Cinéma : « Les témoins de Lendsdorf » d’Amichai Greenberg, en salles le 13 mars
Yoel est un historien juif orthodoxe, chargé de la conservation des lieux de mémoire liés à la Shoah. Depuis des années, il enquête sur un massacre qui aurait eu lieu dans le village de Lendsdorf en Autriche, au crépuscule de la Seconde Guerre Mondiale. Jusqu’ici patientes et monacales, ses recherches s’accélèrent lorsqu’il se voit assigner un ultimatum : faute de preuves tangibles des faits, le site sera bétonné sous quinzaine…
Extrait d’entretien avec Amichai Greenberg, réalisateur et scénariste*
Les Témoins de Lendsdorf est votre premier long métrage, quelle est l’origine du scénario ?
Le processus d’écriture a duré près de douze ans. Tout a commencé à l’aube de mes 30 ans. J’étais marié et j’avais déjà trois enfants. Je viens d’une famille orthodoxe et j’ai alors commencé à me poser beaucoup de questions sur mon couple et ma vie, sans avoir de point de comparaison pour m’aider à trouver des réponses. Tant et si bien que je me suis demandé si je pouvais me fier à mes propres intuitions. Cela m’a amené à m’interroger sur le rapport à l’identité : Qui suis-je ? Comment se définit-on ? Cela a fini par totalement m’angoisser et j’ai décidé d’écrire sur cette anxiété. D’une certaine façon, je pense que ce scénario m’a façonné plus que je ne l’ai façonné.
Avez-vous tiré votre récit d’événements réels ?
Le contexte historique du film est inspiré du massacre de Rechnitz, en Autriche. Les recherches d’une fosse commune ont débuté juste après la guerre. Il y avait deux témoins : un juif et un non juif. Quand le témoin juif est retourné là-bas, il a été assassiné. Le témoin non juif était celui qui avait amené les armes pour tuer les juifs - lui aussi a été assassiné alors qu’il s’apprêtait à indiquer la localisation de la fosse dans la forêt.
Les recherches ont repris dans les années 80 mais se sont à nouveau arrêtées. La plupart des dates et des noms dans le film sont exacts. Les témoignages des Autrichiens montrés dans le film sont ceux de vrais villageois dont j’ai changé le nom. Ces témoignages avaient été recueillis pour le documentaire Totschweigen (A Wall of Silence, 1994) réalisé par Eduard Erne et Margareta Heinrich qui ont gentiment accepté de me laisser utiliser les témoignages de trois personnes. Avec ces extraits, je voulais montrer jusqu’où vont le déni et le refoulement. Ce sont des gens qui peuvent être très émus, très sympathiques et qui pourtant ne disent pas la vérité. C’est un petit village et il est très peu probable que ces gens qui vivent là depuis toujours ne sachent pas où se trouve cette fosse commune. La grande différence est qu’en réalité, la fosse commune n’a pas été retrouvée. L’histoire de Yoel est également une pure fiction.
Le film a été projeté en Israël en présence de l’ambassadeur d’Autriche et en décembre 2017, j’ai appris dans un journal autrichien que pour la première fois le gouvernement autrichien avait décidé de chercher la fosse. Je ne sais pas si cette décision a un lien avec le film, mais c’est comme si un cycle qui se terminait.
Quel est l’organisme pour lequel travaille Yoel ?
Dans le film, Yoel travaille pour un organisme qui est un composite de différents centres de recherche. Nous avons demandé au Mémorial de Yad Vashem l’autorisation de tourner, mais sans même avoir lu le scénario, ils nous ont répondu qu'ils ne collaboraient à aucun film de fiction. Je connaissais bien ces centres de recherche, ayant moi-même réalisé des centaines d’heures d’entretiens pour la Shoah Foundation créée par Steven Spielberg en 1994, les archives de l’histoire audiovisuelle des survivants de la Shoah.
Existe-t-il des « documents classifiés » comme ceux montrés dans le film ?
Oui. Il existe toutes sortes de raisons pour lesquelles les gens ne veulent pas que ces documents soient déclassifiés. Par exemple, ils ne veulent pas que leurs proches connaissent la souffrance par laquelle ils sont passés ; ou encore certains avaient toute une famille avant la Shoah et ne savent absolument pas ce que cette famille est devenue et ne veulent pas que leur famille actuelle fasse des recherches ou pose des questions.
D’où vient le personnage de la mère ?
Il m’a été inspiré par le personnage du roman Katerina d’Aharon Appelfeld. Il s’agit d’une femme chrétienne qui était servante dans une maison juive, et qui a assisté, impuissante, à l’horreur de la Shoah.
L’histoire de Yoel résonne-t-elle avec votre propre expérience personnelle ?
Mon père ne pouvait ou ne voulait pas partager avec moi son expérience des camps. J’ai grandi dans un vide émotionnel et existentiel. L’histoire que j’ai choisi de raconter est celle d’un homme piégé par les non-dits. Elle représente le silence de sa mère qui lui cache la vérité et celui des villageois qui renient leur histoire. Lorsque l’on est entouré par le silence, on se demande à qui on peut faire confiance et comment on peut construire sa vie dans un tel environnement. Au lieu de nous tourner vers le passé, celui-ci est encore bien vivant.
Par ailleurs, j’étais fasciné par un sujet intime au coeur d’une grande histoire, qui soit le reflet du conflit interne de Yoel. Si vous découvrez soudainement que vous n'êtes pas juif, cette vérité dérangeante fragilise votre monde. Physiquement, vous restez le même, mais votre identité est bouleversée. J'ai donc eu l'idée de fusionner les deux histoires.
* Entretien issu du dossier de presse
Plus d’infos sur le site de Condor films
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