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Cinéma : « L'Adieu à la nuit » d'André Téchiné, en salles le 24 avril

Muriel est folle de joie de voir Alex, son petit-fils, qui vient passer quelques jours chez elle avant de partir vivre au Canada. Intriguée par son comportement, elle découvre bientôt qu’il lui a menti. Alex se prépare à une autre vie. Muriel, bouleversée, doit réagir très vite…

Article rédigé par franceinfo
Radio France
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L'adieu à la nuit (André Téchiné)

Extrait d'entretien avec André Téchiné*

SERGE KAGANSKY : Comment a démarré le projetde L’Adieu à la nuit ?

ANDRÉ TÉCHINÉ : Il y a eu convergence de plusieurs choses. D’abord un livre de David Thomson (Les Français, jihadistes, Les Arènes), recueil d’entretiens très bruts, très crus, de jeunes français partis en Syrie faire le jihad. Leurs paroles m’ont fait penser au moment où Jacques Nolot m’avait montré le texte de La Matiouette. Ça m’intéressait de voir si on pouvait incarner ces paroles en mettant en scène des acteurs, si on pouvait transformer ce matériau de reportage en matière de cinéma. Il y avait aussi la question du regard d’une personne de ma génération, d’où la présence de Catherine (Deneuve), avec cette complicité et ce désir de renouvellement qui nous lient depuis longtemps. Je souhaitais un champ/contrechamp entre Catherine et ces dialogues bruts de jeunes jihadistes prélevés directement dans le réel. Enfin, il y avait aussi le motif de la transition juvénile qu’est l’adolescence, avec cette grand-mère qui découvre un aspect de la post-adolescence qui a pris un visage terrifiant. Qu’est-ce qu’on ferait à sa place, face à une telle situation ?

S.G. : L’Adieu à la nuit semble amener un sujet brûlant de l’actualité vers votre univers cinématographique où on retrouve la jeunesse, la famille, les paysages du sud-ouest, les saisons… Aviez-vous conscience de cette convergence entre le sujet « jeunes attirés par le jihad » et vos préoccupations de toujours ?

A.T. : Je n’en avais pas conscience. J’ai co-écrit avec Léa Mysius (réalisatrice de Ava) et c’est elle qui a rédigé le premier jet. J’ai ensuite repris tout ça et j’ai beaucoup travaillé sur le terrain, par rapport au milieu jihadiste dont je n’avais aucune connaissance ni expérience.

S.G. : Éprouviez-vous une crainte à l’idée d’aborder le contexte de la radicalisation religieuse, sujet sulfureux, délicat à manier, objet de multiples polémiques dans les médias ?

A.T. : Pour ces adolescents attirés par le jihad, il y a un « désir furieux de sacrifice ». Je trouvais ça certes brûlant, mais aussi susceptible de ne pas intéresser que moi, mais tout le monde. C’est un sujet clivant et ouvert à la fois. Et ce film ne représente que mon regard sur ce sujet, c’est une proposition de fiction. Quand des adolescents prennent ce nouveau visage « monstrueux », cherchent un nouvel enracinement, c’est comme une conversion maléfique dans un pays inconnu. Cinématographiquement, cela m’amenait vers une dimension de fantastique intérieur.

L'Adieu à la nuit (©Curiosa Films – Bellini Films – Arte France Cinema – ZDFArte – Legato Films – Films Bo)

S.G. : Le film est renoirien au sens où vous ne jugez pas vos personnages et où vous les regardez tous avec la même attention. Les deux jeunes joués par Kacey Mottet Klein et Oulaya Amamra font des choix funestes, condamnables, mais en même temps, vous les montrez habités par un idéal romantique qui les rend troubles, passionnants, ambigus, aussi aimables que détestables. Et à l’inverse, la grand-mère est un personnage bienveillant mais qui a aussi ses zones d’ombres…

A.T. : On s’identifie forcément plus facilement à Muriel, la grand-mère jouée par Catherine. Quand elle prévient la police, c’est un geste de délation mais surtout un geste salvateur, protecteur. J’ai essayé d’éviter la caricature, j’ai recherché la complexité morale en dressant un constat. Concernant Alex (Kacey Mottet Klein) et Lila (Oulaya Amamra), le processus de déshumanisation dans lequel ils s’engagent est terrifiant, mais en même temps, ils restent humains. À la fin, c’est la liberté de chaque spectateur d’être triste ou soulagé quand le rêve toxique de ces jeunes s’effondre avec l’arrestation.

L'Adieu à la nuit (©Curiosa Films – Bellini Films – Arte France Cinema – ZDFArte – Legato Films – Films Bo)


S.G. : Le film est traversé par une tension, une énergie, un suspens, presque comme dans un thriller…

A.T. : Je voulais montrer ces jeunes dans la situation concrète des préparatifs de leur futur voyage. Comment fait-on pour réunir l’argent, comment on se regroupe, tout cela en se cachant de son entourage, en restant clandestin… Il y avait là des éléments de polar, de film de braquage, sans besoin de forcer sur les codes de genre. Je voulais suivre leur mouvement, suivre leur action.

S.G. : Vous avez évoqué le fantastique et le polar… On pourrait aussi voir un arrière-plan western dans L’Adieu à la nuit. Pourquoi avoir choisi de le situer dans un centre équestre ?

A.T. : Je voulais échapper à la sociologie, au cinéma sociétal, je souhaitais un cadre mythologique. Je recherchais un rapport plus élargi au monde, d’où le règne animal avec les chevaux et le sanglier, le règne végétal avec les fleurs qui deviennent des fruits, et puis le cosmos, l’éclipse… Ça me plaisait aussi que la politique soit absorbée par la religion, et que l’actualité soit transformée en un univers de fiction et de cinéma.

* Extrait d'entretien issu du dossier de presse

Plus d'information sur le site d'Ad Vitam

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