A Minneapolis, comment le "gentil géant" George Floyd a trouvé la mort plutôt qu'une seconde chance
Derek Chauvin, le principal accusé dans le procès de la mort de George Floyd, a été reconnu coupable de "meurtre" mardi 20 avril. Franceinfo retrace le parcours de sa victime, devenue l'un des symboles de la lutte contre les violences policières racistes aux Etats-Unis.
Pour George Floyd, Minneapolis devait être une "seconde chance". "Lorsqu'il est venu ici, il voulait se créer une vie meilleure, et il en prenait la direction", assure sa colocataire, Theresa Scott, à la chaîne ABC News*. Mais six ans après son arrivée dans cette ville du Minnesota, cet Afro-Américain de 46 ans est mort asphyxié sous le genou d'un policier blanc, le 25 mai 2020. Ce dernier a été reconnu coupable du meurtre de George Floyd à l'issue de son procès, mardi 20 avril, et placé en détention.
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Selon sa famille, "Big Floyd" était "un gentil géant". De ceux "qui n'utilisent pas leur stature pour intimider ou prendre plus de place", rapporte Toluse Olorunnipa, journaliste au Washington Post et auteur d'un long portrait*. La personnalité et le sens de l'humour de cet Afro-Américain attiraient autant l'attention que sa carrure (il mesurait 1m98). "C'était un farceur, toujours en train de rire et de faire des blagues", raconte un camarade de lycée au New York Times*. "Il est décrit comme généreux, tourné vers les autres malgré ses propres difficultés, ajoute Toluse Olorunnipa. Mais il avait une personnalité complexe et une vie compliquée."
Rêves de gloire et déboires
George Perry Floyd Junior a grandi dans une grande précarité. Alors qu'il n'a que trois ans, sa mère quitte la Caroline du Nord, où sa famille est installée depuis des générations, pour Houston. Ses faibles revenus ne lui permettent que de s'installer dans le Third Ward, un des quartiers les plus pauvres de la ville texane. A cette époque, les habitants sont majoritairement noirs. "La plupart vivent sous le seuil de pauvreté, souligne Toluse Olorunnipa. George Floyd grandit à Cuney Homes, un des plus grands HLM de Houston, où de nombreux logements sont insalubres."
"Le Third Ward est connu pour les violences, les fusillades, le harcèlement des Afro-Américains par la police. Il est très difficile de grandir dans ce quartier."
Toluse Olorunnipaà franceinfo
Un quotidien que "Perry", comme le surnomme sa famille, veut fuir. Un jour, alors qu'il rentre du lycée, il confie à son ami Jonathan Veal* : "Je veux toucher le monde entier." Le sport lui semble alors être la seule échappatoire, la seule façon de réaliser ses rêves de gloire. "Très athlétique, il se montre particulièrement doué pour le basket et le football américain", détaille Toluse Olorunnipa. Il décroche une bourse d'étude, devenant le premier de la fratrie de cinq enfants à aller à l'université. "Il a toujours privilégié le sport à ses cours, dans un quartier où les établissements scolaires étaient déjà médiocres", relève le journaliste du Washington Post. Résultat, "une fois à la fac, il n'a pas réussi à obtenir les notes requises pour avoir le droit de participer à des matchs".
Incapable de suivre en cours et privé de terrains, George Floyd lâche l'université et retourne vivre dans le Third Ward. C'est le début des ennuis. "C'est à cette époque que son casier judiciaire commence à se remplir. Il est arrêté pour détention de drogue, vol... Et il se met à dealer un peu dans son quartier, pour joindre les deux bouts." George Floyd enchaîne les arrestations et les séjours derrière les barreaux.
Jusqu'en 2009, où il écope de cinq ans de prison pour un cambriolage à main armée à Houston. "La victime l'a identifié comme le voleur qui l'a frappé avec un pistolet, raconte Toluse Olorunnipa. George Floyd a nié, mais il a signé un accord avec le procureur pour diminuer la durée de sa peine : il était convaincu qu'il ne serait pas acquitté s'il était jugé au tribunal." "C'est sa plus longue incarcération, et son unique condamnation pour un crime violent", note le reporter.
En quête de rédemption dans le Minnesota
A sa sortie de ce dernier séjour en prison, en 2013, George Floyd approche de la quarantaine et "veut reprendre sa vie en main". Père de cinq enfants, il devient bénévole pour une paroisse locale et travaille comme agent de sécurité dans une usine de produits chimiques. Mais il peine à trouver un emploi stable, selon le Star Tribune*. Un ami d'enfance, parti vivre dans le Minnesota, l'incite à le rejoindre à Minneapolis. "Il cherchait un moyen de repartir à zéro, un nouveau départ, raconte Christopher Harris au Los Angeles Times*. Il était heureux d'entreprendre ce changement."
Grâce à un pasteur du Third Ward, "Big Floyd" intègre un programme de réinsertion en 2014 et obtient un emploi dans un magasin de l'Armée du salut dans le Minnesota. "Puis il est devenu vigile dans une boîte de nuit de Minneapolis, tout en essayant de décrocher son permis pour devenir conducteur de camion", relève Toluse Olorunnipa. "Toujours de bonne humeur. (...) Il se mettait à danser, mal, pour faire rire les gens", se remémore son patron dans les colonnes du LA Times.
