Picardie : reportage dans une ferme de réinsertion
C'est un lieu unique en France. En Picardie, une ferme accueille des détenus en fin de peine pour les aider à se réinsérer. Ici, une trentaine de prisonniers travaillent et réapprennent a vivre un quotidien normal avant de retrouver, dans quelques mois, une liberté totale, souvent source d'appréhension après la prison.
Ça te fait pas drôle de sortir.
Si un peu, ça fait tout bizarre.
Le passager de la voiture arrive de prison, c'est la première fois depuis 18 mois qu'il retrouve l'air libre.
Là, on arrive à la ferme, il n'y a pas de grilles, pas de murs, pas de barbelés, rien.
Arriver à la ferme de Moyembrie, c'est faire un premier pas vers la liberté. Un lieu unique en France. 30 détenus préparent ici leur sortie chaque année. Entourés par seulement 6 encadrants. Délits routier, affaires de moeurs, crimes de sang. Peu importe ce pour quoi ils ont été condamnés, ils sont là pour travailler. Une fin de peine passée à bêcher, semer, récolter, comme un sas pour réapprendre à vivre sans barreaux.
Là-haut, c'est les pommes de terre, il y a un peu d'herbe. Comme on est bio, pas le droit aux désherbants. Le désherbant ici, c'est les bras.
Pour le détenu arrivé ce matin, c'est l'heure de la visite. Changement de décor radical mais des interdits stricts. Au bout de cette route, il y a un champ à ne pas dépasser.
Là-bas, c'est la limite que personne ne doit franchir. T'as pas de chaînes, mais dès que tu franchis les limites c'est l'évasion. Donc retour à la case départ.
Si je viens c'est pour m'investir.
T'es marié.
Non, je vivais en concubinage.
T'as des enfants.
Oui, un petit garçon de 6 ans.
Pense à lui maintenant.
Philippe sait de quoi il parle, lui-même ancien détenu, devenu encadrant, il a repris ici le droit chemin. La ferme est gérée par une association de réinsertion. Anne-Marie en est la présidente. Avant d'accueillir ce détenu, elle l'a rencontré plusieurs fois en prison. Elle donne priorité aux plus motivés et aux plus seuls.
On les rencontre, on voit leur désir de reconstruire un projet de vie. Evidemment, on peut se tromper, c'est subjectif.
Jean-Marc a passé 15 ans de sa vie en prison. Le logement qu'il occupe ici n'est pas plus grand qu'une cellule mais selon lui, très différent.
On n'entend plus le matin, la nuit, les bruits de pas. C'est différent. On n'attend pas devant la porte le matin pour aller travailler. C'est ce qui m'est arrivé le premier jour ici. Je me suis mis devant la porte, j'attendais. Après j'ai réfléchi, je ne suis plus en prison.
Désormais, les clés, c'est lui qui les a. Il a même récupéré ses papiers d'identité. Comme tous les résidents, il pourrait s'enfuir très facilement mais ce n'est plus son projet.
J'y ai pensé à partir d'ici. Mais pour quoi faire ? Pour être recherché par la police ? Et retourner en prison. A quoi ça sert? On nous donne une chance, faut la prendre. J'ai déjà fait assez de mal aux gens avant que je parte en prison.
En 10 ans, pas une seule évasion mais quelques écarts de conduite. L'alcool est interdit ici. Ceux qui ne respectent pas la règle sont réincarcérés. Un résident sur 10 repart en prison. 6H tapantes, Jean-Luc est le premier levé. Les chèvres n'attendent pas.
Pas le choix, y'a une certaine horaire à respecter, faut pas se lever à 10H, ils n'ont pas le temps eux.
Depuis son arrivée au printemps dernier, Jean-Luc travaille 7 jour sur 7, 20H par semaine. Un contrat d'insertion rémunéré 640 euros par mois. La moitié sert à payer le logement à la ferme. Mais surtout ici, il se rachète une conduite.
C'est un plaisir d'être utile. Je prouve à la société que je ne suis pas un moins que rien.
Jean-Luc a un but. Reprendre au plus vite son rôle de pere, à temps plein. Il a 7 enfants qu'il peut ici appeler tous les jours. A la ferme, les téléphones sont autorisés pour permettre à chacun de renouer avec ses proches.
J'ai reçu les résultats scolaires, c'est bien mais c'est pas encore ça. Il y a des matières où il faudrait pousser un peu plus.
Je ne peux pas ratrapper 4 ans, mais remonter doucement, leur dire que papa est là et qu'il ne lâche rien.
Le passage à la ferme n'est qu'une parenthèse de quelques mois. Jean-Luc sera libéré en novembre, il a hâte de partir. Laliberté peut pourtant faire peur. Pour se réhabituer à l'extérieur, une fois par semaine, encadrés, tous sortent faire des courses dans une grande surface. Le retour à une normalité qu'ils avaient oubliée.
C'est la vie qui recommence.
Faut pas rester dans son trou, faut avoir la liberté.
D'ici là, Jean-Marc doit trouver un travail et un logement. Plus de la moitié des résidents quittent la ferme avec un emploi ou une formation.
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