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Mort de Soleimani : "Ce n'est pas propre à Donald Trump" de frapper sans l'aval du Congrès, selon un spécialiste de la politique américaine

Après la frappe aérienne américaine qui a tué le général iranien Soleimani, plusieurs voix démocrates se sont élevées pour critiquer la décision de Donald Trump et les possibles conséquences.

Article rédigé par Thomas Baïetto - Propos recueillis par
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Le président américain, Donald Trump, le 18 décembre 2019 à Battle Creek (Etats-Unis). (BRENDAN SMIALOWSKI / AFP)

Les critiques n'ont pas tardé. Quelques heures après la mort de Qasseim Soleimani, ce puissant général iranien tué vendredi 3 janvier à Bagdad sur ordre de Donald Trump, plusieurs élus américains ont critiqué la décision du président, qui risque selon eux de déstabiliser la région. Le candidat à la présidentielle Joe Biden lui a reproché d'avoir "jeté un bâton de dynamite dans une poudrière".

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Donald Trump a-t-il outrepassé ses pouvoirs de président ? Quelles conséquences peut avoir cet événement sur la campagne présidentielle américaine ? Franceinfo a posé ces questions à Corentin Sellin, professeur agrégé d'histoire et spécialiste de la politique aux Etats-Unis.

Franceinfo : Un sénateur démocrate a accusé Donald Trump de "mener le pays au bord d'une guerre illégale avec l'Iran, sans l'approbation du Congrès". Avait-il le droit d'ordonner une telle frappe ?

Corentin Sellin : Oui, il considère avoir le droit. Donald Trump l'avait déjà fait dans d'autres circonstances, en avril 2018 en Syrie, avec des frappes aériennes. A l'époque, il y avait eu un argumentaire juridique, produit par le ministère de la Justice. Il expliquait que l'article II de la Constitution donnait au commandant en chef le pouvoir d'agir à sa guise, dans l'intérêt national. Qassem Soleimani était membre des Gardiens de la révolution, une organisation déclarée terroriste par les Etats-Unis. Il agissait au Moyen-Orient contre les intérêts américains. Donc Donald Trump s'estime tout à fait couvert. La résolution sur les pouvoirs de guerre, qui théoriquement oblige le président à informer le Congrès puis à demander son autorisation pour tout déploiement de forces guerrières, ne concerne que la guerre. Là, ce n'est pas un acte de guerre ou une déclaration de guerre. C'est un usage de la force, ponctuel.

Ce n'est pas propre à Donald Trump. Cela fait des décennies que des présidents américains frappent sans demander l'autorisation de qui que ce soit. Donald Trump ne fait que poursuivre cette tradition. Quand Obama ordonne des frappes contre le groupe Etat islamique en 2014, il avait informé le Congrès après coup, et il avait justifié cela par l'article II de la Constitution.

Cette frappe a été abondamment commentée par les démocrates comme par les républicains. Que peut changer cet évènement sur la scène politique intérieure ?

Cet acte de Donald Trump a un bénéfice immédiat. Soleimani n'était pas un ange, c'était la cheville ouvrière de l'Iran au Moyen-Orient et il était à la tête d'une organisation considérée comme terroriste. Il y a un élan de rassemblement de tous les républicains derrière Trump, des élus et des anonymes, sur les réseaux sociaux. Il marque des points avec son électorat et, par cette action militaire, il réconcilie les deux factions qui coexistent dans le parti : les néo-conservateurs, favorables aux interventions extérieures, et ceux qui ont voté pour lui, partisans de la ligne "on ne s'engage pas mais dès que les Etats-Unis sont attaqués, j'emploie la force".

Cela s'est vu cette nuit, Donald Trump est célébré. Le sénateur démocrate Chris Murphy [qui a accusé le président d'avoir déclenché en conscience une "guerre régionale massive"] a été repris par l'un des sénateurs républicains les moins "trumpolatre". Il lui a répondu que Trump avait eu raison de "tuer ce salaud". Côté républicain, le président soude son camp.

Et du côté des démocrates ? Le favori de la primaire démocrate pour la présidentielle, Joe Biden, a accusé Trump d'avoir jeté "un bâton de dynamite dans une poudrière".

Chez les démocrates, la réaction va plutôt être de se demander si ce n'est pas un empiétement des pouvoirs présidentiels. Mais on voit que les candidats démocrates sont gênés aux entournures : Soleimani était un ennemi des Etats-Unis, il ne faut pas donner l'impression de pleurer sa mort. Cela peut devenir une arme politique s'il y a l'escalade que tout le monde présage. Mais, pour l'instant, Biden préjuge de quelque chose qui n'est pas encore arrivé.

Dans le communiqué du Pentagone, il est clairement indiqué que Donald Trump a décidé de cette frappe. Le président américain a posté un simple drapeau américain. Pourquoi cette communication ?

Il y a deux choses. Premièrement, il ne faut pas oublier que c'est la trêve des confiseurs. Donald Trump est en Floride, il est accusé de passer son temps au golf et de ne pas être très assidu. Là, il met en avant qu'il agit, qu'il est aux commandes. Deuxièmement, il s'agit pour lui de continuer ce qu'il a toujours voulu faire : mettre en scène une stratégie "œil pour œil, dent pour dent" vis-à-vis de l'Iran. Dès que vous vous en prendrez aux Etats-Unis, il y aura une réponse forte, massive. Tout cela est parti de la mort d'un sous-traitant américain. Il veut montrer qu'il ne laissera jamais les Etats-Unis être considérés comme faibles, il montre sa force.

Une vidéo de Donald Trump et un tweet accusant Barack Obama de vouloir déclencher une guerre avec l'Iran ont refait surface ce matin. Est-ce que cela peut lui porter préjudice ?

Cela dépend de quelle guerre on parle. Il y a une forme de cohérence : il est contre les opérations de long terme, l'envoi de soldats au sol, mais il est plutôt favorable à des frappes de haute technologie, de loin, sans déploiement massif durant lesquels les soldats sont exposés. De ce point de vue, c'est cohérent, il prouve quand il le veut qu'il est toujours le plus fort. Il dit à l'Iran, "ton maître d'œuvre, je le tue quand je veux". C'est fait pour dissuader, impressionner.

Par contre, c'est aussi incohérent. Il y a deux jours, pour le réveillon, il déclarait "je ne veux pas de guerre avec l'Iran". Tuer Soleimani ne parait pas le moyen le plus sûr d'éviter cette guerre.

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