: Reportage "Si quelqu'un veut nous faire du mal, il le fera" : à Atlanta, les assesseurs se préparent à une élection présidentielle "très contestée"
"Aucun travail ne vaut d'être harcelée." Lors de la présidentielle américaine de 2020, Debbie faisait partie des assesseurs chargés de dépouiller les votes par correspondance dans le comté de Cobb, près d'Atlanta (Géorgie). Mais l'arrivée de militants trumpistes "menaçants" a perturbé le processus. "Il a fallu appeler la police. (...) C'était très intimidant. Ça aurait pu dégénérer", raconte la militante démocrate de 69 ans, rencontrée à la réunion mensuelle de sa section, dans la petite salle de conférences du centre des arts de Smyrna. Quatre ans plus tard, à l'approche d'un scrutin dont Donald Trump menace déjà de ne pas reconnaître les résultats, la retraitée "ne veut plus être assesseure".
L'expérience vécue par Debbie est loin d'être unique. En 2022, lors des élections de mi-mandat, Mitch a fait face à un électeur particulièrement récalcitrant dans un autre bureau de vote du comté de Cobb. "Il est arrivé avec un tee-shirt avec le nom de Trump", raconte le retraité de 70 ans, qui supervisait les locaux ce jour-là. Or aux Etats-Unis, les signes partisans sont interdits à l'intérieur des bureaux. "Lorsque je lui ai dit que ce n'était pas autorisé, il est devenu très agressif." Cet ancien responsable marketing, venu tenir un stand du Parti démocrate dans une fête foraine de Marietta, samedi 21 septembre, raconte l'altercation avec un sourire en coin, placide.
Intimidations et menaces de mort
L'épouse de Mitch se montre moins sereine. Car, à l'approche de l'élection présidentielle, la tension autour du duel entre le républicain Donald Trump et la démocrate Kamala Harris fait craindre des violences au lendemain du scrutin. "Quand on est venus [tenir le stand] ce matin, nos enfants nous ont dit de faire attention. C'est quand même triste", se désole la militante démocrate.
Les assesseurs, volontaires rémunérés par les comtés pour leurs fonctions, ne sont pas les seuls visés. Selon une étude parue en mai et relayée par NBC News, 38% des fonctionnaires américains chargés de l'organisation des élections disent être victimes de menaces ou de harcèlement. Et 54% se disent inquiets pour la sécurité de leurs collègues, précise la chaîne. "Comment ne pas se sentir préoccupé, quand on voit le monde fou dans lequel on vit aujourd'hui", admet Francine Gadson, responsable d'un bureau de vote dans le comté de Gwinnett.
Cela fait déjà quatorze ans que cette ancienne professeure est assesseure en Géorgie. Jusqu'à présent, elle n'a jamais été victime de menaces ou de pressions. "Mes amis me disent d'être prudente, mais je ne suis pas particulièrement stressée", assure-t-elle avec un sourire. La retraitée de 71 ans reconnaît toutefois que les travailleurs électoraux, qu'ils soient assesseurs ou fonctionnaires, sont particulièrement exposés depuis la dernière présidentielle.
A l'époque, Donald Trump avait affirmé, sans preuves, que le scrutin avait été entaché de fraudes en Géorgie. Lors d'une conférence de presse, son avocat de l'époque, Rudy Giuliani, avait même cité le nom de deux assesseures du comté de Fulton, une mère et sa fille, assurant qu'elles avaient permis des irrégularités dans leur bureau. Un mensonge qui a valu aux deux femmes, Ruby Freeman et Shaye Moss, des mois de harcèlement, d'injures racistes et de menaces de mort, relève CNN.
"Cette affaire m'a perturbée. Vous imaginez que quelqu'un livre votre nom au public, alors que vous n'avez rien fait de mal ?"
Francine Gadson, responsable d'un bureau de vote dans le comté de Gwinettà franceinfo
En 2020, après les rumeurs de fraude lancées par Donald Trump, des élus du comté de Gwinnett avaient, eux aussi, été victimes de menaces. Le moindre détail éveillait la suspicion de certains électeurs. "Un de nos prestataires, qui transportait des téléphones inutilisés appartenant au comté, a été suivi et filmé à travers la ville", raconte, incrédule, Zach Manifold, superviseur des élections dans cette circonscription. L'incident, qui s'est produit avant son arrivée à Lawrenceville, illustre la crispation qui régnait alors en Géorgie.
