Marée rose, chatons furieux et doigts d'honneur : avec la Marche des femmes, les anti-Trump ont repris Washington
Selon une estimation, la Marche des femmes contre Donald Trump a mobilisé 500 000 personnes. Dans tout le pays, et ailleurs dans le monde, les anti-Trump ont montré leurs désaccords avec le président investi la veille. A Washington, siège du pouvoir américain, la mobilisation avait plus qu'une portée symbolique.
"Bienvenue au président Trump", clame, à contre-courant, une bannière aux couleurs du drapeau américain déployée sur le Newseum, un musée dédié aux médias et au journalisme installé sur Pennsylvania Avenue, à Washington. Vendredi 20 janvier, après l'investiture de Donald Trump, la parade officielle a emprunté cette même avenue, et cette bannière – avec quelques gradins – est le dernier vestige de ce défilé protocolaire organisé en l'honneur du nouveau locataire de la Maison Blanche. Car moins de 24 heures plus tard, sur le balcon de l'imposant musée de béton, quelques dizaines de personnes scandent un message tout à fait différent : "Bienvenue pour ton premier jour. Nous, on ne s'en ira pas !", chantent-ils à l'unisson devant une foule qui défile sous leurs yeux.
Selon les estimations, plus de 500 000 personnes ont marché dans les rues de la capitale américaine pour crier leur désaccord avec le discours du nouveau président, qu'elles qualifient de "sexiste", "raciste, "homophobe" et "fasciste". Une Marche des femmes, mixte et festive, qui marque pour ces Américains en colère le début d'un combat de quatre ans. Car tous croient dur comme fer qu'ils vont "récupérer leur pays" à l'issue de ce mandat. Le temps d'une journée, ils se sont en tout cas approprié sa capitale.
La ville inondée de rose
Le camp adverse a ses casquettes rouges, flanquées du slogan "Make America Great Again", mais eux, ils ont les bonnets roses. Des "pussy hats", "chapeaux de chatte", en référence à leur forme, qui laisse imaginer deux petites oreilles sur le dessus, ainsi qu'à la déclaration sexiste de Donald Trump, exhumée pendant la campagne : "Quand tu es célèbre, les femmes, tu peux les attraper par la chatte." Le rose, lui, renvoie notamment à la couleur du Planned Parenthood, le planning familial américain, menacé par l'administration Trump. Une phrase et une promesse que ne digèrent pas les femmes présentes en majorité dans ce cortège, marée humaine et tsunami rose.
Alors que la marche devait se dérouler sur Independance Avenue, le long de l'esplanade nationale qui relie le Capitole au mémorial d'Abraham Lincoln, l'affluence a poussé les organisateurs à vite revoir leurs plans. "C'est la marche là ? Pourquoi on n'avance pas ?" "Vous êtes sûrs qu'on est dans la bonne rue ?" "Et là ? C'est bouché !", constatent les manifestants, l'air heureux mais confus.
Sur l'esplanade, dans les rues adjacentes, tout au long de Pennsylvania Avenue et jusque dans les couloirs de la National Gallery, la foule se répand partout, souvent dense, voire impénétrable. Comme le résume en riant un jeune homme déçu de ne pouvoir apercevoir les stars qui prennent la parole sur une scène à l'angle d'Independance Avenue et de la Troisième Rue : "En fait, le truc qui se passe, c'est que vous êtes VRAIMENT super nombreuses, vous les femmes."
Pour Diane et Joyce, deux sexagénaires arrivées à l'aube en provenance de Kutztown, une petite ville rurale de Pennsylvanie, "cette marche était trop importante pour rester chez soi", effectivement. "On aurait pu manifester dans notre Etat, c'est vrai, mais pour nous, il fallait absolument venir ici, face au Congrès, pour montrer à l'ensemble de l'appareil d'Etat que Trump n'est pas le représentant de notre nation", explique Diane, assise sur un trottoir.
Dans le bus – "rempli de femmes, si ce n'est un jeune homme sympathique déguisé en chat" –, elles ont fait la connaissance de Barbara, 63 ans. Le lendemain de l'élection de Donald Trump, cette directrice d'une association d'aide aux personnes âgées a dû poser sa journée. "Je suis allée au travail, mais je me sentais si mal physiquement que j'ai dû rentrer chez moi, raconte-t-elle. Je ne pouvais pas sortir ! C'est pour ça que je tenais à marcher aujourd'hui, car c'est justement le moment de sortir de chez soi. On dit souvent : 'si le bien ne fait rien, le mal triomphe'", poursuit-elle.
Des chatons oui, mais en colère
"Donald Trump a des projets pour nous qui ne sont pas ceux que nous, le peuple, nous voulons", résume Debrah, 42 ans. "Sa politique et son discours mettent des gens en danger", poursuit cette mère de famille de Washington D.C. qui a ramené avec elle sa fille de 11 ans et ses jeunes copines. "Or, on ne peut pas faire comme si ce n'était pas grave, comme si, après tout, il avait le droit de décider à notre place", dit-elle, se félicitant que la jeune Amanda apprenne "à se faire entendre".
