: Reportage "On n'est pas comme lui" : dans le Colorado, les républicains se déchirent autour de la candidature de Donald Trump à la présidentielle américaine
"S'il le faut, je pourrais me prendre une balle à la place de Donald Trump." Dans le sous-sol de sa maison de Windsor, dans le nord du Colorado, Trent Leisy, 43 ans, n'a pas assez de superlatifs pour décrire l'ancien président des Etats-Unis, candidat à un nouveau mandat. Il se remémore ces quelques fois où il l'a rencontré. Notamment dans sa somptueuse résidence de Mar-a-Lago en Floride. "Il m'a serré la main. On sent que c'est quelqu'un qui aime les gens, s'émeut ce fils de fermiers et ancien vétéran de la marine. C'est l'homme le plus gentil, le plus droit que je connaisse."
Supporter "die hard", comme il le dit, de Donald Trump, le quadragénaire fait campagne depuis plusieurs mois pour que le milliardaire remporte les primaires républicaines du Colorado organisées lors du "Super Tuesday" mardi 5 mars. Ce jour-là, le Parti républicain et le Parti démocrate organisent leurs primaires et caucus dans quinze Etats simultanément pour désigner leur candidat à la présidentielle du 5 novembre. Côté républicain, Donald Trump part grand favori. Depuis le début de la course à l'investiture, il a remporté haut la main la quasi-totalité des Etats en jeu face à sa rivale Nikki Haley.
"Personne ne peut le faire taire"
"C'est le chef qu'il nous faut pour redresser le pays", reprend Trent Leisy, en réajustant sa cravate rouge. Son admiration pour le milliardaire s'affiche partout dans sa maison. Il a notamment trois poupées géantes à l'effigie de Donald Trump. L'une porte une casquette "Make America Great Again", célèbre slogan du républicain. Les mannequins "sont grandeur nature, juste un peu amincis", glisse, amusé, son jeune assistant. Lui-même porte un sweat à l'image de Donald Trump avec les inscriptions "Sexiest man alive" ("L'homme le plus sexy du monde").
A neuf mois de l'élection présidentielle, Trent Leisy est persuadé que son idole va revenir à la Maison Blanche "pour un troisième mandat". "Il a bien été élu en 2020, mais l'élection lui a été volée", justifie-t-il, en référence à la théorie du complot selon laquelle Donald Trump est le véritable vainqueur de la présidentielle de 2020 qui l'opposait à Joe Biden. Il fait partie de ces plus de six électeurs républicains sur dix croyant en ce "fait alternatif", selon une enquête d'opinion. "Le problème, c'est que des juges gauchistes et l'establishment font tout pour l'écarter de la course", accuse-t-il, à propos des magistrats de la Cour suprême du Colorado, dont il pense qu'ils sont "soutenus par Georges Soros", le milliardaire philanthrope américain juif, honni des complotistes et de l'extrême droite américaine.
En décembre 2023, la Cour suprême du Colorado a déclaré Donald Trump inéligible en raison de ses agissements lors de l'assaut du Capitole par ses partisans le 6 janvier 2021. Elle s'est basée sur le 14e amendement de la Constitution américaine qui prévoit l'inéligibilité de ceux qui se sont "engagés dans une insurrection ou une rébellion" contre le pays. Mais Donald Trump a fait appel et la Cour suprême fédérale lui a donné raison. Les juges ont considéré que seul le Congrès, et non les Etats, pouvait demander le retrait d'un candidat des bulletins pour l'élection présidentielle.
Quelques jours après cette décision de la justice coloradienne, Trent Leisy a organisé un convoi de supporters de Donald Trump depuis son comté de Weld vers Forth Collins, l'une des plus grandes villes de l'Etat. "C'est de l'acharnement judiciaire, de l'abus de pouvoir", fulmine-t-il. Egalement candidat républicain au Congrès local avec le slogan "Make Colorado Great Again", il veut aller encore plus loin et appelle à poursuivre les juges du Colorado pour trahison, une accusation passible de la peine de mort, rappelle 9News Denver. "Ils ne réussiront pas à faire taire Trump. Personne ne peut le faire", assure-t-il.
"L'establishment a peur de Donald Trump parce qu'ils ne peuvent ni le contrôler, ni l'acheter. Donald Trump s'en fiche du politiquement correct et ils n'aiment pas ça."
Trent Leisy, supporter de Donald Trumpà franceinfo
Paradoxalement, les nombreuses enquêtes judiciaires dont fait l'objet l'ancien président ont uni et galvanisé une grande partie des supporters du milliardaire. Dans le Colorado, le Parti républicain lui a officiellement apporté son soutien, bien qu'il soit tenu par un devoir de réserve avant le scrutin. Le "Grand Old Party" a prévenu que si son nom ne figurait pas sur les bulletins de vote, il envisagerait d'annuler la primaire pour la transformer en caucus, un processus électoral réservé aux seuls membres du parti, rapporte NBC News.
