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Les nouilles instantanées: nouvelle monnaie dans les prisons américaines

Aux Etats-Unis, les prisonniers ont de plus en plus de mal à se nourrir correctement. Pour pallier ces manques, les nouilles instantanées sont devenues la principale monnaie d’échange dans les prisons, remplaçant même le tabac.
Article rédigé par Marc Taubert
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 4min
Dans les prisons américaines, un paquet de nouilles instantanées d'une valeur de 59 centimes de dollars peut s'échanger contre un tee-shirt valant 10 dollars. (Linda Lombardi / AP / SIPA)

Un sweatshirt d’une valeur de 10 dollars à l'extérieur s’échange contre… deux paquets de nouilles instantanées. Les coupes budgétaires sont telles qu’il n’y a plus assez de moyens pour nourrir correctement les prisonniers.
 
Ce constat vient d’une étude parue le 22 août 2016, faite par un doctorant de l’école de sociologie de l’université d’Arizona. Ce chercheur s’est entretenu avec une soixantaine de détenus sans dévoiler la prison dans laquelle il a travaillé, pour protéger leur anonymat.
 
Le résultat est édifiant : les prisonniers ont le droit à deux ou trois repas par jour durant la semaine et seulement deux par jour le week-end. Et pas de rations supplémentaires pour ceux qui pratiquent des activités. Un ancien détenu écrit dans le Guardian que les repas sont du plus mauvais mélange : «Très caloriques pour très peu de satiété.»

Les nouilles instantanées ont donc pris beaucoup de valeur. Un paquet coûte 59 centimes de dollars, mais pourtant, il s’échange contre cinq cigarettes d’une valeur de 2 dollars.
 
Cela est dû à des coupes budgétaires répercutées sur la nourriture des captifs. Selon un article de France Inter, le repas moyen d'un prisonnier américain coûte 1,54 dollar, alors que le prix de revient d'un repas dans une cantine scolaire en France est de 8,50 euros. «Un menu casher, ça coûte 5$ en moyenne, c'est tout de même 4 fois plus cher qu'un menu ordinaire. Or il y a une faille : pour manger casher dans une prison américaine, il suffit d'une simple déclaration de foi juive : les juges n'en demandent pas plus. Résultat : des dizaines milliers de repas cashers et une véritable industrie qui s'est créée pour répondre à la demande.»
 
Les repas donnés aux prisonniers coûtent moins de 2 euros à l'Etat. Pour en avoir un meilleur, les prisonniers sont nombreux à se déclarer juifs. Les repas casher sont payés plus du double d'un repas normal. (Eric Risberg / AP / SIPA)

De précédents scandales de nourriture
Cet ancien prisonnier interrogé par le Guardian raconte qu’il a vu «certains détenus manger entre trois et six paquets de nouilles instantanées par jour. Les risques sont grands pour eux de tomber malade, surtout si vous savez comment cela est vendu dans ces lieux. (…) La prison encourage donc les prisonniers à consommer ce qui est mauvais pour eux.»
 
Un terrible constat qui pourtant se vérifie. En mars 2015, 19 détenus affirmaient avoir été empoisonnés par de la mort-aux-rats qui se trouvait dans leur plat de meatloaf (un plat traditionnel noir américain à base de viande hachée). Un mois plus tard, un laboratoire confirmait ces accusations. Les gardiens étaient pointés du doigt, mais il n’y a pas eu d’enquête plus poussée.
 
Ces exemples sont multiples, ce qui fait dire à l’auteur de l’étude, Michael Gibson-Light, que le phénomène relève de la «punition frugale». En clair : privation de liberté et de nourriture.
 
Les Etats-Unis possèdent le triste record de la plus grande population carcérale au monde, soit 2,26 millions de personnes incarcérées. (Eric Risberg / AP / SIPA)

La calamiteuse situation des prisons américaines
Signe de l’état des prisons aux Etats-Unis, Barak Obama appelait à une réforme profonde du système judiciaire américain, le 14 juillet 2015. Deux jours après, il était même le premier président en exercice à se rendre dans une prison – celle fédérale d’El Reno, dans l'Oklahoma.
 
Car le pays possède la plus grande population carcérale mondiale, soit 2,26 millions de personnes. Les peines sont souvent des peines planchers, liées à la drogue. Le Guardian affirmait ainsi : «La répression a pris des connotations raciales: les peines liées au crack, le plus souvent associé aux dealers et aux utilisateurs noirs, étaient 100 fois plus importantes que celles en rapport avec la cocaïne, le plus souvent affiliée aux Blancs.»
 
En juillet 2014, le New York Times publiait un rapport dénonçant la violence dans la prison de Rikers Island (deuxième établissement pénitentiaire du pays). Le comportement des gardiens était une fois de plus en cause.
 
Désormais, un détenu interrogé par Michael Gibson-Light affirme : «J’ai vu des bagarres à cause des nouilles instantanées. Des gens se font tuer pour une soupe.»

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