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Cinéma : « Numéro Une » de Tonie Marshall, avec Emmanuelle Devos, en DVD le 20 Février

Emmanuelle Blachey est une ingénieure brillante et volontaire, qui a gravi les échelons de son entreprise, le géant français de l'énergie, jusqu'au comité exécutif. Un jour, un réseau de femmes d'influence lui propose de l'aider à prendre la tête d'une entreprise du CAC 40. Elle serait la première femme à occuper une telle fonction. Mais dans des sphères encore largement dominées par les hommes, les obstacles d'ordre professionnel et intime se multiplient. La conquête s'annonçait exaltante, mais c'est d'une guerre qu'il s'agit.

Article rédigé par franceinfo
Radio France
Publié
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Numéro une (Ad Vitam Distribution)

Extrait d'un entretien avec Tonie Marshall

D’où vous est venue l’envie d’imaginer le parcours d’Emmanuelle Blachey, première femme qui accèderait enfin à la tête d’une entreprise du CAC 40 ?

Il y a six ou sept ans, j’ai eu l’idée d’une série, Le Club, sur un réseau de femmes d’influence. Cette série interrogeait la difficulté pour les femmes d’accéder à des postes importants dans le milieu de la politique, de l’industrie, de la presse… J’ai proposé le projet à diverses chaînes. Seule Arte avait ouvert un oeil mais ils diffusaient Borgen, sur un sujet assez proche. Je continuais à penser à ce sujet et je me suis dit qu’il y avait là matière à un film si je réduisais le nombre de personnages et me concentrais sur un seul lieu de pouvoir. A l’abstraction de la politique, qui repose sur des compromis et des tractations, j’ai préféré le concret de l’industrie.  

Comment avez-vous appréhendé ce milieu des affaires ?

Raphaëlle Bacqué, qui a collaboré au scénario et que j’ai consultée régulièrement pendant l’écriture pour veiller à la crédibilité de l’histoire, m’a aidée à enquêter et permis de rencontrer des femmes qui occupent des hauts postes dans de grandes entreprises comme Anne Lauvergeon, Laurence Parisot, Claire Pedini, Pascale Sourisse… Elles m’ont confié beaucoup d’anecdotes, dont ces petites humiliations subies au quotidien dans ce milieu essentiellement masculin. Leurs témoignages ont beaucoup nourri le parcours de mon  héroïne. Vers la fin, j’emmenais Emmanuelle Devos avec moi pour qu’elle s’imprègne de la gestuelle de ces femmes, de leur façon de s’habiller ou de parler. L’une d’entre-elles m’avait dit : « N’hésitez pas à les faire parler cru ces hommes ! ». Ce n’était pas si facile et j’ai tenté d’être vigilante afin d’éviter la caricature même si toutes les réflexions que j’ai intégrées à mon film, je les ai la plupart du temps recueillies de la bouche même des intéressées.

Vous pointez tout de même le système et son sexisme ambiant…

Oui, j’ai tenté au mieux de retranscrire cette espèce d’ordre naturel, cette « misogynie bienveillante », que je dirais « d’ADN », organisée et gagnante à chaque fois car elle est plus que culturelle : elle est inconsciente, et au final inscrite dans le système. Je voulais montrer cet apartheid. Je me souviens d’un déjeuner avec un haut dirigeant d’une grande entreprise, très charmant, jusqu’au moment où il a compris le sujet de mon film. Il s’est brusquement mis à crier : « Des femmes à des postes de pouvoir, on voudrait bien en mettre mais y’en a pas ! Y’EN A PAS ! ». Sa réaction démesurée démontrait bien que cette problématique l’avait touché et traduisait peut-être aussi une certaine culpabilité. Il est vrai que les grandes entreprises ont du mal à recruter des femmes à de hautes fonctions. Non pas parce qu’il n’y en a pas, mais parce qu’elles ne s’autorisent pas à postuler à ces postes et qu’on ne les y encourage pas. Ou encore certaines renoncent, parce qu’elles imaginent (ou elles savent) qu’ayant pris un poste convoité par des hommes, leur vie va devenir un enfer. Et pendant ce temps-là, les hommes grimpent, grimpent, même les moins bons ! Cela dit, Numéro Une se veut un film positif, et le contraire d’un film victimaire. Le discours victimaire me met souvent mal à l’aise. Je sais que le « doute » est un sentiment partagé par presque toutes les femmes, mais, même atteintes ou blessées, nous devons essayer d’être dans l’avancée, toujours croire que les choses peuvent changer.  

Le film s’ouvre sur le Women’s Forum de Deauville.

