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Présidentielle américaine : cette campagne est-elle la pire de l'histoire des Etats-Unis ?

Les affrontements politiques ont-il toujours Ă©tĂ© aussi violents outre-Atlantique ? Franceinfo a posĂ© la question Ă  l'historien Gil Troy.

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Propos recueillis par - Mathieu Dehlinger
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Publié Mis à jour
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Donald Trump et Hillary Clinton, candidats à la Maison Blanche, lors du deuxième débat présidentiel, à Saint-Louis (Etats-Unis), le 9 octobre 2016. (ROBYN BECK / AFP)

Quand ils s'affrontent, Donald Trump et Hillary Clinton ne prennent mĂŞme plus la peine de se serrer la main. La tension a Ă©tĂ© Ă  nouveau visible, mercredi 19 octobre, lors du troisième dĂ©bat entre les deux candidats Ă  la Maison Blanche. A l'image de la campagne, ce dernier face-Ă -face a Ă©tĂ© Ă©maillĂ© d'attaques personnelles et consacrĂ©, en partie, Ă  l'Ă©vocation de scandales touchant l'un et l'autre des prĂ©tendants au bureau ovale.

Cette campagne est-elle la pire de l'histoire des Etats-Unis ? Certains mĂ©dias s'interrogent outre-Atlantique. Franceinfo a posĂ© la question Ă  l'historien Gil Troy, spĂ©cialiste de la prĂ©sidentielle amĂ©ricaine et co-auteur de History of American Presidential Elections, l'un des ouvrages de rĂ©fĂ©rence sur le sujet.

Franceinfo : Le face-Ă -face entre Hillary Clinton et Donald Trump est tendu, c'est indĂ©niable. Mais est-ce vraiment la pire campagne prĂ©sidentielle ?

Gil Troy : Il y a eu des élections extrêmement violentes par le passé. J'ai passé ma carrière à enseigner à mes étudiants le cas du scrutin de 1800 : Thomas Jefferson était décrit comme un athée ou un révolutionnaire français, ce qui n'était pas un compliment dans la bouche des fédéralistes.

En 1828, il y a eu ce qu'on appelle les "Coffin Handbills", une sĂ©rie de pamphlets dans lesquels Andrew Jackson Ă©tait accusĂ© d'avoir exĂ©cutĂ© six personnes pour dĂ©sertion, d'adultère... En 1848, il y avait un candidat dĂ©mocrate nommĂ© Lewis Cass. Ses adversaires disaient "And he who still for Cass can be, he is a Cass without the C" ["Vous prenez 'Cass', vous enlevez le 'c' vous avez 'ass' ('cul')"]. L'histoire des prĂ©sidentielles amĂ©ricaines est haute en couleur.

Pourquoi certains ont-ils cette impression, dans ce cas ?

Nous avons tendance à oublier les élections passées. On pourrait ressortir des citations de 1852, de 1952, de 1980 où des gens disent "c'est la pire campagne de l'histoire". C'est un phénomène récurrent, pour deux raisons. D'une part, en raison de la nature étrange de la présidence américaine où l'on élit à la fois un Premier ministre et un roi ou une reine, à la fois un chef d'Etat et un chef de gouvernement. Les enjeux sont très importants, ce qui a tendance à rendre l'affrontement très personnel. D'autre part, parce que nous sommes très nostalgiques, et donc nous pensons toujours qu'il y a eu un âge d'or de la politique.

Ce qui est inédit, c'est tout de même l'impopularité des candidats.

C'est vrai que les deux candidats ont Ă©tabli un record : ce sont les plus dĂ©testĂ©s de l'ère moderne. Mais cela ne veut pas dire que cela n'est pas arrivĂ© auparavant. En 1872, les dĂ©mocrates dĂ©testaient le candidat rĂ©publicain, Ulysses Grant. Ils le dĂ©testaient tellement qu'ils ont investi Horace Greeley, un homme qui avait passĂ© sa carrière Ă  taper sur les dĂ©mocrates. Mais il avait Ă©tĂ© choisi deux mois plus tĂ´t par les rĂ©publicains libĂ©raux, qui avaient fait scission. Les dĂ©mocrates se sont dits que leur seule chance de remporter l'Ă©lection, c'Ă©tait de soutenir Greeley, un homme qu'ils dĂ©testaient.

La politique amĂ©ricaine, c'est une longue histoire de choix imparfaits. Cette annĂ©e, la situation est, bien sĂ»r, particulière, avec une candidate embarrassĂ©e par cette ridicule affaire des e-mails, et un autre empĂŞtrĂ© dans ses propres polĂ©miques Ă  la suite de la diffusion d'un vieil enregistrement de propos obscènes.

Y a-t-il un épisode de cette campagne qui se distingue par rapport aux exemples passés ?

