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Relations entre Washington et Moscou : "C'est à qui baissera les yeux le premier"

Selon la politologue Marie-Cécile Naves, il règne un "froid glacial" entre les États-Unis et la Russie depuis la frappe américaine en Syrie. Entre les deux pays, "c’est à qui baissera les yeux le premier", dit-elle.

Article rédigé par franceinfo
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Le président des États-Unis Donald Trump au téléphone avec Vladimir Poutine, le 28 janvier 2017. (PETE MAROVICH / PETE MAROVICH - POOL VIA CNP)

Le dossier syrien est au menu des discussions mardi 11 avril à Lucques, en Italie, avec un sommet des ministres des Affaires étrangères du G7 où le secrétaire d'État américain Rex Tillerson sera en première ligne avant d'aller à Moscou. Il connaît bien la Russie : il s'y est souvent rendu dans le cadre de ses anciennes fonctions au sein du groupe pétrolier ExxonMobil. Mais l'atmosphère a changé entre les Russes et les Américains depuis la frappe américaine en Syrie. Selon Marie-Cécile Naves, sociologue, docteur en sciences politiques de l’université Paris-Dauphine et auteur de Trump, L’onde de choc populiste, il règne désormais un "froid glacial" entre Washington et Moscou. 

franceinfo : Rex Tillerson se rend à Moscou. Le président russe Vladimir Poutine ne va pas le recevoir, comment l’analysez-vous ?

Marie-Cécile Naves : C’est un signe de froid glacial entre les deux. Rex Tillerson ne rencontrera que Sergueï Lavrov, le ministre russe des Affaires étrangères. Poutine et Tillerson se connaissent bien. Poutine l’a décoré quand il était patron d’Exxon. Pendant la campagne électorale américaine, et au tout début de la présidence de Donald Trump, Rex Tillerson avait eu des mots sympathiques vis-à-vis de la Russie. On soupçonnait qu’il irait dans le sens de la levée des sanctions contre la Russie. Là, il a des mots presque plus durs que Trump. Il a parlé d’incompétence de la Russie dans la lutte contre les armes chimiques en Syrie. Il accuse également Moscou d’ingérence dans les campagnes électorales européennes, notamment française. Cela permet de faire diversion sur les très forts soupçons d'ingérence russe dans la campagne présidentielle américaine.

Il y a eu des mots également sur la Crimée, sur l’Ukraine, sur les opposants arrêtés et emprisonnés après la manifestation du mois de mars en Russie. Y voyez-vous une part de théâtralisation ?

Oui, bien sûr. C’est à qui baissera les yeux le premier. Il y a tout de même des relents de Guerre froide et de l’intimidation. Là, ils vont être obligés de discuter, sur la question syrienne notamment. Si les Etats-Unis ont fait ce coup de force, la semaine dernière, il n’est pas question pour eux de perpétuer un unilatéralisme, à moins de revenir à l’idéologie néo-conservatrice dont on connaît les conséquences en termes de chaos au Moyen-Orient.

On a aussi l’impression que l’on ne dépasse pas la ligne rouge diplomatique. Si c’était si grave, la visite aurait été annulée, non ?

Ils sont obligés de discuter. L’unilatéralisme ne peut plus fonctionner dans le contexte actuel. Les jeux d’alliances sont beaucoup trop compliqués et changeants au Moyen-Orient. Il y a un autre partenaire dans cette histoire, l’Iran. On ne peut donc plus agir seul. Par ailleurs, ce qui est assez inquiétant aux Etats-Unis, c’est qu’on a l’impression que Donald Trump n’a pas de stratégie géopolitique en général et au Moyen-Orient en particulier. Avec lui, c’est le dernier qui a parlé qui a raison. Au départ, la ligne non-interventionniste, incarnée par Stephen Bannon et l'"America First", dominait. Ce dernier a été écarté du Conseil de sécurité nationale, sous l’influence des généraux dont Trump s’est entouré. On a donc aujourd’hui une ligne de force plus interventionniste mais modérée, qui prend le pas sur la ligne isolationniste. On ne sait pas ce qu’il y a dans la tête de Donald Trump, d’un jour, d'une semaine à l’autre. On a l’impression qu’il y a aussi des désaccords internes.

Comment Vladimir Poutine peut-il réagir, selon vous ?

L’intérêt de Poutine n’est pas d’aller vers une escalade militaire. Les jours qui viennent vont être très importants dans l’évolution du rapport de force entre Washington et Moscou. Vladimir Poutine a sans doute été déstabilisé. Le président russe a voulu Trump comme président. Mais il se rend compte que Trump ne peut pas être la marionnette qu’il avait peut-être imaginée, que c’est quelqu’un d’imprévisible, y compris pour lui. Ce qui est stupéfiant, c’est le coup de force de Trump. Il apparaît comme la tête de pont du monde libre, y compris dans la presse française. Je suis frappée de voir qu'il a trouvé une aura alors qu’en réalité on ne sait rien de ses intentions. C’est un coup tactique très fort de sa part.

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