C’est la première fois que j’allais dans une manifestation de ce genre, avec autant de femmes ensemble, et j’ai le souvenir d’une très grande gaieté dès la descente du train. Ouvrir et fermer le film sur le Women’s Forum donnait un cadre temporel et symbolique à notre histoire.  Un cliché veut que les femmes accédant à des postes de pouvoir soient pires que les hommes… Emmanuelle Blachey et votre film épousent une thèse toute autre… Bien sûr que certaines femmes peuvent se comporter très mal, adopter des schémas de domination et de pouvoir. Mais si les femmes étaient en nombre important à des postes de décision, si elles n’avaient pas besoin de se battre autant pour exister, je pense qu’il y aurait moins de « tueuses ». Dans Numéro Une, je voulais défendre l’idée que s’il y avait entre 40% et 50% de femmes à la tête des entreprises, le type de gouvernance changerait. On accéderait à un capitalisme plus dialoguant, où entreprendre, lutter et gagner ne serait plus synonyme de guerre de tranchées. Les femmes sont fortes pour le dialogue. Un dialogue plus souple souvent que celui des hommes. Et discuter, c’est l’essence même de l’entreprise, du désir de s’associer, de faire des partenariats. Et au final d’être utile. La vie n’a pas de sens autrement. Le film met en scène des patrons mais le sujet concerne tout le monde car il envisage des changements qui rejailliraient sur toute la société.

C’est grâce à Olympe, un réseau de femmes d’influence, qu’Emmanuelle Blachey accède à son poste. Ce genre de club existe-t-il vraiment ?  

Il y a des réseaux féminins, mais pas de réseaux féminins puissants, m’expliquait l’une des dirigeantes que j’ai rencontrées. Si une femme veut réussir à cette hauteur, elle doit être appuyée par un réseau d’hommes… J’ai donc inventé le pouvoir effectif de ce club, et j’espère l’avoir anticipé… On assiste d’ailleurs à une réunion au sein de ce club Olympe. Il fallait l’incarner, faire qu’à un moment ces femmes se retrouvent et discutent. J’ai auditionné des actrices pour cette scène mais rien n’avait l’air vrai. J’ai alors demandé à une très bonne amie féministe, Sophie Bramly, de me présenter de vraies féministes actives, que j’ai filmées à deux caméras pendant une après-midi où elles dialoguaient sur des thèmes abordables pour le grand public… Dans une des versions de montage, cette scène était plus longue et probablement un peu trop documentaire. Mais quand à la sortie de la projection, un agent m’a dit : « Le film est bien, mais ta réunion Tupperware, t’en as pas besoin ! » je me suis dit : « Ah la vache ! La route est longue… ».   

Vous avez un point commun avec Emmanuelle Blachey : vous êtes la première femme – et toujours la seule à ce jour – à avoir reçu le César du… « meilleur réalisateur ».

Certes mais le cinéma reste un cas à part selon moi. Je n’ai jamais entendu dire qu’un film ne se montait pas parce qu’il était fait par une femme. Je me souviens que Daniel Toscan du Plantier disait que deux mouvements avaient été prépondérants dans le cinéma français : la Nouvelle Vague et l’arrivée en masse des femmes dans le cinéma français à la fin des années 80. Je ne peux pas dire le contraire… Cela bouge aussi au niveau de la technique, avec des filles chef opératrices, machinos… La France est le pays où il y a le plus de réalisatrices femmes. Plus il y en aura, mieux ce sera même si je ne suis pas pour autant d’accord avec l’appellation « films de femmes ». Si tu es cinéaste, peu importe que tu sois homme ou femme… Ce qui importe surtout, ce sont les sensibilités, et la diversité.

Le film s’achève sur un discours officiel d’Emmanuelle au parterre du Women’s Forum qui devient une voix off intérieure… Toujours cette intrication du public et de l’intime…

Je voulais qu’il y ait une ambiguïté : est-ce un discours réel, un discours qu’elle a fait, ou qu’elle va faire ? Que fait-elle sur cette plage ? Et puis je voulais que le film se termine par une chanson. J’avais au départ l’idée de faire chanter a capella Woman de John Lennon par Oxmo Puccino, car je souhaitais qu’un homme rende hommage aux femmes à la fin. Et puis j’ai trouvé une sublime version d’un autre Woman, la chanson de Neneh Cherry, interprétée par une Écossaise, Alex Hepburn. Mais je regrettais qu’il n’y ait pas un homme à la fin, alors, très généreusement, Benjamin a dit : « Je vais appeler Oxmo et on va te la faire ta chanson ». Et voilà, ces deux très beaux « machos » ont écrit et chanté La Femme que je trouve formidable et gaie et qui clôt le film comme je le souhaite…

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