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Aubervilliers : "Si la plupart des jeunes sont en colère, c'est parce qu'ils dépriment"

Mardi, alors que François Hollande se rendait à la mission locale d'Aubervilliers pour parler emploi, franceinfo est allé à la rencontre de jeunes habitants souvent désabusés par des formations inadaptées et un taux de chômage élevé.

Article rédigé par Robin Prudent
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 6min
La mission locale d'Aubervilliers, au rez-de-chaussée de cet immeuble du centre-ville, mardi 14 février. (ROBIN PRUDENT / FRANCEINFO)

"Police, violeurs, assassins !" Il est 9 heures à Aubervilliers, mardi 14 février, quand une femme hurle ces trois mots à l'arrivée de François Hollande. Quelques jours après l'agression du jeune Théo par des policiers dans une ville voisine, la colère est toujours là. Après ces invectives, le président de la République s'engouffre dans les bureaux de la mission locale, située au rez-de-chaussée d'un immeuble tentaculaire. Il est venu pour parler emploi avec des jeunes du quartier.

A l'intérieur des locaux, des affiches qui vantent la "garantie jeunes" ont été scotchées proprement et des jolies plaquettes cartonnées en couleur sont distribuées. Elles retracent les "belles histoires" d'insertion professionnelle permises par cette nouvelle allocation, destinée aux 16-25 ans peu diplômés, et expérimentée par la mission locale depuis plus d'un an. 

"Il faut arrêter de former pour la forme"

Parmi les intervenants, Mouloud Bezzouh, entrepreneur dans les télécoms et président d'une association d'insertion pour les jeunes, est venu pour parler de son initiative. Il porte un regard critique sur le mécanisme actuel de formation en France. "On est dans un système de case. Si vous n'êtes pas dans la case, vous êtes mort. Il faut arrêter de former pour la forme. On a un catalogue de formations qui date de 1974 et qui n'est plus du tout adapté", explique-t-il.

Pour certains, la formation est devenue un business politique et financier.

Mouloud Bezzouh, entrepreneur et président de l'association Insertia

à franceinfo

Aujourd'hui, il plaide pour revenir à des formules comme l'alternance, allant de pair avec des promesses d'embauche. Un système qui fonctionne, comme le prouve Sofiane, 21 ans. Après quatre mois de formation dans une entreprise de gaz via cette association, il a décroché un CDI dans une entreprise à Saint-Denis. Lundi, on lui a passé un coup de fil pour qu'il vienne parler de son parcours devant le président de la République.

Des formations, et après ?

A l'extérieur, l'ambiance est plus fraîche. On est loin des "belles histoires" de formation vantées par les plaquettes cartonnées. Jérémy*, 25 ans, jean baggy et veste en cuir noire, est venu "voir la cravate de travers". Le jeune homme est né à Aubervilliers, a grandi dans un immeuble tout proche et habite toujours chez ses parents. Il est allé au lycée jusqu'au bac, mais ne l'a pas obtenu. La mission locale du quartier, il la connaît bien pour y avoir passé de nombreux entretiens. "On m'a proposé plein de formations, pour devenir agent de sécurité par exemple. Mais moi je ne voulais pas, alors je refusais", reconnaît-il. Après plusieurs années de galère, la mission locale lui apportait surtout un soutien moral. 

Ici, si la plupart des jeunes sont en colère, c'est parce qu'ils dépriment.

Jérémy, habitant d'Aubervilliers

à franceinfo

Réaliste, il sait que l'établissement n'a pas les moyens de trouver un job à tout le monde, "ils ne peuvent pas forcer les employeurs". Lui a finalement décroché un CDI sur un "coup de chance". "Je connaissais quelqu'un qui travaillait au McDo, j'ai passé un entretien, ça s'est bien passé et je bosse à mi-temps en cuisine chez eux maintenant."

"Moi, je voulais travailler tout de suite"

Près d'une entrée de l'immeuble de vingt étages, Amine passe en marchant vite. Il n'est pas au courant que François Hollande est dans les parages et que certains passages ont été bloqués pour l'occasion. Franco-Algérien, il est arrivé il y a deux mois en France, après avoir fait deux ans de licence en Sciences et Technologie à Alger. La fameuse formation pour devenir agent de sécurité, proposée à de nombreux jeunes du quartier par Pôle emploi, lui vient de l'accepter. Début mars, il sera formé pendant un mois et demi pour trouver un travail et pouvoir quitter l'appartement de son oncle dans lequel il vit. "Mais une fois que j'aurai mis un peu d'argent de côté, j'espère pouvoir retourner à la fac pour finir ma licence."

Un peu plus loin, Mélissa et Mamadou se dirigent aussi vers cette barre d'immeubles. Le jeune homme n'a pas cru Mélissa quand elle a lui dit que François Hollande était juste là, derrière les portes de la mission locale. Un lieu que la jeune fille de 23 ans, connaît bien. Elle a grandi ici, dans cet immeuble grand comme une petite ville, et y habite toujours aujourd'hui avec son enfant. Après son bac pro commerce, elle est passée par la case "mission locale" pour essayer de trouver un contrat dans son secteur. "On m'a dit qu'il fallait que je fasse encore des formations, qu'il n'y avait rien en commerce. Mais moi je voulais travailler tout de suite." Elle décide donc de se débrouiller toute seule et décroche un contrat pour s'occuper d'élèves de maternelle dans le 16e arrondissement de Paris. 

Livreur à vélo avec un bac pro électrotechnique

Mamadou, 20 ans, a aussi dû se débrouiller pour trouver un petit boulot, malgré un bac pro électrotechnique décroché il y a plus de deux ans. Il bosse désormais comme livreur à vélo pour l'application Deliveroo. "Si j'avais su, je n'aurais pas eu besoin d'aller jusqu'au bac", constate-t-il, amer. Lui aussi a eu droit à deux ou trois formations depuis l'obtention de son diplôme, mais rien de concret n'a suivi. "Ça m'a démoralisé plus qu'autre chose", lance-t-il. Plus le temps passe, plus il s'inquiète : "On oublie ce qu'on sait faire si on ne pratique pas."

10h45. François Hollande est déjà reparti. Dans la mission locale, le directeur, Jean-François Eloidin, fait un point dans son bureau. Après quatorze ans passés dans cette structure, il connaît bien la situation et le sentiment que peuvent ressentir ces jeunes face à des formations qui ne correspondent pas à leurs envies. "Nous, on doit faire un diagnostic, on leur propose d'autres portes et pas forcément le projet qu'ils ont en arrivant", explique-t-il. Une déception tenace, à laquelle les jeunes s'habituent, et qui nourrit parfois la défiance de certains d'entre eux vis-à-vis de l'Etat et de ses représentants.

*Le prénom a été modifié

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