Tentative d'assassinat contre Donald Trump : "Ces événements engendrent toujours des théories complotistes", explique le directeur de Conspiracy Watch
Trois jours après la tentative d'assassinat contre Donald Trump, samedi 13 juillet, lors d'un meeting en Pennsylvanie, l'enquête suit son cours. Si le tireur a été identifié, plusieurs questions demeurent pour l'instant sans réponse. Dans le même temps, des dizaines de théories complotistes ont émergé en ligne. Rudy Reichstadt, créateur et fondateur de Conspiracy Watch, observatoire qui traque le complotisme sur les réseaux sociaux, revient sur ce phénomène pour franceinfo.
Franceinfo : En quoi cette tentative d'assassinat est-elle particulièrement propice à l'émergence de théories conspirationnistes ?
Rudy Reichstadt : L'absence de théorie aurait été extraordinaire, étrange et mystérieuse. Compte tenu de l'imaginaire complotiste très fort aux Etats-Unis, il était évident que des théories allaient voir le jour. D'abord à cause de l'événement en lui-même. Une tentative d'assassinat, sur un ancien président qui est candidat à la prochaine élection présidentielle, c'est unique. Aux Etats-Unis, plusieurs présidents ont subi une tentative d'assassinat, certains ont même été tués de cette manière, comme John Fitzgerald Kennedy. La population fait donc forcément un parallèle entre les événements.
La capacité à s'exprimer en temps réel sur les réseaux sociaux explique aussi l'avènement de ces théories. Les Américains ont pu voir les images en direct ou presque. Dans les secondes, les minutes qui ont suivi, on a pu observer l'apparition de ce type de discours sur les réseaux sociaux.
Ces événements provoquent toujours l'émergence de théories complotistes. La même chose est arrivée lors de la tentative d'assassinat du Premier ministre slovaque, Robert Fico, en mai, et celle de Jair Bolsonaro en 2018. Enfin, Donald Trump est une personnalité polarisante et clivante, ce qui génère forcément davantage de réactions.
Quel est l'objet précis de ces théories ?
On est dans un schéma complotiste assez classique. On cherche à savoir à qui peut profiter le crime. Des adversaires de Donald Trump parlent d'une mise en scène pour servir le candidat républicain. Beaucoup de comptes mettent en avant des arguments absurdes comme les coups de feu qui ne devraient pas faire le bruit entendu dans les vidéos, selon eux.
Dans le camp Trump, les théories tournent autour du suspect. Certains pensent qu'il est démocrate, qu'il est antifa [mouvement politique se prévalant de l'antifascisme], mondialiste, manipulé par le FBI, qu'il a été engagé par des élites politiques démocrates... Des Américains d'extrême droite pensent qu'il est un faux patriote et un mondialiste. De l'autre côté de l'échiquier politique, les Américains s'attendent au pire de la part de Donald Trump et l'imaginent capable d'orchestrer sa propre tentative d'assassinat.
L'environnement politique actuel exacerbe-t-il la diffusion de ces discours complotistes ?
L'arrivée de Donald Trump au pouvoir en 2017 a créé un très grand clivage dans le pays. Il est soit détesté, soit adoré. Donc, évidemment, cela ne va pas passer inaperçu et susciter des spéculations. Il a contribué à polariser cette société. Aujourd'hui, on observe une société très divisée, deux Amériques cohabitent.
Le contexte des élections électorales vient renforcer cette polarisation, mais si la tentative d'assassinat avait eu lieu hors période d'élections, il est presque certain que des théories du même type auraient également circulé. Il n'y a pas eu de période calme depuis 2016 [année où s'est tenue l'élection présidentielle américaine où Donald Trump l'a emporté].
L'une des raisons de cette polarisation demeure dans l'accès à l'information. Internet et les réseaux sociaux favorisent les contenus polarisants, qui suscitent de la colère. Ce n'est pas le seul facteur, mais il est probable que cela joue dans la montée des populismes dans nos démocraties depuis quinze ans. Aujourd'hui, tous les ingrédients sont là pour des théories du complot émergent rapidement.
Dans quel but ces personnes relaient-elles ces fausses informations ?
Leur but ici n'est pas d'informer la population, mais de la manipuler. La mouvance complotiste est très bien structurée, elle alimente les réseaux sociaux et assure une sorte d'offre du complotisme, pour attirer l'attention et essayer de la maintenir. La complosphère est une usine à fabriquer des théories et des outils complotistes. Et ce n'est pas fini : dans les prochains jours, on va sans doute voir émerger des scénarios bien ficelés sur le sujet.
Peuvent-elles servir Donald Trump dans sa campagne pour l'élection présidentielle ?
On peut très bien imaginer que cela lui profite. Il peut se présenter comme une sorte de martyr. Les images montrent une combativité, il vient d'échapper à la mort et brandit son poing en criant "Fight" ("Battez-vous"). C'est une image forte qui est déjà imprimée sur des tee-shirts.
Quant aux théories, elles montrent qu'il est en guerre contre ses ennemis et ceux du peuple américain. Une guerre à la vie, à la mort. Pour lui, la politique n'est pas un jeu. Il se présente comme le sauveur de l'Amérique. Cela renforce sa posture d'invincibilité. Il sort de cet événement dans une posture héroïque, ce qui contraste avec son adversaire, Joe Biden, affaibli.
Il commentera l'événement dans le sens qui l'arrangera. Donald Trump a un rapport très cynique à la question du vrai et du faux. Il va instrumentaliser ce sujet jusqu'à la corde. Mais si penser que cet événement va sûrement lui profiter [dans les sondages] est une chose, assurer qu'il l'a lui-même orchestré est une autre chose. Il y a un grand pas entre ces deux affirmations et on bascule dans le conspirationnisme.
Comment Donald Trump a-t-il nourri les théories complotistes ?
Il les a banalisées, normalisées et popularisées, y compris celles les plus extrêmes. Il joue avec elles. Il est l'un des acteurs du complotisme contemporain et un champion du complotisme de droite aux Etats-Unis.
En arrivant au pouvoir en 2017, il avait introduit la notion de "Deep State", l'Etat profond. Selon lui, son mandat était saboté par des personnes. Sans les nommer, il faisait référence à des élites politiques proches des démocrates, cachées de la population civile.
Il est aujourd'hui considéré comme l'incarnation du populisme. Mais ce n'est qu'un visage. En Slovaquie, ce rôle est rempli par Robert Fico, au Brésil par Jair Bolsonaro, en Italie par Matteo Salvini et en France par Marine Le Pen. Cela s'inscrit dans une vague populiste plus globale.
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