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Johnson et Golden, deux ados tueurs désormais en liberté qui font frémir les Etats-Unis

En 1998, ces deux élèves à peine sortis de l'enfance ouvraient le feu sur leurs camarades du collège de Jonesboro, dans l'Arkansas, faisant cinq morts. Après moins de dix ans derrière les barreaux, ils sont sortis de prison. Et sont toujours attirés par les armes.

Article rédigé par Marie-Violette Bernard
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 13min
Des photos datant de 1998 de Mitchell Johnson (13 ans, à g.) et d'Andrew Golden (11 ans), les plus jeunes auteurs d'une tuerie de masse aux Etats-Unis. (AP / SIPA)

Mitchell Johnson et Andrew Golden avaient à peine 13 et 11 ans quand ils ont tiré sur leurs camarades et professeurs. Les plus jeunes auteurs d'une fusillade de masse (plus de trois morts, selon la définition du FBI) dans une école aux Etats-Unis sont sortis de prison dans les années 2000. Soit moins de dix ans après avoir tué cinq personnes dans leur collège de Jonesboro (Arkansas). Tous les autres auteurs de fusillade sont morts ou derrière les barreaux, rapportait la chaîne ABC (en anglais) en 2016. Après une nouvelle fusillade, dimanche 5 novembre, dans une église du Texas, franceinfo revient sur le sombre parcours de ces adolescents tueurs, dont le cas a encore été étudié par la justice américaine au mois d'août.

Des pistolets en plastique aux fusils de chasse

En 1998, Andrew Golden et Mitchell Johnson habitent à Jonesboro, une ville de 45 000 habitants située dans une zone rurale de l'Arkansas. Les églises fondamentalistes y sont légion. Tous comme les amateurs d'armes à feu. Dans l'Arkansas, de nombreux enfants apprennent dès le plus jeune âge à tirer. Andrew Golden est de ceux-là. "On a commencé à lui acheter des revolvers en plastique dès le premier jour, raconte son grand-père Doug, qui l'a pratiquement élevé, au New York Times (en anglais). Il est passé aux pistolets à billes, puis aux fusils et aux vrais pistolets."

Une photo non datée montre Andrew Golden s'entraînant avec une arme à feu à Jonesboro, dans l'Arkansas (Etats-Unis). (BERKWITZ / SIPA)

La mère de Mitchell, originaire du Missouri, s'installe à Jonesboro après s'être remariée. Elle initie son fils à l'usage de la carabine. Elle lui offre même un stage de tir de trois semaines, selon un autre article (en anglais) du quotidien. Les deux garçons se lient d'amitié dans le bus qui les emmène, chaque jour, au collège de Westside. Les enseignants les décrivent comme des garçons "polis", sans problème. Mitchell est même enfant de chœur.

Mais leurs camarades de classe dressent un portrait différent : les deux adolescents sont marginalisés et ne parviennent pas à s'intégrer à l'école. A 13 ans, Mitchell Johnson s'emporte facilement. Il a développé une certaine admiration pour les gangs et écrit sur les bus le nom des Crips, l'un des plus violents groupes des Etats-Unis. "C'est un peu un psychopathe", assure l'une de ses camarades, Jenna Brooks, à son père.

"Tous ceux que je n'aime pas vont mourir"

Les garçons menacent de régler leurs différends d'une manière radicale. En janvier 1998, Andrew Golden affirme qu'il veut ouvrir le feu dans l'établissement. Il est convoqué par le conseiller d'orientation, rapporte The Independent (en anglais). Il dit avoir abandonné l'idée, après avoir fait un cauchemar dans lequel il tirait sur d'autres élèves puis mourait lui aussi. Le responsable scolaire n'insiste pas.

Pourtant, lundi 23 mars, plusieurs élèves entendent les deux adolescents proférer de nouvelles menaces. Une rumeur court au sein du collège : Mitchell Johnson est en colère parce qu'une de ses camarades, Candace Porter, aurait "rompu" avec lui. L'enfant de 11 ans n'a pourtant jamais mentionné son nom à ses parents. Mitchell Johnson, remonté, assure à son camarade Dustin Cambell : "Tous ceux qui me détestent, tous ceux que je n'aime pas vont mourir." A une autre élève, Melinda Henson, il déclare "vous découvrirez demain si vous vivrez ou mourrez""J'ai cru que c'étaient des paroles en l'air", confie Emma Pittman au New York Times. Michael Barnes, 12 ans à l'époque, explique au Washington Post (en anglais) qu'il n'a pas non plus prêté attention aux propos de son camarade.

Je n'ai pas cru [Mitchell Johnson]. Personne ne l'a cru. Pourquoi est-ce qu'on l'aurait fait ? C'est juste un garçon de 13 ans.