Quand Donald Trump et son rival Marco Rubio, durant l'un des dĂ©bats de la primaire rĂ©publicaine, ont eu ce dĂ©bat sur la taille des mains du milliardaire, je me suis dit que dans 100 ans, on considĂ©rera cet Ă©change comme l'un des dix pires moments de l'histoire politique des Etats-Unis.

On a eu des campagnes hautes en couleur, sales, traumatisantes, mais là… Voir l'ensemble de la convention républicaine crier "Lock her up !" – "Enfermez-là !" – à propos d'Hillary Clinton. Voir les démocrates considérer Donald Trump comme un monstre, comme un fou… La rhétorique de cette campagne a vraiment déraillé.

Justement, le fait de suggérer que la place d'Hillary Clinton est en prison, c'est inédit ?

La politique amĂ©ricaine a Ă©tĂ© criminalisĂ©e, notamment depuis le scandale du Watergate. La sortie de Donald Trump est quelque chose de rĂ©current dans ce contexte. Regardez comme George W. Bush et son vice-prĂ©sident Dick Cheney ont Ă©tĂ© vilipendĂ©s en 2003, après la guerre en Irak. On les qualifiait de menteurs, on les accusait d'avoir manipulĂ© le pays pour lancer le conflit.

Dans l'affaire des e-mails, le directeur du FBI a passĂ© plus de 14 minutes Ă  expliquer comment Hillary Clinton et ses conseillers ont mĂ©prisĂ© la loi, tout en recommandant de ne pas la poursuivre. Donald Trump a appelĂ© Ă  la nomination d'un procureur spĂ©cial dans cette affaire, mais les dĂ©mocrates ont fait pareil durant ces 30 dernières annĂ©es. Ils ont demandĂ© la nomination d'un procureur spĂ©cial contre Ronald Reagan dans l'affaire Contra [et la vente illĂ©gale d'armes Ă  l'Iran], contre George Bush père. On disait d'eux qu'ils auraient dĂ» aller en prison...

Les médias ont aussi abondamment couvert les violences en marge des meetings de Donald Trump.

La violence n'est pas nouvelle durant les Ă©lections amĂ©ricaines. Au XIXe siècle, l'intimidation et les passages Ă  tabac survenaient bien plus frĂ©quemment. Plus rĂ©cemment, il y a eu des violences raciales : pensez au Ku Klux Klan et aux menaces auxquelles ont dĂ» faire face les Ă©lecteurs noirs dans le Sud pendant des annĂ©es.

Mais en cas de violence, le candidat est censĂ© suivre un certain scĂ©nario, notamment Ă  notre Ă©poque : la dĂ©noncer de façon claire et Ă©loquente. Or, Donald Trump mène cette campagne en faisant des sortes de clins d'Ĺ“il Ă  ses supporteurs. Il est toujours un peu ambigu face Ă  ces cas de violence ou de racisme, c'est ça qui est troublant. Au contraire, Hillary Clinton a immĂ©diatement communiquĂ© après l'attaque au cocktail Molotov contre un local du parti rĂ©publicain en Caroline du Nord, en disant que c'Ă©tait inacceptable.

John McCain, candidat républicain en 2008, avait dû faire face à quelqu'un qui disait avoir entendu que Barack Obama était un "Arabe". John McCain a répondu qu'il ne voulait pas aller sur ce terrain-là, qu'il était peut-être en désaccord avec son adversaire, mais que c'était un homme respectable. Il voulait gagner, mais à la loyale. Colin Powell, une figure importante du parti, a aussi évoqué la question de la religion de Barack Obama. Il n'est pas musulman, mais s'il l'était, pourquoi est-ce que ce serait une insulte ? Voilà deux exemples de politiques prenant de la hauteur. C'est quelque chose que l'on n'a pas entendu de la part de Donald Trump.

Donald Trump évoque une élection "truquée", mais ce n'est pas une accusation nouvelle…

Pas besoin d'aller très loin dans le passĂ©. En 2000, les dĂ©mocrates l'ont dit, ils ont Ă©voquĂ© une "Ă©lection volĂ©e", ils ont dit que la Cour suprĂŞme avait trichĂ© avec le dĂ©compte des voix en Floride. En 2004, il y a aussi eu des accusations de tricherie Ă  l'encontre des rĂ©publicains. Mais si l'AmĂ©rique d'aujourd'hui a certainement des dĂ©fauts, nous sommes beaucoup plus efficaces, et nous faisons face Ă  beaucoup moins d'abus. La politique au XIXe siècle Ă©tait beaucoup plus corrompue que ce que l'on connaĂ®t aujourd'hui. C'Ă©tait flagrant, et des deux cĂ´tĂ©s.

En 1888, on n'avait pas WikiLeaks, mais la fuite d'une lettre d'un officiel républicain de l'Indiana avait permis de découvrir le système des "blocks of five", des groupes d'électeur payés cinq à la fois. Cela avait provoqué un scandale, mais Benjamin Harrison, le candidat qu'ils soutenaient, a gagné de toute façon. A cette époque-là, dans un camp ou dans l'autre, on pensait toujours que l'adversaire trichait, mais on se disait, au fond, que son propre candidat le faisait aussi. Tous les quatre ans, il y avait des scandales de ce type.

