Au salon de l'UOIF, corans, pâtisseries et mécontentement
Six prédicateurs étrangers déclarés indésirables, Marine Le Pen qui lance un appel à la dissolution... Le salon de l'Union des organisations islamiques de France s'est ouvert dans un climat très particulier vendredi 6 avril.
"Les radicaux ne viennent pas ici." L’affirmation de Chahinaz, visiteuse du salon de l'Union des organisations islamiques de France (UOIF), résume la pensée de nombreux musulmans qui se sont rendus au parc expo du Bourget (Seine-Saint-Denis) vendredi 6 avril. Le rassemblement annuel de l'UOIF, qui se tient jusqu'à lundi, est la plus importante rencontre de ce type en France, attirant plus de 100 000 visiteurs chaque année.
Il est l'objet de beaucoup d'attention, au lendemain de l'affaire Merah et la lutte anti-islamisme affichée par le gouvernement. Nicolas Sarkozy a envoyé en personne une lettre au président de l’organisation, Ahmed Jaballah, mardi, dans laquelle il prévient : "Je ne tolérerai pas que puissent s’exprimer au cours d’une manifestation publique organisée sur le sol français les porteurs d’appels à la violence, à la haine, à l’antisémitisme, qui constituent des attaques insupportables contre la dignité humaine et les principes républicains." "Les musulmans se sentent blessés, stigmatisés, comme à chaque campagne électorale", a réagi vendredi Ahmed Jaballah lors de l'ouverture du salon.
"Il y a plein de vêtements ici"
A l’ouverture du salon, l’ambiance est plutôt aux poussettes et aux sorties entre copains. Hamza, 29 ans, s’impatiente devant les portes closes. Accompagné de son épouse, sa fille et sa mère, il vient pour la première fois, "par curiosité". "C’est pour passer un moment, profiter d’une sortie."
A quelques mètres de là, Hager, 24 ans, attend adossée à la barrière. En jean et blouson, elle n’est pas là pour la prière ou les lectures du Coran. "Je viens plutôt faire des courses, il y a plein de vêtements ici."
Des orateurs privés de salon par le gouvernement
Que pense-t-elle de l’absence de prédicateurs étrangers ? "Je n’ai pas trop suivi." Six prédicateurs ont en effet été déclarés persona non grata par le gouvernement la semaine dernière, les autorités les accusant de tenir des propos qui "représentent un fort risque de troubles à l'ordre public". La présidente du Front national, Marine Le Pen, est allée plus en loin en demandant "l’'interdiction du rassemblement" du Bourget et la "dissolution" de l’UOIF, deuxième fédération de l’islam de France avec plus de deux cents associations.
"Moi aussi, je suis pour que les groupes qui prêchent une radicalité, qui incitent à se battre, soient dissous, mais les prédicateurs qui n’ont pas eu le droit de venir au salon n’ont jamais fait de prêche de haine", soutient Nadi, 33 ans.
"On est choqués par les propos du président"
Un car en provenance de Strasbourg se gare. Une femme en sort et surprend les propos de Nadi. "Ça nous fait mal ce qui nous arrive, lance-t-elle. On a été choqués par les propos de notre président alors qu’on a voté pour lui. En plus, [Nicolas Sarkozy] était l’ami de l’UOIF, c’est pour les élections qu’il fait ça." "On va pas dire que je suis choquée, parce que j’ai l’habitude, mais c’est pathétique", s’énerve sa fille Imene, 22 ans.
A l’intérieur, quand les portes s’ouvrent enfin, les visiteurs se pressent autour des stands montés pour l’occasion. Tuniques, voiles, qamis, mais aussi canapés, bijoux et pâtisseries orientales. Le salon a même son stand d’appareils miracles "qui coupent vos légumes et fruits en tout petits morceaux sans efforts".
Fans de salons
Samirah et Chahinaz, deux voisines, raffolent de cette ambiance. "J’aime bien les salons, je vais à ceux de l’agriculture, de l’automobile… sourit Samirah. Et je viens aussi pour manger halal sans avoir à me poser de questions."
Elles ne comprennent pas la polémique autour des prédicateurs, ni la sortie de Claude Guéant qui a dit "regretter" que l’intellectuel suisse Tariq Ramadan soit la vedette du salon. "Nous on aime bien Tariq Ramadan, on le trouve au contraire moderne et ouvert", disent-elles. "C’est pas parce que les élections arrivent qu’il faut stigmatiser l’islam", poursuit Chahinaz. "Au lieu de parler de l’islam, on aurait préféré que Sarkozy trouve des solutions à la crise économique", renchérit son amie.
Chahinaz reprend : "Ce qui m’a choquée, c’est l’attitude de Sarkozy qui dit que le salon va créer des problèmes, comme si on allait nous pousser à devenir extrémistes. C’est absurde, ça n’a jamais été le cas." Pour elle, le président se trompe de cible en visant l’UOIF. "Beaucoup trouvent que l’UOIF est trop ouverte et moderne. En fait, ceux qui sont radicaux ne viennent pas ici. (…) Je pense que ce qui leur fait peur, c’est qu’il y a beaucoup de convertis ici", assure-t-elle dans un large sourire.
"L'homosexualité fait partie des abominations" selon un visiteur
Parmi eux, il y a Eliane, 42 ans. Djellaba noire, lunettes de soleil et hijab, elle est venue de Narbonne (Aude) avec son fils et son époux, Tayeb, qu’elle a rencontré en 2009. Sa famille s’est éloignée depuis, mais elle est désormais persuadée d’avoir enfin trouvé ce qu’elle recherchait "depuis toute petite". Elle dit son incompréhension face aux polémiques et aux "simplifications" et acquiesce quand son mari déclare qu’il est "trop facile de dire que des gens appellent à la violence".
Mais quand on évoque certains sujets, le ton policé de Tayeb se durcit. Il interpelle soudain : "Vous êtes favorable à l’homosexualité ? Vous êtes complètement à côté… Ça fait partie des abominations, des choses qui ne devraient pas exister." Il lance encore : "Mais moi aussi je peux faire un discours antisioniste extrêmement dur."
Il insiste cependant : "La religion musulmane est une religion de paix. Tuer un homme, c’est tuer l’humanité." "Merah c’est quelqu’un qui n’a pas appris sa religion", ajoute Eliane.
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