Election américaine : pourquoi le résultat définitif de la présidentielle entre Joe Biden et Donald Trump se fait attendre
Le nom du prochain président des Etats-Unis n'était, mercredi matin, pas encore connu. Un délai lié, entre autres, au dépouillement des votes par correspondance.
"Il faudra être patient. Chaque vote compte, chaque bureau de vote compte !" Ce n'est pas un discours de victoire ou de défaite qu'a prononcé Joe Biden, dans la nuit du mardi 3 au mercredi 4 novembre, dans son fief de Wilmington, dans le Delaware (Etats-Unis). Plutôt une prise de parole se voulant confiante, dans l'attente des résultats définitifs de l'élection présidentielle américaine. Donald Trump, lui, n'a pas attendu pour revendiquer la victoire, des propos "scandaleux" et "sans précédent" pour l'équipe de son adversaire.
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Preuve de l'incertitude qui plane sur le résultat du scrutin particulièrement serré entre les deux candidats, à 4 heures du matin (10 heures, heure française), le camp démocrate comptait 235 grands électeurs, contre 213 pour le camp républicain. Les résultats dans huit Etats restaient inconnus à cette heure.
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Franceinfo vous explique les raisons de cette longue attente.
Parce que le dépouillement du vote par correspondance prend du temps
Le vote par correspondance est une norme aux Etats-Unis. En 2016, 33 millions d'Américains y avaient eu recours sur les 146 millions d'électeurs que compte le pays. Avec la pandémie de Covid-19 cette année, quelque 91 millions d'Américains ont demandé un bulletin de vote par voie postale et plus de 60 millions ont déjà voté par ce biais.
Plusieurs modalités de vote par correspondance existent selon les Etats : certains demandent le renvoi du bulletin par voie postale, d'autres installent des boîtes aux lettres spécifiques ou cumulent les deux méthodes. La date limite pour voter diffère aussi. Dans l'Oregon, le bulletin doit être reçu au plus tard le 3 novembre à 20 heures par les services électoraux ; en Caroline du Nord, tous les bulletins arrivés avant le 12 novembre seront comptabilisé. Cette extension du délai a été validée par la quatrième Cour d'appel fédérale, malgré une plainte du comité de campagne de Donald Trump.
Au-delà de leurs modalités propres, les Etats vont également faire face à un afflux massif, qu'ils n'ont pas les "moyens humains ni logistiques" de gérer. Car les services postaux américains font face à des difficultés économiques qui pourraient entraîner des retards dans l'acheminement des bulletins.
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A ce problème, s'ajoute celui du prétraitement : par sécurité, l'électeur qui vote par correspondance met son bulletin dans une enveloppe qu'il signe en guise de cachet. Lorsqu'elle est reçue par les services électoraux, l'enveloppe est décachetée et seul le bulletin part au dépouillement.
Là encore, selon les Etats, ce prétraitement n'est pas effectué au même moment. Certains, comme le Colorado, débutent ce processus dès la réception des premiers bulletins et échelonnent donc la masse d'enveloppes à décacheter. D'autres, comme la Pennsylvanie, attendent le jour de l'élection pour commencer, ce qui repousse le décompte des votes.
"On évoque des astreintes de 48 heures dans certains Etats. On prend le risque, avec la fatigue, d'accroître le nombre d'erreurs, d'imprécisions", explique l'historien Lauric Henneton, spécialiste de la politique américaine et maître de conférences à l'université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines. Environ 15% des résultats des votes par correspondance sont connus durant la nuit du scrutin. Les 85% restants seront dépouillés au cours des prochains jours.
Parce que Donald Trump ne s'est pas engagé à reconnaître les résultats
Interrogé en septembre au sujet de la reconnaissance des résultats électoraux et d'une éventuelle "passation pacifique du pouvoir", Donald Trump s'est montré évasif : "Il va falloir que nous voyions ce qui se passe." Depuis le mois d'août, le président sortant a entamé une campagne de défiance à l'égard du vote par correspondance. Le 30 septembre, il dénonçait ainsi sur Twitter une "pagaille totale" et une "grande fraude" dans l'Etat de New York.
Wow! 100,000 Mail In Ballots in New York City a total MESS. Mayor and Governor have no idea what to do. Big Fraud, Unfixable! Cancel Ballots and go out and VOTE, just like in past decades, when there were no problems!
— Donald J. Trump (@realDonaldTrump) September 30, 2020
"La masse de votes par correspondance attendue accroît le risque d'erreur, et fait donc partie du lot d'arguments de Donald Trump contre ce vote par correspondance. Mais plus généralement, il est surtout pour un vote en personne", note Lauric Henneton.
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"Si le résultat est net en faveur de Joe Biden, les républicains calmeront le jeu, avance le spécialiste de la politique américaine. Si c'est plus serré, ils essaieront de faire traîner les choses. Mais, selon moi, le plus grand risque est celui d'une action sporadique extrémiste : un Américain qui décide de contester le résultat en tirant dans une foule avec un fusil d'assaut, ça peut totalement se produire."
