarkozy serait une performance tout à fait inédite (et donc intéressante!).

Mickael : Est-il envisageable de voir Jean-Luc Mélenchon au second tour ?

Non. Une campagne peut faire bouger les lignes, mais tout n'est malgré tout pas possible en 60 jours. Ou alors, il faut invoquer des circonstances extraordinaires, par exemple révélations épouvantables sur François Hollande, décès d'un autre des grands candidats etc.

Nico Syzakor : Y a-t-il une relation directe entre une présence constante dans les médias et le score mesuré par les sondages ? Je pense au dernier sondage CSA.

Il y a en tous cas un lien évident entre la visibilité médiatique et la performance dans l'opinion. Si vous êtes peu visible, vous n'émergez pas. En revanche, vous pouvez être visible sans convaincre.

Nathalie et Philippe : Comment peut-on sérieusement évaluer l'évolution des "très petits candidats" dont les intentions de vote varient entre 0 et 1% ?

Pour les candidats qui sont entre 0 et 5%, on est dans l'épaisseur du trait et la marge d'erreur absolue. On peut donc noter des variations, mais elles n'ont pas de signification statistique.

Nouzha : Est-ce qu'une guerre peut bouleverser tous ces pronostics ? Et dans quel sens ?

Oui. La guerre fait partie de ces causes exogènes qui peuvent transformer la donne. Elle favoriserait Nicolas Sarkozy, car en général elle crée un effet de légitimité autour de l'exécutif en place, et que sur cette question d'une crise militaire et diplomatique grave, Nicolas Sarkozy est jugé plus crédible que François Hollande.

Marc : Qui finance réellement les sondages ?
Eddy murreau : Quelle part de chiffre d'affaires représentent les sondages politiques dans votre exercice ?

Vous pouvez enlever le "réellement" de votre question! Les sondages politiques sont financés, soit par les partis et les candidats qui les commandent, soit par les médias. La part du chiffre d'affaire des sondages politiques chez Ipsos est marginale, moins de 5%.

Cela devrait tempérer les fantasmes de certains! Notre activité globale ne dépend absolument pas des enquêtes politiques. Le gros vient du marketing et des annonceurs.

Guido64 : Qu'en est-il des sondages secrets ?

Il n'y a pas de sondages secrets. Il y a des sondages commandés par des personnes privées, par exemple des candidats ou des partis, et qu'ils ne mettent pas sur la place publique, puisque c'est une information qu'ils ont achetée pour eux. Et il y a des sondages commandés par les médias, qui, par définition, sont rendus publics.

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