"George Floyd assistait à des réunions de personnes souffrant, comme lui, d'addiction aux drogues. Il avait une compagne. Il allait mieux, même s'il devait encore faire face à des difficultés", reconnaît Toluse Olorunnipa. Son ancien colocataire, accro aux opioïdes, succombe à une overdose. "Perry" apprend aussi la mort d'amis puis de sa mère, restés à Houston. Au printemps 2020, le bar qui l'emploie ferme en raison de la crise sanitaire et économique provoquée par la pandémie de Covid-19. George Floyd se retrouve sans emploi. "Il a commencé à avoir des problèmes d'argent. Et c'est dans ce contexte que se produit son arrestation, le 25 mai", poursuit le journaliste du Washington Post.
Neuf minutes d'agonie
En ce jour férié, George Floyd achète un paquet de cigarettes dans un magasin de Minneapolis et règle avec une coupure de 20 dollars. Le caissier soupçonne le billet d'être un faux. Il passe un coup de fil à la police, "pour une vérification qui va très vite dégénérer", retrace Toluse Olorunnipa. Arrêté un peu plus tard au volant de sa voiture, le quadragénaire semble "sous l'influence de substances", selon les forces de l'ordre. Les officiers doivent répéter plusieurs fois leurs demandes pour que George Floyd accepte de sortir de son véhicule. "Six secondes après qu'il a ouvert la porte, [un policier] sort son arme, la pointe sur George Floyd, (...) sans expliquer le motif du contrôle routier", reconstitue le New York Times*. "Ne me tuez pas, je suis désolé", l'entend-on implorer, en larmes, sur l'enregistrement de la scène par les caméras des policiers.
L'Afro-Américain est menotté et amené jusqu'à la voiture des officiers. Il refuse de s'asseoir sur la banquette arrière, résiste, explique qu'il est claustrophobe. Il dit vouloir s'allonger sur le sol. C'est à ce moment que trois policiers le maintiennent sur la chaussée, face contre terre. Deux d'entre eux tiennent ses jambes et ses mains. Un troisième, Derek Chauvin (dont on apprendra plus tard qu'il a été visé par 22 plaintes ou enquêtes internes* au cours de sa carrière), s'agenouille sur son cou. Un autre officier maintient à distance les passants, dont certains filment la scène.
"D'autres interpellations violentes ont été filmées auparavant mais celle-ci est saisissante parce qu'on y voit clairement l'indifférence totale de ce quatrième policier aux appels à l'aide de George Floyd."
Charlotte Recoquillon, journaliste et chercheuse à l'Institut français de géopolitiqueà franceinfo
"Je ne peux pas respirer", répète George Floyd à plus de 20 reprises. Entre deux sanglots, le quadragénaire réclame sa mère. Mais la pression exercée par Derek Chauvin ne se relâche pas et aucun des autres policiers n'intervient. La lente agonie de "Big Floyd" dure près de neuf minutes*. L'officier blanc garde son genou sur son cou durant plus d'une minute après l'arrivée de l'ambulance, alors que l'Afro-Américain est inconscient depuis plusieurs instants déjà. L'autopsie confirme que George Floyd, qui avait des opioïdes dans son organisme au moment de son arrestation, a succombé à une asphyxie.
Un décès au retentissement mondial
Dès le 26 mai, les images de sa mort sont reprises sur les réseaux sociaux. Des manifestations et des émeutes éclatent à Minneapolis. Le maire de la ville annonce le licenciement des quatre officiers mis en cause. "Etre Noir aux Etats-Unis ne devrait pas être une condamnation à mort", blâme le démocrate Jacob Frey. Derek Chauvin est inculpé notamment de meurtre et de violences volontaires, risquant jusqu'à 40 ans de réclusion. Ses trois coaccusés sont poursuivis pour complicité. Tous finissent par être libérés sous caution.
Au fil des jours, la mobilisation essaime, touchant plus d'une centaine de villes à travers les 50 Etats américains. A Minneapolis comme dans les plus grandes villes du monde, manifestants défilent pour dénoncer le racisme et les violences policières. Sur leurs banderoles et pancartes, sur les réseaux sociaux, sur les murs et jusque sur les terrains de sport, le nom de George Floyd et son dernier appel à l'aide ("I can't breathe") deviennent un cri de ralliement.
"George est partout. (...) Il est sur le mur de quelqu'un, il est sur des affiches, il est dans la presse, mais il n'est pas ici. Il est avec nous en esprit, mais il n'est pas ici", se lamente sa tante Angela Harrelson dans un podcast du Washington Post*. Près d'un an après sa mort, son copain d'enfance Jonathan Veal fait le même constat amer : "Il n'aurait pas pu imaginer que c'est de cette façon tragique que le monde découvrirait son nom."
* Les liens signalés par un astérisque renvoient vers des contenus en anglais.
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