"La Cour a choisi la liberté d'expression"
De nombreuses voix républicaines estiment que l'assaut du 6 janvier 2021 ne peut être qualifié ni d'insurrection ni même de rébellion. "Ce n'est pas allé jusque-là. Il y a probablement des personnes qui étaient au Capitole et ont été entraînées par la foule, mais comme lors d'un match de football", défend Joy G. Hoffman. Cette républicaine de 70 ans, au tailleur bleu impeccable, est engagée au sein du parti depuis des décennies. Présidente de la section du comté d'Arapahoe, au sud-est de Denver, elle se réjouit de la décision de la Cour suprême fédérale en faveur de Donald Trump. "La Cour a choisi la liberté d'expression, salue-t-elle. C'est d'autant plus fort que les neuf juges se sont prononcés de façon unanime."
Pour la conservatrice, les responsabilités du 6 janvier sont à chercher du côté du camp démocrate. "Madame Pelosi avait été avertie des risques de troubles, et elle n'a délibérément rien fait. Or, en tant que présidente [démocrate] de la Chambre des représentants, elle était responsable de la sécurité du Capitole", tranche-t-elle.
"Le 6 janvier, Donald Trump n'a jamais rien dit pour encourager une insurrection. Ce qu'il a dit relève de la liberté d'expression."
Joy G. Hoffman, membre du parti républicainà franceinfo
A ses côtés, Ashley Troxell, première vice-présidente de la Fédération des femmes républicaines du Colorado, estime que le maintien de Donald Trump sur les bulletins de vote du Colorado "réaffirme l'un des principes fondamentaux de la démocratie américaine : le pouvoir du peuple de choisir ses responsables politiques", s'enthousiasme-t-elle.
Cette républicaine, qui a autrefois soutenu Bernie Sanders, figure de l'aile gauche de la classe politique américaine, pense que l'assaut du Capitole n'est dans tous les cas pas le genre d'acte propre aux partisans de Donald Trump. "Il y a eu des émeutes de Black Lives Matter ou des émeutes propalestiniennes, où des gens ont essayé de rentrer dans la Maison Blanche, défend-elle. Il y a peut-être eu des mauvaises intentions le 6 janvier, mais on voit ça aussi à gauche."
"Il ne devrait pas pouvoir être élu"
Ce jour restera en tout cas à jamais gravé dans la mémoire de Norma Anderson. "J'ai passé la journée à regarder la télévision, je n'arrivais pas à y croire", explique cette figure historique du parti républicain du Colorado. A 91 ans, "je suis assez âgée pour me souvenir de la Grande Dépression, de la Seconde Guerre mondiale, mais ce qui s'est passé ce jour-là, je ne l'avais jamais vu". Norma Anderson "est née et a été élevée républicaine". Elle a même été la première femme leader de la majorité républicaine au Congrès du Colorado. En décembre, elle est devenue la plaignante principale de la procédure judiciaire contre Donald Trump dans l'Etat.
"Trump a violé la Constitution et ne devrait donc pas pouvoir être élu", estime-t-elle, assise dans le salon de sa coquette maison d'une résidence sécurisée de l'agglomération de Denver, où des exemplaires de la Bible et de la Constitution sont rangés sur les étagères. Celle qui a passé toute sa carrière au sein du GOP observe d'un œil attristé l'évolution de son parti. "Il existe des divisions entre ceux qui croient au Parti républicain que j'ai toujours connu, et ceux qui croient en un démagogue", lâche-t-elle. Selon elle, les valeurs de libre entreprise, du respect de la Constitution et de la démocratie ont été mises de côté au profit du seul succès de Donald Trump.
"Je veux que le président soit un homme que mes petits-enfants puissent regarder dans les yeux."
Norma Anderson, plaignante contre Donald Trumpà franceinfo
C'est pour les mêmes raisons que Krista Kafer, affiliée républicaine et éditorialiste au Denver Post, est également devenue plaignante. En 2020, elle avait pourtant voté pour Donald Trump. "Je savais que c'était une personne horrible, mais j'étais d'accord avec sa politique. Mais il est allé encore plus loin que ce que j'aurais pu imaginer, explique-t-elle autour d'un café, près du Capitole du Colorado. Elle se dit "évidemment très déçue" par la décision de la Cour suprême fédérale, mais souligne que cette dernière s'est gardée de qualifier les actes du candidat républicain. "Ça ne veut donc pas dire que Trump n'a pas participé à une insurrection", remarque-t-elle.
Depuis sa plainte, Krista Kafer dit subir des menaces, avoir perdu des amis. "C'est là où on reconnaît les vrais", confie-t-elle. Sur les réseaux sociaux, les soutiens de Donald Trump la traitent de "RINO" ("Republican in name only"), une expression dénigrant "ceux qui n'ont de républicain que le nom". Mais elle assure ne pas être la seule à penser ainsi. "Beaucoup ont quitté le parti à cause de Trump et vont voter indépendant cette année", suppose-t-elle.
"Notre plainte a eu le mérite de montrer que des républicains étaient consternés et opposés à la violence du 6 janvier."
Krista Kafer, plaignante contre Donald Trumpà franceinfo
Malgré l'échec de la procédure, Norma Anderson promet de respecter les institutions américaines. "On ne contestera pas. On n'est pas comme lui", lâche-t-elle avec un sourire.
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