Tensions supplémentaires, policiers supplémentaires
Depuis, les heurts semblent s'être en partie apaisés. Il n'y a plus eu de menaces visant des responsables du comté de Gwinnett. Mais pour le scrutin à venir, les autorités ne veulent pas prendre de risques. Assis dans une petite salle où les futurs assesseurs seront bientôt formés, Zach Manifold avoue ne "jamais avoir eu autant de réunions" pour discuter de la sécurité dans les bureaux de vote. Après quinze ans à superviser des élections, ce fonctionnaire natif de l'Ohio est pourtant rodé aux questions d'organisation.
"Ce qui est préoccupant, c'est qu'on en arrive à ce stade à cause de la quantité incroyable de désinformation autour des élections", dénonce Zach Manifold. "On est dans un contexte de tensions accrues, surtout en Géorgie", l'un des quelques "Etats pivots" qui peuvent faire basculer la présidentielle, constate le quadragénaire. "Alors on fait encore plus d'efforts en termes de sécurité."
Comme lors de précédents scrutins, des policiers seront affectés à la surveillance des sites où se déroulera le vote anticipé pour la présidentielle, à partir du 15 octobre. Le comté de Gwinnett a été "précurseur sur ce dispositif", se félicite Zach Manifold. "Mais jusqu'ici, nous n'avions pas eu besoin d'un plan de grande ampleur pour le jour de l'élection." Impossible d'avoir un agent dans chacun des plus de 150 bureaux qui ouvriront leurs portes le 5 novembre. Les membres du département du shérif "auront chacun un périmètre recouvrant plusieurs lieux et feront des rondes", afin de pouvoir intervenir au moindre signalement, détaille Zach Manifold.
"Il faut être prudent"
Le comté s'assure aussi de préparer les assesseurs à toutes les situations. Après le départ du superviseur des élections, la salle se remplit d'une dizaine de personnes, pour la plupart âgées de plus de 50 ans. En trois heures, elles doivent apprendre à utiliser le contenu de la mallette vert fluo posée devant elles : les "poll pads", ces registres électroniques qui permettront de vérifier l'identité des électeurs le jour du vote.
Dennis, le formateur, prend le temps de leur rappeler les règles d'éthique et de sécurité. Interdit de faire campagne dans les bureaux de vote. Les observateurs, ces personnes nommées par chaque parti pour surveiller le déroulement des élections, "n'ont pas le droit de vous parler, ni de rester debout derrière la machine à voter", liste rapidement le fonctionnaire, pendant que certains prennent des notes. "Cette année, nous allons avoir une élection très contestée, alors il faut être prudent, insiste-t-il. Et s'il y a le moindre problème, vous prévenez tout de suite le responsable du bureau."
Dans le comté de Cobb, à 30 minutes de route de Lawrenceville, on est tout aussi prudent. Le 5 novembre, chaque responsable de bureau sera doté d'un dispositif d'alerte, permettant de prévenir la police en cas d'incident, rapporte le Guardian. Mitch, qui sera équipé d'une de ces radios, doute de l'efficacité de la mesure. "Si quelqu'un veut nous faire du mal, il le fera", balaie le retraité avec flegme.
"Ces dispositifs d'alerte, c'est pour rassurer les assesseurs. Mais ça ne garantira pas notre sécurité."
Mitch, responsable d'un bureau de vote dans le comté de Cobbà franceinfo
Pas de quoi empêcher le retraité d'aller "faire son travail" le matin du 5 novembre. Zach Manifold se sent, lui aussi, "relativement en sécurité". "Une fusillade a fait quatre morts dans un lycée à 15 kilomètres de chez moi, début septembre", rappelle-t-il. "Mon épouse est enseignante, j'ai deux enfants à l'école. Ils sont plus exposés que moi, juge le fonctionnaire gravement. A ma connaissance, il n'y a pas encore eu d'agressions physiques contre des travailleurs électoraux."
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