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Etats-Unis : comment Bernie Sanders, ses moufles et sa parka ont (presque) volé la vedette à Joe Biden lors de son investiture

Détournée, parodiée, la photographie du sénateur de Vermont assis les bras croisés dans les tribunes du Capitole à Washington a fait le tour du monde.

Article rédigé par franceinfo
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Le sénateur démocrate du Vermont Bernie Sanders lors de la cérémonie d'investiture de Joe Biden, mercredi 20 janvier 2021 à Washington (Etats-Unis). (BRENDAN SMIALOWSKI / AFP)

Il n'était pas investi mais il a réussi à capter la lumière, mercredi 20 janvier, à Washington. Ce jour-là, tandis qu'en prêtant serment sur l'énorme bible de Douai, Joe Biden est officiellement devenu le 46e président des Etats-Unis, Bernie Sanders, l'un de ses rivaux lors de la primaire démocrate, a fait sensation.

En tribunes, avec sa doudoune, ses bras croisés, ses moufles tricotées à la main et son air blasé, le sénateur du Vermont est immédiatement devenu un mème, un élément repris, décliné, détourné et parodié sur internet. 

Le choix du confort plutôt que du style

La cérémonie d'investiture est souvent synonyme de concours d'élégance. Les participants se mettent sur leur 31 et en profitent parfois pour passer des messages. L'investiture de Joe Biden n'a pas dérogé à la règle puisque les démocrates Kamala Harris, Michelle Obama et Hillary Clinton avaient choisi de se parer de violet pour faire un clin d'œil au bipartisme américain – le mélange du rouge des républicains et du bleu des démocrates – et au mouvement des suffragettes.

Bernie Sanders était aux antipodes, en matière de style, de Douglas Emhoff, le mari de la vice-présidente Kamala Harris, Barack Obama et Bill Clinton, aux manteaux bien coupés et aux gants en cuir. Le sénateur du Vermont est, lui, arrivé en doudoune et avec des moufles écolos tricotées. Pour une raison toute simple : il faisait froid dans la capitale américaine, à peine 6 °C avec un léger vent. Une bonne raison pour bien s'emmitoufler, ce que n'a pas manqué de faire remarquer la chanteuse Dionne Warwick, interprète de What The World Needs Now en 1966. "Ça a l'air chaud", a-t-elle tweeté.

Bernie Sanders s'est expliqué sur ce choix vestimentaire sur CBS News. "Vous savez, dans le Vermont, on s'habille chaudement, a-t-il souri. Le froid, on le connaît, et on ne s'embête pas vraiment avec la mode." 

Sa femme, Jane O'Meara Sanders, l'a soutenu en tweetant : "Doudoune du Vermont, moufles du Vermont, bon sens du Vermont". En effet, cette veste ainsi que ces moufles ont été fabriquées dans l'Etat du Vermont. La parka provient de la marque de snowboards Burton, dont le siège est dans le Vermont. Le fils de Jane O'Meara Sanders, Dave Driscoll, y a travaillé et la lui avait achetée pour Noël.

Les moufles, elles, ont été fabriquées par l'une de ses électrices. Elles sont en laine venant de vieux pulls et fourrées de polaire fabriquée à partir de bouteilles en plastique recyclées, selon le magazine de mode Vogue (en anglais), et témoignent, écrit le magazine, de son style volontairement anti-mode.

Une photo devenue iconique et transformée en mème

Un Bernie Sanders prostré, il n'en fallait pas plus pour qu'internet s'enflamme. La photo prise par le photographe de l'AFP Brendan Smialowski, le montrant assis, jambes et bras croisés, avec ses moufles tricotées à la main et bien en vue, a immédiatement été reprise par les internautes, qui l'ont utilisée à toutes les sauces en la superposant à d'autres clichés connus. Sur des pochettes iconiques d'album de rap américain par exemple.

On peut ainsi voir le sénateur, âgé de 79 ans, aussi bien sur le majestueux Trône de fer de la série à succès Game of Thrones qu'assis sur un banc à côté de Tom Hanks dans le film Forrest Gump, dans des scènes de Star Wars ou encore dans la célèbre photo des années 1930, assis sur une poutrelle, surplombant le vide, avec les ouvriers d'un gratte-ciel en construction pendant leur pause-déjeuner. Il figure aussi aux côtés de Staline, Roosevelt et Churchill à Yalta en 1945, au milieu des apôtres dans La Cène de Léonard de Vinci, ou encore sur la Lune, avec un casque d'astronaute.

Des détournements dans toutes les situations, mais qui ont fini par lasser les internautes. Et encore là, il restait un infime interstice, dans lequel s'est engouffré MarkBrooksArt en soulignant l'overdose de ce mème tout en l'alimentant.

Le photographe, Brendan Smialowski, interrogé par Rolling Stone (en anglais), reconnaît que "l'image elle-même n'est pas si belle".

"Ce n'est pas une grande composition. Je ne vais pas mettre ça dans un portfolio."

Brendan Smialowski, photographe à l'AFP

à "Rolling Stone"

Il a également été dépassé par la portée de son cliché, mais selon lui, "le sénateur a une image et est une marque de politique très bien définie". "Cette photo est un beau moment, note-t-il (...) mais cela dépend de qui est pris en photo. Si c'était quelqu'un d'autre et que tout était pareil, je ne pense pas que ça aurait eu la même portée."

Des vêtements qui avaient déjà été repérés et détournés

Si plus personne n'a pris de gants pour détourner ces moufles depuis mercredi, elles avaient été repérées depuis un an, raconte Le Monde. Pendant la campagne pour la primaire démocrate et pour l'édition 2020 de la Women's March, à Portsmouth (New Hampshire), le sénateur de 79 ans les portait et elles avaient déjà tapé dans l'œil des internautes. Un compte parodique avait vu le jour sur Twitter avec une "biographie" expliquant que "seules ces moufles sont capables de contrôler les gestes intempestifs des mains de Bernie".

La parka, elle, était portée par le sénateur dans une vidéo postée le 31 décembre 2019. Il lançait : "I'm once again asking for your financial support" ("je demande une fois de plus votre soutien financier"), appelant à la générosité de ses militants pour le financement de sa campagne, rappelle Le Monde. La formule avait été reprise et détournée et un site permettait de générer son propre mème. Elle l'a été à nouveau

Des retombées inattendues

Mais l'histoire ne s'arrête pas là. Bernie Sanders s'est servi de ce tapage pour la bonne cause. