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Alain Juppé critique la proposition de loi UMP sur la négation des génocides

"Inutile et contre-productif", les adjectifs sont d'Alain Juppé. Le ministre des Affaires étrangères a critiqué, jeudi 22 décembre, la proposition de loi UMP réprimant la contestation des génocides dont le débat s'est ouvert à l'Assemblée nationale.
Article rédigé par Catherine Rougerie
France Télévisions
Publié Mis à jour
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Alain Juppe (d) et Volkan Bozkir avant leur entrevue à Paris, le 20  décembre 2011. (AFP - BERTRAND GUAY)

"Inutile et contre-productif", les adjectifs sont d'Alain Juppé. Le ministre des Affaires étrangères a critiqué, jeudi 22 décembre, la proposition de loi UMP réprimant la contestation des génocides dont le débat s'est ouvert à l'Assemblée nationale.

Les députés ont adopté, à main levée, jeudi 22 décembre, la proposition de loi sur la négation des génocides, dont celui des Arméniens en 1915. L'examen et le vote se sont faits malgré les menaces et l'indignation de la Turquie. Plusieurs milliers d'opposants pro-turcs manifestaient à l'extérieur de l'Assemblée nationale.

Le débat faisait rage depuis 48 heures entre partisans et opposants à la proposition de la loi de la député UMP des Bouches-du-Rhône, Valérie Boyer, visant à réprimer la négation des génocides. Plus ou moins bruyamment.

Au sommet de l'Etat, le chef de la diplomatie française, Alain Juppé, a de nouveau pris ses distances jeudi, évoquant un texte "useless and counterproductive", selon les termes du tweet de la correspondante du Guardian à Paris, . La veille, ses propos étaient moins amènes, selon le Canard Enchaîné. "Cette proposition est intellectuellement, économiquement et diplomatiquement une connerie sans nom", aurait-il dit à ses collaborateurs.

Dans le même temps, près de 4 000 personnes manifestaient devant l'Assemblée pour s'opposer à une loi qualifiée de "stupide".

Les termes du débat

Autour de cette proposition de loi, plusieurs positions prévalent.

Côté majorité, les partisans usent de l'argument juridique et rappellent que ce texte est une transposition du droit européen visant à sanctionner les personnes qui nient les génocides.

A l'opposé, d'autres estiment que ce texte ouvre la voie à la reconnaissance juridique, par la France du génocide arménien, une qualification que conteste formellement le chef d'Etat turc, Abdullah Gül.

D'autres encore expliquent que ce n'est pas aux politiques mais aux historiens d'écrire l'histoire. Parmi eux, l'historien Pierre Nora. L'usage du mot génocide est "devenu purement politique et idéologique", explique-t-il jeudi dans Libération.

L'opposition dépasse les clivages politiques

Bien qu'ils dénoncent une manœuvre "purement politique" (visant à récupérer le vote arménien), les députés socialistes ont fait savoir par leur président de groupe, Jean-Marc Ayrault, qu'ils voteraient le texte avec le soutien d'une quarantaine d'élus de la majorité.

Le député Nouveau centre du Maine-et-Loire, Hervé de Charette, y est lui franchement hostile, jugeant le débat "indécent".

"C'est de la démagogie préélectorale, tout le monde le sait, d'ailleurs on ne se préoccupe de ce sujet que tous les cinq ans : en 2001, avant la présidentielle de 2002, en 2006 avant la présidentielle de 2007", a-t-il déclaré jeudi dans les couloirs de l'Assemblée.

"Le Parlement ne se valorise pas quand une poignée de parlementaires se réunissent 48 heures avant Noël pour essayer d'aller draguer avec vulgarité l'électorat d'origine arménienne que l'on croit pouvoir acheter", a également souligné M. de Charette.

Le reportage de Clément Le Goff et Chloé Cormery de France 2

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La colère d'Ankara

Les relations entre les deux pays n'étaient déjà pas au beau fixe, en raison notamment de l'opposition de Nicolas Sarkozy à l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne. Elles se sont tendues d'un cran. Pour Ankara, le texte de l'UMP est "inacceptable" déniant "le droit de rejeter des accusations infondées et injustes contre notre pays et notre nation", a fait savoir le 20 décembre, le président turc.

Pour plaider sa cause, M. Gül a même envoyé à Paris une délégation conduite par le président de la commission des Affaires étrangères du Parlement turc. En vain. Sa rencontre avec Alain Juppé et avec le conseiller diplomatique de M. Sarkozy, Jean-David Levitte, n'a rien changé. La proposition de loi est bien arrivée devant les députés jeudi matin.

Outre la contestation des faits eux mêmes, Ankara reproche au président français de ne pas avoir tenu parole. "Je suis réellement surpris car le président Sarkozy avait promis au premier ministre Erdogan, par l'intermédiaire de son conseiller diplomatique, Jean-David Lévitte, qu'il s'engagerait à abandonner cette initiative et qu'il s'y opposait", a déclaré mercredi Ahmet Davutoglu, ministre turc des Affaires étrangères, dans une entretien au Monde.

"Cette loi est une insulte à l'histoire intellectuelle et aux valeurs de la France", poursuit-il. "Imaginez que le premier ministre turc aille à Paris et que la question lui soit posée : 'Que pensez-vous du génocide arménien ? Si nous disons que nous ne le reconnaissons pas, nous risquons d'être traînés devant un tribunal".

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