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Vidéos privées attribuées à Benjamin Griveaux : "On a besoin de proximité, mais on ne veut pas savoir ce qu'il y a sous les vêtements des politiques"

L'historien Christian Delporte, spécialiste de l'image et de la communication politique, analyse le scandale qui a poussé le candidat LREM à la mairie de Paris à renoncer à se présenter aux municipales.

Article rédigé par Benoît Zagdoun
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Benjamin Griveaux annonce qu'il renonce à se présenter aux élections municipales à Paris, le 14 février 2020, après la diffusion de vidéos privées à caractère sexuel. (LIONEL BONAVENTURE / AFP)

Il a été emporté par un "torrent de boue". Après la diffusion de vidéos privées à caractère sexuel et de captures d'écran de conversations privées qui lui étaient attribués, Benjamin Griveaux, le candidat de La République en marche à la mairie de Paris, a annoncé, vendredi 14 février, qu'il se retirait de la campagne des élections municipales.

Christian Delporte, professeur d'histoire contemporaine à l'université Paris-Saclay et spécialiste de l'image et de la communication politique, analyse pour franceinfo les répercussions du scandale auquel l'ancien porte-parole du gouvernement, proche d'Emmanuel Macron, doit faire face. 

Franceinfo : Est-ce la première fois qu'un homme politique de premier plan est emporté en pleine campagne par ce genre d'affaire ? 

Christian Delporte : C'est une première en France. C'est un événement. C'est politiquement très chargé : Paris est l'élection la plus importante des municipales et Benjamin Griveaux est un ancien membre du gouvernement. En revanche, ce qu'on appelle les "boules puantes" dans les campagnes électorales, ce n'est pas neuf. Des rumeurs sur la vie sexuelle de tel ou tel homme politique sortaient. En politique, il n'y a pas de règles dans une campagne. Tout est bon pour démolir l'adversaire. 

Il y avait de ça aussi dans le "Si tu reviens, j'annule tout", ce texto que Nicolas Sarkozy aurait adressé à son ex-femme. Ça avait été étalé sur la place publique. C'était de la messagerie privée. Ça n'avait pas les mêmes conséquences, mais ça pesait sur son image.

Bien avant les réseaux sociaux, il y avait déjà des photos qui circulaient dans les rédactions sur la vie sexuelle réelle ou supposée des hommes politiques. En 1968, il y a eu l'affaire Markovic et les fausses photos de Claude Pompidou dans des "partouzes". Récemment, le maire du Havre Luc Lemonnier a dû démissionner, après avoir été accusé d'avoir envoyé des photos pornographiques [à plusieurs femmes, sans leur consentement]. La différence, c'est qu'aujourd'hui des sextapes apparaissent sur les réseaux sociaux. 

Benjamin Griveaux n'est pas accusé d'avoir commis un acte répréhensible. Comment expliquer qu'il démissionne ? La morale l'a-t-elle emporté ?

On vit dans le cadre d'une société et cette société a forcément des cadres moraux. Parmi ceux-là, il y a la décence. Il y a des choses qu'on peut faire dans l'intimité, mais il ne faut pas les montrer. Dans cette affaire, il y a une transgression de l'intimité. Ça renvoie à des grands principes moraux : aux notions de pudeur, de décence... La pudeur, c'est ce qui éloigne l'homme de la nature, de la bête. La décence, c'est la sexualisation de la pudeur. 

Etait-il forcément condamné par l'opinion publique ? 

Pour les citoyens, les hommes politiques sont leurs représentants. Il y a nécessairement une identification des gouvernés aux gouvernants. D'une certaine manière, l'homme que j'élis, c'est une part de moi. Il faut donc que je m'y reconnaisse. Or, on ne peut pas se reconnaître obscène, c'est totalement impossible. On a besoin de proximité, d'admiration, mais on ne veut pas savoir ce qu'il y a sous les vêtements des politiques. On peut être obscène discrètement, dans l'intimité, mais il ne faut pas que ça se sache, que ça s'affiche. 

Par ailleurs, c'est aussi ressenti comme un mensonge, parce que l'homme politique expose partout sa vie de famille, ses enfants, sa fidélité à sa femme. Et là, des vidéos montreraient le contraire. Cette contradiction est insupportable dans l'opinion, qui ne croit déjà plus les hommes politiques et qui se dit alors : "C'est juste de la com'." Cela porte préjudice à ceux qui sont fidèles à l'image qu'ils donnent. On est même au-delà du dévoilement d'une relation extra-conjugale. Il est présenté comme au pire de son intimité, ce qu'on ne veut pas voir. L'image frappe forcément.