Encore plus concrètement, Grace, étudiante à l'université de Baltimore, à une heure de route de Washington, manifeste "parce qu'[elle] n'[a] pas beaucoup d'argent, qu['elle] obtien[t] [s]a contraception grâce au Planned Parenthood et qu['elle se] soigne, comme beaucoup d'étudiants fauchés, grâce à Obamacare". Pour sa copine de fac, Christie, qui a voté pour la première fois lors de cette élection et arbore un t-shirt "Black Lives Matter" (le mouvement contre les violences policières subies par les Noirs), "c'est insupportable de savoir qu'il est à la Maison Blanche alors qu'il n'a pas gagné le vote populaire".
Sur les pancartes, beaucoup de manifestants rappellent la "victoire" populaire d'Hillary Clinton, laquelle a obtenu plus de deux millions de votes de plus que le président, tout en perdant le collège électoral. La colère s'exprime sur les affiches et les slogans plutôt que dans l'attitude – très câline – des marcheurs. Dès que l'occasion se présente, ils s'acclament, se photographient les uns les autres et s'enlacent chaleureusement.
Même les contrôleurs du métro et policiers sympathisants ont le droit à leurs "whouhouuu" et pouces levés. Mais que l'on ne s'y trompe pas, ces supposés gentils "chatons" sont en colère : les slogans "Pussy grabs back" ("la chatte contre-attaque") ou encore "cette chatte ne s'attrape pas !" se déclinent sur les drapeaux, cartons, panneaux et t-shirts, tout comme le qualificatif "nasty woman" ("méchante femme"), utilisé par Trump en plein débat, pour qualifier son opposante.
Outre les références aux organes génitaux (féminins, bien sûr), particulièrement appropriées dès lors qu'il s'agit de militer pour le droit à l'avortement ("Eloignez vos rosaires de mes ovaires !"), les slogans puisent leur inspiration dans un fonds inépuisable : les sorties polémiques de Donald Trump. "Tweet women right" ("tweete bien les femmes"), ou encore "Can't build a wall : hands too small" ("Ne peut pas construire un mur : mains trop petites"), lit-on sur des panneaux.
D'autres se contentent de citer le président dans le texte ("Sad !") ou de détourner ses déclarations les plus emblématiques : "Je connais les pancartes. Je fais les meilleures pancartes. Elles sont géniales. Tout le monde est d'accord." Le slogan préféré de Veronica, jeune New-Yorkaise venue avec sa mère, Ariana, et sa grand-mère, Mighty, se veut "un bon résumé" : "Toutes les raisons pour lesquelles je suis ici ne tiendront jamais sur une seule pancarte."
De l'action et des doigts d'honneur
Veronica et sa mère "n'ont jamais été très actives politiquement", reconnaissent-elles. Mais là, "c'est différent. C'est juste trop". Motivées par la grand-mère, militante écologiste et pacifiste depuis ses jeunes années – elle se "retient de pleurer devant une telle mobilisation" –, les deux femmes ont décidé de s'investir bien au-delà de cette marche : "Tous les gens que je connais se sont engagés dernièrement, explique Ariana. L'élection a été un électrochoc. Depuis, ils donnent de l'argent à des associations, ils signent des pétitions, ils manifestent."
"Pour ma part, je me suis abonnée au New York Times pour défendre la presse de qualité contre les rumeurs, renchérit Mighty. Un mouvement durable est en train de se mettre en place", promet-elle, ravie d'être à Washington pour embêter le nouveau président au pied de son Trump Hotel flambant neuf, inauguré en octobre sur Pennsylvania Avenue. En constatant que le réseau téléphonique est saturé, elle éclate de rire : "Tant mieux ! Au moins, s'il est à Washington, il ne pourra pas tweeter. On aura déjà réussi quelque chose !"
Les manifestants sont en effet bien décidés à saboter le mandat du président, ainsi que son quotidien et, bien sûr, son nom. La voix d'un manifestant perce le brouhaha : "Je serai votre guide pendant les 10 prochaines secondes." Il lance, dans son mégaphone, sur le ton des stewards et hôtesses de l'air : "Le prochain bâtiment sur votre gauche est le Trump Hotel, n'oubliez pas de sortir vos majeurs."
#WomensMarch "Le prochain batiment est le Trump Hotel, n'oubliez pas votre majeur". pic.twitter.com/8D4AMzMaAD
— Marie-Ad' (@Marie_ad) January 21, 2017
Devant la porte bien gardée du bâtiment, les selfies s'enchaînent, avec ou sans le doigt levé, tandis que des manifestants déposent leurs pancartes, comme au pied d'un autel.
Exaspérée, une militante pro-Trump, installée là pour se confronter aux manifestants, s'agace : "Ils me traitent de folle, mais ils ont perdu la tête, se désole-t-elle. Ils n'ont pas compris que le message de Trump est un message d'unité." Elle qui voulait s'installer au bar de l'hôtel a trouvé porte close, pour cause de manifestation. "Ils sont ridicules", souffle la jeune femme, avant qu'une passante ne s'approche pour lancer cet avertissement aux gardes : "Désolée si on vous gêne hein, mais il va falloir vous habituer."
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