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Ouverture d'une enquête sur la vente de Rafale à l'Inde : "Il est impératif qu'un juge puisse lancer des actes d'investigations", souligne l'avocat de l'ONG Sherpa

L'avocat Vincent Brengarth s'étonne qu'"on parle assez peu de l'affaire en France (...), alors qu'en Inde elle a éclaboussé le pouvoir", notamment à cause des sommes en jeu.

Article rédigé par franceinfo
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Vincent Brengarth en juillet 2019.  (JOEL SAGET / AFP)

Le Parquet national financier (PNF) a désigné un juge d'instruction pour enquêter sur des soupçons de corruption lors de la vente d'avions Rafale par Dassault à l'Inde en 2016, après une plainte avec constitution de partie civile de l'association Sherpa. "Il est impératif qu'un juge puisse enquêter, puisse approfondir, puisse lancer des actes d'investigations", commente samedi 3 juillet sur franceinfo l'avocat de l'ONG, maître Vincent Brengarth.

franceinfo : Pourquoi l'ONG Sherpa a-t-elle des soupçons concernant la vente de Rafale à l'Inde en 2016 ?

Vincent Brengarth : Fin 2018, l'association Sherpa a déposé une plainte simple devant le procureur de la République notamment pour des faits de corruption qui visaient les conditions dans lesquelles ce contrat a été conclu par Dassault et l'Inde. Ce contrat s'entoure de conditions extrêmement suspectes, puisque Dassault avait remporté un appel d'offres en 2012 qui devait initialement porté sur 126 avions Rafale et finalement, de 126, on est passé à 36, dont le coût unitaire a été triplé. Et de façon aussi complètement anormale, alors même qu'au départ dans le cadre des négociations avait été retenu un partenaire qui était habitué à ce type de contrat, qui était un avionneur réputé, on va venir conclure ce contrat qui porte sur près de sept milliards d'euros, avec un partenaire qui n'a pas véritablement d'expérience en la matière, mais pour lequel en revanche on sait qu'il existe une proximité entre sa direction et le Premier ministre indien. S'ajoutent également d'autres choses qui sont un peu plus techniques mais qui ont trait notamment au fait que dans certains contrats, ont été supprimées les clauses anti-corruption. On a aussi des indices qui ont été d'ailleurs révélés encore ces derniers mois de rétrocession et de versement de commissions occultes.

La plainte de l'ONG a été classée sans suite en 2019. Pourquoi avoir déposé une nouvelle plainte, avec constitution de partie civile, qui déclenche quasiment automatiquement la désignation d'un juge d'instruction, en avril dernier ?

Il y a du nouveau avec les révélations qui ont été documentées par la presse, ces derniers mois. Et je pense que compte tenu de la nature du dossier et du scandale d'Etat qui a pu déjà éclater en Inde, il était inconcevable qu'un juge d'instruction ne soit pas saisi dans le cadre de ce dossier. De façon assez spectaculaire, vous constatez qu'en France on parle assez peu de cette affaire qui pourtant concerne un contrat dont le montant est colossal et avec des suspicions assez fortes, alors que d'ores et déjà en Inde elle a éclaboussé le pouvoir, dont le Premier ministre, et qu'encore une fois l'affaire fait l'objet d'un écho médiatique beaucoup plus important. Il y a donc ce double constat à la fois d'éléments nouveaux et d'une affaire qui a explosé en Inde, et donc cette exigence de la part d'un magistrat aujourd'hui d'ouvrir une information judiciaire tout simplement parce qu'il est impératif qu'on puisse enquêter. Il est impératif qu'un juge puisse enquêter, puisse approfondir, puisse lancer des actes d'investigations approfondis, pour qu'on puisse démêler l'ensemble des possibles responsabilités dans ce dossier, y compris si nécessaire au plus haut sommet de l'Etat.

Pensez-vous que le PNF et l'Agence anti-corruption ont fermé les yeux sur ces possibles agissements ?

Il est trop tôt pour dire si le PNF et l'Agence anti-corruption ont fermé les yeux, même s'il y a des indices qui montrent qu'il y a des interrogations légitimes à avoir. Malheureusement, en France, on a beaucoup de progrès à faire dans la lutte contre la corruption. Si le législateur a reconnu la possibilité qu'il puisse y avoir des associations agréées qui puissent déposer plainte avec constitution de partie civile dans le cadre de ces dossiers, c'est précisément parce qu'on se rend compte que bien souvent il y a une inertie du parquet, qui s'explique aussi par le fait que lorsqu'on parle d'un tel contrat, ça concerne aussi des intérêts étatiques, des intérêts d'anciens membres du gouvernement, voire d'anciens présidents de la République, et qu'on observe une certaine réticence à pouvoir enquêter, à pouvoir instruire. Il est trop tôt pour dire si ces différentes autorités ont pu dissimuler un certain nombre d'agissements, mais il est bien certain qu'elles n'ont eu absolument aucun rôle moteur dans la tentative d'élucidation de contrats qui sont totalement opaques et qui manquent de transparence.

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