Parce qu'il revendique déjà la victoire, ce que dénonce le camp Biden
Avant l'issue définitive du scrutin, Donald Trump s'est empressé de prendre la parole, depuis la Maison Blanche, pour revendiquer sa victoire. "Les résultats ce soir ont été phénoménaux (…) Regardez tous ces Etats que nous avons remportés ce soir !" s'est félicité le dirigeant et candidat républicain. "On se préparait à remporter cette élection. On l'a remportée", a-t-il avancé sans attendre. Le président sortant a déclaré sa victoire en Géorgie, en Caroline du Nord, en Pennsylvanie ou encore dans le Wisconsin, alors que les résultats définitifs se font attendre dans ces Etats décisifs.
Donald Trump s'est même dit prêt à "aller devant la Cour suprême des Etats-Unis pour que tous les votes s'arrêtent et qu'ils ne trouvent pas des bulletins à 4 heures du matin". Selon lui, ce contexte d'attente des résultats définitifs est "une fraude pour le peuple américain", "une énorme tricherie". "Ils savaient qu'ils ne pouvaient pas gagner, ils ont dit 'on va aller devant les tribunaux'", a-t-il déclaré, visant directement le camp démocrate de Joe Biden.
Ce dernier n'a pas tardé à répliquer. La cheffe de campagne du démocrate, Jen O'Malley Dillon, a dénoncé des propos "scandaleux" et "sans précédent", moins de deux heures après l'allocution présidentielle. Elle a également affirmé que les démocrates seraient prêts à "combattre" en justice, si le président républicain saisissait la Cour suprême.
Parce que l'élection se joue désormais dans les "Swing States"
Pour comprendre l'incertitude autour des résultats de la présidentielle américaine, il faut aussi se replonger dans le fonctionnement de l'élection. Le président des Etats-Unis est élu au suffrage universel indirect par des grands électeurs. Il y en a au total 538, répartis proportionnellement en fonction de la population de chaque Etat. La Californie, Etat le plus peuplé du pays, en compte ainsi 55, quand les Etats les plus petits comme le Vermont ou l'Alaska n'en ont que trois. Le premier candidat qui atteint les 270 grands électeurs, soit la majorité absolue, est assuré d'être élu.
Quel que soit son pourcentage de voix, le candidat qui arrive en tête dans un Etat remporte l'ensemble de ses grands électeurs, sauf dans le Maine et le Nebraska où ils sont attribués à la proportionnelle. C'est le principe du "Winner Takes All". Certains Etats sont traditionnellement démocrates (comme la Californie et New York) et d'autres républicains (comme le Nebraska et l'Utah). Et puis il y a les "Swing States", des Etats qui basculent dans un camp ou un autre, selon les élections. Ils sont souvent la clé du scrutin.
La Floride, le plus célèbre d'entre eux, a été remportée une nouvelle fois par Donald Trump, qui a ainsi raflé ses 29 grands électeurs. Même si Joe Biden l'a emporté dans l'Etat de l'Arizona, bastion républicain, l'issue du scrutin dans plusieurs Etats clés reste incertaine. Elle pourrait même ne pas être connue avant plusieurs jours : en Pennsylvanie par exemple, Etat crucial pour Joe Biden, le décompte des votes anticipés ne débute que mercredi et pourrait durer jusqu'à la fin de la semaine, explique le New York Times*. Selon le site américain FiveThirtyEight*, si les résultats du Michigan devraient tomber mercredi, ceux du Wisconsin ne seront que "quasiment complets" mercredi matin.
Quant à la Géorgie, qui pèse 16 grands électeurs, le décompte des votes par correspondance dans le comté de Fulton, le plus peuplé de l'Etat, s'est arrêté à 22h30 mardi soir (4h30, heure française), d'après NBC News*. Il "se poursuivra mercredi matin", précise la chaîne. L'heure d'obtention des résultats définitifs dans cet Etat reste encore incertaine.
Parce que les grands électeurs ne voteront que le 14 décembre
Le vote des grands électeurs, qui entérine le résultat de l'élection américaine, aura lieu le 14 décembre. Et il arrive que certains d'entre eux trahissent leur candidat. Ils ne votent pas pour le candidat adverse, mais pour un autre "ticket présidentiel". "C'est pour cela qu'il faut bien les choisir en amont, pour minimiser le risque de trahison", remarque Lauric Henneton.
En 2016, deux grands électeurs républicains avaient ainsi choisi de désigner Ron Paul et John Kasich aux dépens de Donald Trump. Son adversaire démocrate, Hillary Clinton, avait de son côté souffert de cinq défections. Des trahisons sans conséquences sur le résultat final, car Donald Trump avait suffisamment d'avance sur l'ancienne secrétaire d'Etat pour l'emporter.
Cette année, le scrutin est déjà plus serré. Donald Trump est investi par le parti républicain, mais plusieurs membres de son camp l'ont déjà lâché, comme Mitt Romney, ancien candidat républicain à la présidentielle 2012, ou Colin Powell, ancien secrétaire d'État entre 2001 et 2005. Des défections internes pourraient-elles alors faire basculer le résultat ? "Il faudrait que cela se joue à seulement quelques grands électeurs. Mais on ne peut pas l'exclure à 100%", admet Lauric Henneton.
*Ces liens sont en anglais.
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