Donald Trump contre les médias : comment la salle de presse de la Maison Blanche est devenue un champ de bataille
Investi vendredi 20 janvier, le nouveau président a donné un aperçu de la façon dont il entendait mener ses relations avec les médias pendant les quatre prochaines années.
Style détendu, story telling aux petits oignons et image 100% maîtrisée... Pendant huit ans, Barack Obama a fait de son style (plus communément appelé "son cool") une arme de communication. Homme de télévision et businessman, son successeur, Donald Trump, s'illustre d'ores et déjà par des pratiques radicalement différentes. "Comme vous le savez, je suis actuellement en guerre contre les médias. Ils font partie des êtres humains les plus malhonnêtes de la planète", a prévenu le président, samedi 21 janvier, dans les locaux de la CIA.
Pendant la campagne électorale, le président américain n'a pas supporté que les grands quotidiens et la plupart des chaînes d'information appellent à voter pour son adversaire, Hillary Clinton. En guerre contre la presse et les journalistes, Donald Trump a déjà révolutionné la communication présidentielle. Retour sur une relation tumultueuse.
Trump ou le mépris pour les faits
Dès leur premier jour à la Maison Blanche, Donald Trump et son équipe ont suscité l'émoi dans la "Briefing room", cette pièce dans laquelle le porte-parole du gouvernement tient un point quotidien devant les journalistes accrédités. Pour son baptême du feu, samedi 21 janvier, Sean Spicer, tout juste nommé "Press Sec'" ("secrétaire chargé des Relations avec les médias") aborde une question de taille : l'affluence du public, la veille, sur l'Esplanade nationale, à Washington, pour l'investiture du président républicain. Alors que photos et images aériennes montrent une assistance clairsemée, inférieure en nombre à celle qui avait acclamé Barack Obama en 2009, Sean Spicer assure sans sourciller que l'événement a rassemblé "le plus grand public ayant jamais assisté à une investiture, un point c'est tout". Alors que le "Press Sec" quitte son pupitre sans répondre aux questions des journalistes, le correspondant du New York Times* tweete : "La mâchoire m'en tombe."
Le lendemain, c'est au tour de la conseillère de Donald Trump, Kellyanne Conway, de défendre cet étrange décompte, en direct sur NBC. "Pourquoi le président a demandé à un porte-parole de la Maison Blanche de monter sur l'estrade pour la première fois et de mentir ?" interroge le journaliste Chuck Todd, lui aussi décontenancé par les déclarations de la veille. "Ne surdramatisez pas, Chuck. Vous dites des choses fausses", lui répond la conseillère de Trump, qui ajoute que "Sean Spicer a donné des faits alternatifs". Une expression qui semble tout droit sorti de la "novlangue" inventée par George Orwell dans son roman de science-fiction 1984, s'inquiètent les observateurs de la politique américaine. Un roman dont les ventes décollent d'ailleurs ces derniers jours aux Etats-Unis...
"Le but politique de la 'novlangue' était de réduire la langue à quelques concepts simples qui renforcent la domination totalitaire de l'Etat", rappelle une contributrice de site spécialisé Psychology today*. Si, dans le roman, les mots à connotation négative sont remplacés par d'autres termes (comme "mauvais", changé en "non bon"), les "faits alternatifs" de Sean Spicer, utilisés pour qualifier "des mensonges", traduisent "le début d'un effort pour contrôler les esprits", poursuit l'article.
Dès le premier jour, Donald Trump tente de déformer les normes de notre démocratie à son avantage. Il nous dit de croire ce que ses conseillers nous disent, plutôt que de croire en nos propres observations.
Marilyn WedgePsychology Today
Dans ce contexte, "les briefings à la presse (…) avaient une valeur et étaient diffusés comme étant de l’information. C’est terminé. Mort", écrit une journaliste du Washington Post*. Interrogé sur ces libertés prises avec la réalité lors d'une autre conférence de presse, lundi, Sean Spicer a répondu que "parfois, nous pouvons être en désaccord en ce qui concerne les faits". Qu'importe que les faits soient justement censés traduire une réalité objective et incontestable.
Bons et mauvais points pour les journalistes
Pour discréditer les médias qui l'embarrassent, Donald Trump a popularisé le concept de "fake news", les prétendues "fausses informations" qu'il accuse notamment CNN ou le New York Times de véhiculer. En maîtres d'école, le président et son porte-parole se permettent même de distribuer les bons et les mauvais points aux reporters accrédités à la Maison Blanche. Le système de notation est le suivant : ceux qui adoptent le discours officiel du gouvernement gagnent le droit de poser des questions au président et à son équipe, tandis que ceux qui grattent sous ce vernis sont mis au ban, ignorés au fond de la "Briefing room".