Les politiques n'ont-ils donc plus de vie privée ? 

La relation aux politiques a changé. Pendant très longtemps, la sphère privée des politiques a été verrouillée. On n'y accédait pas. Les journalistes savaient des tas de choses sur Edgar Faure, sur François Mitterrand, mais n'en parlaient pas. On estimait qu'on ne devait pas s'en emparer. Puis, les choses ont changé de la part des hommes politiques eux-mêmes. Ils ont mis en scène leur vie privée à des fins de communication politique. Ils ont montré une certaine image d'eux-mêmes et incité certains journaux à vérifier si elle était vraie.

On a une forme de banalisation de l'homme politique. Il a crevé lui-même sa sphère privée. On est allé voir et on a cherché. C'est comme ça qu'est apparue l'affaire du scooter de François Hollande. On ne vote plus aujourd'hui en fonction de grandes options idéologiques, politiques ou spirituelles. On vote pour des hommes. De plus en plus, ce qui compte, c'est la perception de l'image des hommes, donc on s'intéresse à eux et à leur intimité.

Pour redonner confiance en la politique, il faut pouvoir respecter les hommes politiques. Mais pour ça, il faut qu'ils soient respectables et c'est un peu ça le problème aujourd'hui dans notre démocratie.

Christian Delporte, historien

à franceinfo

Les politiques ont donc une part de responsabilité ? 

Très longtemps, on a pensé que les hommes politiques étaient des personnages à part. C'était d'ailleurs pour ça qu'on les respectait. Ils étaient nos représentants, lointains. La démarche de proximité que pouvaient avoir les hommes politiques, c'était de dire : "Je suis comme vous, mais je suis quand même un peu plus que vous parce que je vous représente." Puis, ils ont voulu être comme nous et on a fini par les considérer comme nous. C'est d'ailleurs pour ça qu'on ne les respecte plus. Là, avec ce genre d'images, ils sont juste comme nous. 

Les hommes politiques se sont retrouvés dans Voici, aux côtés des acteurs, des vedettes de télé-réalité, des footballeurs… Il y avait les sextapes des footballeurs, il y a maintenant celles attribuées aux hommes politiques. Ce type d'images ne va pas arranger la relation que l'on peut avoir avec les hommes politiques, le respect qu'on peut avoir pour eux. Ils sont comme les autres. Ils ne sont pas plus que les autres. Ça banalise le politique un peu plus.

On dit qu'il y a dans cette affaire une grande atteinte à la démocratie. Oui, mais il y a 50 ans, ce genre de choses ne se voyait pas, on n'en parlait pas. Il faut peut-être revenir un peu aux idées, oublier les hommes et qu'ils arrêtent de nous montrer à quel point ils sont banals.

Christian Delporte, historien

à franceinfo

Avant, l'homme politique restait aussi relativement solide parce qu'il avait autour de lui un camp très fort, avec des idées très fortes, et pouvait compter sur la fidélité de son électorat, quoi qu'il en coûte. Aujourd'hui, ce n'est plus le cas. Les idées ne comptent plus, seuls les hommes comptent, donc il faut démolir les hommes. Une campagne municipale, c'est une campagne collective, c'est une équipe, une liste, mais dans les faits, c'est une seule tête et quand elle tombe, tout s'écroule.

La classe politique est pourtant quasi unanime pour défendre Benjamin Griveaux. Comment l'interprétez-vous ?

On est juste au début. Il y a dans un premier temps des réactions finalement assez convenues. Quand on voit les déclarations des uns et des autres, elles sont très prudentes, liées aux grands principes. D'autant qu'on veut ménager la victoire et qu'on veut se préserver soi-même, parce que cela pourrait arriver à chacun d'entre eux. Dans un second temps, il n'est pas sûr qu'on ne se dise pas : "Après tout, il était un peu léger dans l'usage qu'il avait de l'espace numérique".

Là où les autres ne peuvent pas l'attaquer, c'est sur le plan moral. Précisément parce que c'est de l'ordre de l'intimité. Le grand principe, c'est qu'on ne doit pas toucher à la sphère privée. Y aurait-il eu le même type de réaction de la part des hommes et femmes politiques des autres camps s'il n'avait pas démissionné ? Là, il est hors-jeu, on ne va pas tirer sur l'ambulance. En revanche, s'il était resté, le discours n'aurait peut-être pas été le même.

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