Michael Barnes, un élève

au "Washington Post"

Cinq morts, neuf blessés

Le lendemain, au petit matin, Mitchell Johnson retrouve Andrew Golden près de la maison de ses grands-parents. Sans un bruit, les deux garçons s'introduisent dans la cuisine, où les armes de Doug Golden sont accrochées aux murs. Ils repartent avec quatre pistolets et trois fusils, ainsi que plusieurs milliers de munitions, indique le New York Times. De retour chez lui, Mitchell Johnson prétexte des maux de ventre pour sécher les cours. Mais, une fois seul, il emprunte une ancienne voiture de sa mère et se rend dans les bois situés près du collège de Westside. A l'arrière du véhicule, l'arsenal s'est enrichi de deux fusils.

Andrew Golden est, lui, déjà en cours. Peu après la pause déjeuner, le garçon dit se sentir mal et sort de classe. Au détour d'un couloir, il déclenche l'alarme incendie et file rejoindre son complice dans les bois. L'embuscade est tendue. Croyant à un exercice, élèves et enseignants sortent progressivement dans la cour. Juste en face du bois. Soudain, un bruit sec. Sous le couvert des arbres, Andrew Golden et Mitchell Johnson ouvrent le feu sur leurs camarades. Les tirs s'accélèrent : en moins de 15 secondes, 26 coups sont tirés.

Une élève blessée sort d'une ambulance après la fusillade au collège de Westside, à Jonesboro (Arkansas, Etats-Unis), le 24 mars 1998. (DAUGHTRIDGE / SIPA)

Paniquée, Britthney Varner s'agrippe au T-shirt de son amie Whitney Irving. Elle prend une balle dans le dos. "Je l'ai entendue crier [mon nom], et puis elle a lâché prise", raconte Whitney Irving au New York Times. Plus loin, Shanon Wright se jette devant l'une de ses élèves pour la protéger. Touchée à la poitrine, la professeure d'anglais meurt quelques instants plus tard, laissant un mari et un fils de 2 ans derrière elle. Au total, cinq personnes sont tuées. Neuf autres sont blessées.

Très vite, la police arrive sur les lieux et intercepte les deux tireurs dans les bois. Au même moment, les parents d'élèves commencent à affluer près de l'établissement. Jackie et Doug Golden se rendent directement à l'hôpital pour s'assurer que leur petit-fils Andrew ne fait pas partie des victimes. Ils sont invités à se rendre au commissariat. "Il était en état de choc. Ses yeux étaient hagards, comme s'il venait de voir quelque chose de terrible", témoigne Doug Golden dans les colonnes du New York Times. Mais Andrew Golden n'est pas un témoin. "Papy, j'ai pris tes fusils", avoue-t-il.

"Ils ne devraient pas avoir le droit d'être libérés"

Andrew Golden et Mitchell Johnson comparaissent devant le tribunal en août. Ils sont escortés par une importante garde rapprochée, rapporte Le Parisien. La police a reçu de nombreuses menaces visant les deux prévenus. Les victimes de l'attaque et leurs proches bouillent de colère en attendant le procès. En cause, la loi de l'Arkansas qui, à l'époque, empêche les mineurs de moins de 14 ans d'être jugés comme des adultes. Les deux tueurs ont donc la certitude d'être libérés à 21 ans, lorsqu'ils atteindront la majorité.

Jackie et Doug Golden, les grands-parents d'Andrew, quittent le tribunal de Jonesboro (Arkansas, Etats-Unis), le 11 août 1998. (SPEARMAN / SIPA)

Sans surprise, Andrew Golden et Mitchell Johnson sont condamnés à être placés en centre de détention pour mineurs. Leurs dossiers sont scellés, forçant avocats et autorités à ne plus communiquer d'informations à ce sujet. Selon ABC News, les copies papiers des documents ont même sans doute été détruites quelques années plus tard. Les deux adolescents seront donc libres de ne jamais dévoiler leurs antécédents, une fois sortis de prison. 

"Je désapprouve le fait que notre système judiciaire autorise des tueurs de masse à vivre où ils veulent sans dévoiler leur identité, leurs crimes passés, et sans que les familles à proximité sachent qui sont leurs voisins", s'émeut l'avocat des familles des victimes, Bobby McDaniel. Pour Debbie Spencer, professeure de sciences présente au moment de l'attaque, la justice n'a pas été rendue.

Ils ne devraient avoir aucun droit. lls ne devraient pas avoir le droit d'être libérés, d'avoir une famille, (...) de mener une vie normale comme s'ils n'avaient jamais rien fait de mal.