Avant son investiture, le 11 janvier, le président avait ainsi refusé de répondre au journaliste de CNN présent en conférence de presse, au simple motif qu'il ne cautionne pas le travail de la chaîne. Le journaliste souhaitait l'interroger sur de possibles conflits d'intérêts entre la Maison Blanche et l'activité de la Trump Organization, confiée à ses deux fils aînés le temps de la mandature.
Pour la première conférence de presse officielle, donnée lundi, Sean Spicer a encore rompu avec la tradition. S'il n'a menacé de chasser personne*, il a choisi de donner la parole à des médias conservateurs (d'habitude, c'est l'agence Associated Press qui ouvre le bal). "Il existe des voix et des enjeux dont les grands médias ne s'emparent pas et c'est important que ces voix-là soient aussi entendues", a justifié le porte-parole sur le plateau de Fox News. Ainsi, il a d'abord répondu à la question du conservateur New York Post, avant de se tourner vers the Christian Broadcasting Network, une chaîne religieuse qui l'a sollicité sur l'avortement. Un choix qui peut permettre en effet une représentation plus démocratique du paysage médiatique, mais qui engendre le risque de créer une presse aux ordres de l'exécutif. "Si vous voulez conserver un accès à la Maison Blanche, vous devrez véhiculer leur propagande", a réagi, sur Twitter*, Judd Legum, du site Think Progress, cité par Le Monde.fr.
Tous ceux dont le métier est de rapporter la réalité ne seront plus dans les bonnes grâces de la Maison Blanche.
Judd LegumThink Progress
Jouant tantôt de la flatterie, de la punition et de l'intimidation, le président américain entend garder le contrôle sur les journalistes accrédités à la Maison Blanche. Selon Slate, cette "brillante" stratégie consiste enfin à monter les médias les uns contre les autres, en créant notamment le malaise entre les grands noms de la presse américaine et les petits nouveaux, pure players et autre sites d'information. L'un de ses conseillers avait d'ailleurs créé l'émoi avant l'investiture en évoquant la possibilité de déménager cette "Briefing room" dans un local plus grand (et en dehors de la Maison Blanche), afin de convier davantage de médias, y compris des blogueurs.
Mesures exceptionnelles pour président différent
En moins d'une semaine, la présidence de Donald Trump a déjà modifié le travail des journalistes politiques américains. Dès la première conférence de presse, CNN a pris la décision de ne pas la diffuser en intégralité. A la place, la chaîne sélectionne des extraits que ses journalistes et commentateurs remettent en perspective, dévoilant du contexte et, le cas échéant, du "fact-checking" (de la vérification factuelle). Du côté de la presse écrite, en grande difficulté outre-Atlantique, les rédactions ont étoffé leurs services chargés de couvrir la Maison Blanche. Le Wall Street Journal a même créé une nouvelle équipe dont le travail consistera exclusivement à enquêter sur de possibles conflits d'intérêts au sein du camp Trump, explique la Columbia Journalism Review*.
Face à une salle de presse de moins en moins accueillante, les journalistes s'enthousiasment même parfois de renouer avec le cœur du métier : l'enquête et la construction de relations de confiance avec de bonnes sources, détaille un ancien du Boston Globe, dans un édito publié par le New York Times*. Un avis qui correspond à l'attente des lecteurs qui ont souscrit un abonnement à ces titres en réponse à l'élection de Donald Trump (contrairement à ce que déclare le président sur Twitter, le New York Times a récemment gagné des abonnés). Un autre suggère d'envoyer les journalistes stagiaires à la Maison Blanche, afin d'envoyer les professionnels les plus aguerris sur le terrain ou dans les couloirs du Congrès et des administrations à la recherche d'éventuels lanceurs d'alerte.
D'autres médias ont adopté une attitude plus prudente à l'égard des tweets du président, lesquels étaient systématiquement relayés pendant la campagne. Enfin, des journalistes engagés demandent à ce que les membres de l'administration Trump pris en flagrant délit de mensonge soient boycottés. Soit autant de stratégies qui promettent quatre années riches en polémiques, mais aussi, sans doute, en révélations.
*Tous les liens de médias signalés par une astérisque sont en anglais.
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