Mais lĂ , Donald Trump refuse de dire s'il acceptera le rĂ©sultat du scrutin. C'est la première fois qu'un candidat remet autant en question la sincĂ©ritĂ© du vote ?

C'est la grande diffĂ©rence. La tradition amĂ©ricaine, c'est de s'affronter, de s'affronter durement, pas toujours en jouant franc-jeu, mais le jour de l'Ă©lection, on fait une sortie Ă©lĂ©gante. En 2008, il y a eu un exemple merveilleux avec John McCain concĂ©dant la dĂ©faite face Ă  Barack Obama. Pourtant, il y avait eu des divisions durant la campagne : Sarah Palin Ă©tait tout de mĂŞme sa colistière, par exemple. Mais il y a eu ce moment de cicatrisation, oĂą Barack Obama a Ă©tĂ© Ă©lu prĂ©sident et oĂą les gens ont dit "je suis peut-ĂŞtre en dĂ©saccord avec lui, mais le fait que nous ayons Ă©lu un Afro-amĂ©ricain est formidable et dit quelque chose des Etats-Unis".

En 1960, Richard Nixon pensait – et il avait probablement raison – que des morts avaient votĂ© dans l'Illinois ou au Texas, alors que l'Ă©lection face Ă  Kennedy Ă©tait très serrĂ©e. Sa femme et ses filles ne voulaient pas qu'il concède sa dĂ©faite. Elles voulaient qu'il poursuive le combat. Mais Richard Nixon, malgrĂ© tous ses dĂ©fauts, Ă©tait un patriote.

Si, le 8 novembre, Donald Trump poursuit dans cette voie, ce sera vraiment sans prĂ©cĂ©dent. Les exemples les plus proches, ce sont les Ă©lections de 1876 et 2000, oĂą il y a eu la crainte d'une impasse. Dans les deux cas, la contestation des rĂ©sultats a Ă©tĂ© longue, mais les perdants dĂ©mocrates, Samuel Tilden et Al Gore, ont Ă©tĂ© critiquĂ©s dans leur propre camp pour ne pas avoir rĂ©pliquĂ© de façon plus agressive. Mais le premier, par exemple, arrivait 18 ans après la guerre civile, et il Ă©tait donc inquiet d'en voir une nouvelle Ă©merger. Dans les deux cas, il y avait cette volontĂ© de ne pas dĂ©passer les bornes. LĂ , Donald Trump suggère qu'il pourrait le faire.

Outre-Atlantique, certains commentateurs se demandent si le parti rĂ©publicain va imploser après cette Ă©lection. Est-ce envisageable ?

Le parti rĂ©publicain, anti-esclavage, s'est lancĂ© en 1854 et a remportĂ© sa première victoire en 1860 avec Abraham Lincoln. Les origines du parti dĂ©mocrate remontent jusqu'Ă  1800 avec Thomas Jefferson. On a eu d'autres partis depuis, mais le système a Ă©tĂ© remarquablement stable ces 150 dernières annĂ©es. Un mauvais candidat ne suffit pas Ă  faire exploser un parti. En 1964, le rĂ©publicain Barry Goldwater est un candidat très clivant, et il subit une dĂ©faite Ă©crasante face au prĂ©sident sortant, le dĂ©mocrate Lyndon B. Johnson. Et puis ensuite : 1968, 1972, 1980, 1984, 1988… cinq des six Ă©lections prĂ©sidentielles qui ont suivi ont Ă©tĂ© remportĂ©es par un rĂ©publicain.

Pour qu'un parti disparaisse, il faut une série de candidats qui le divisent et une problématique énorme, de long terme. Comme l'esclavage, qui a détruit le parti whig, qui précédait le parti républicain. Comme la révolution démocratique, face à laquelle les fédéralistes, le parti de John Adams, ont paru trop élitistes, trop hostiles pour survivre.

La candidature de Donald Trump ne serait donc pas une fracture suffisante ?

Il faut se rappeler que le parti rĂ©publicain n'est pas qu'un parti prĂ©sidentiel, c'est un parti au niveau des Etats, au niveau local. L'ironie de cette campagne, c'est que tout le monde parle de crise, mais que les rĂ©publicains ont connu une progression remarquable sous les deux mandats de Barack Obama. Ils ont gagnĂ© des centaines de sièges au niveau local, ils contrĂ´lent la majoritĂ© des Parlements au niveau des Etats, ils contrĂ´lent le Congrès, et 31 gouverneurs sur 50 sont rĂ©publicains. Que le parti disparaisse juste Ă  cause d'un mauvais scrutin ou d'un mauvais candidat serait très surprenant.

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