Debbie Spencer

à ABC

Une demande de permis de port d'armes

Les quelques années passées en centre de détention, pas plus que le drame, n'ont suffi à dégoûter Andrew Golden et Mitchell Johnson des armes à feu. Les deux (désormais) hommes, jugés comme des mineurs, ne sont techniquement pas considérés comme "coupables de crimes" par la loi de l'Arkansas mais comme des "délinquants". En théorie, rien ne leur interdit donc de posséder une arme. Il ne faut pas longtemps à Mitchell Johnson pour s'en procurer une après sa libération, en 2005. Il est arrêté en 2007 au volant de son véhicule, pour "possession d'une arme en présence d'une substance illégale" (du cannabis), rapporte ABC.

Son avocat de l'époque, Jack Schisler, assure n'avoir jamais vu de poursuites pour ce motif en vingt ans de pratique. "[Mais] il s'agissait de Mitchell Johnson, le tireur de l'école de Jonesboro. Ils ont pris en compte le fait (...) qu'il est sorti de prison à 21 ans, ce qui déplaisait à beaucoup de gens", estime le conseil. Selon lui, les forces de l'ordre ont voulu s'assurer que Mitchell Johnson serait condamné. "Je crois qu'ils se sont dit que ce serait sûrement le chef d'accusation le plus grave." 

Mitchell Johnson a été de nouveau arrêté par la police de Fayetteville, dans l'Arkansas (Etats-Unis), le 1er janvier 2007, pour "possession d'une arme en présence d'une substance illégale". (SIPA / AP)

Libéré sous caution, Mitchell Johnson est une nouvelle fois condamné à de la prison en 2008. Cette fois, il a utilisé frauduleusement une carte bancaire, oubliée par un client de la station-service où il travaille. Le jeune homme reste derrière les barreaux jusqu'en 2015, où il est placé sous l'autorité de l'administration pénitentiaire du Texas et est contraint d'entamer une cure de désintoxication.

De son côté, Andrew Golden sort de prison en 2007. Moins d'un an plus tard, il tente d'obtenir un permis de port d'armes sous le nom de Drew Douglas Grant, rapporte l'Arkansas Times (en anglais). Le tueur, qui a légalement changé son patronyme, fournit tous les éléments nécessaires à l'obtention du document. Il précise notamment qu'il a achevé les sept heures de cours de tir réglementaires. Bien que son dossier ait été scellé par le tribunal, sa véritable identité est trahie par ses empreintes digitales. Les autorités refusent de délivrer le permis, car Andrew Golden a menti sur ses précédentes adresses : il a omis de citer le centre de détention pour mineurs où il a été incarcéré pendant neuf ans.

"Je ne veux pas leur demander pourquoi"

Un deuxième procès, au civil cette fois, se tient dans l'Arkansas en août 2017. Mitchell Johnson est condamné à verser 20 millions de dollars à chaque famille des cinq victimes, et Andrew Golden 10 millions de dollars, selon News Channel 3 (en anglais). Les proches ont entamé cette procédure pour obtenir réparation, mais aussi pour empêcher les deux tueurs de tirer profit de ce drame. "Si l'un d'eux tente de vendre leur histoire pour un livre ou un film, (...) cette décision signifie qu'ils ne pourront pas s'enrichir avant d'avoir payé ces familles", souligne Bobby McDaniel.

A cette occasion, les vidéos de leurs dépositions passées ont été rendues publiques, même si Andrew Golden et Mitchell Johnson n'assistent pas à ce dernier procès. Le premier a déménagé dans le Missouri, son ancien complice est toujours au Texas. Leur liberté reste insupportable pour de nombreuses victimes et leurs proches, comme en témoigne Brandi Varner, la sœur de Britthney. 

Chaque année, la période [de l'anniversaire de la fusillade] est comme une claque en plein visage. Ces mecs vivent la vie dont ma sœur rêvait.

Brandi Varner

à ABC

Durant plusieurs années, Debbie Spencer a elle aussi été rongée par ses interrogations sur les raisons du drame. L'enseignante a même pris à partie la mère de Mitchell Johnson, venue assister à une réunion parents-professeurs pour son plus jeune fils, un an après l'attaque. "Je lui ai directement demandé : 'J'avais un trou dans mon sac à main, est-ce qu'il essayait de me tirer dessus aussi, comme il l'a fait avec deux collègues ?'" raconte-t-elle à ABC. Presque vingt ans plus tard, Debbie Spencer est toutefois "passée à autre chose", "en quelque sorte". "Je ne connaîtrai jamais [leurs motivations], mais je ne veux pas particulièrement les revoir, ni leur demander pourquoi."

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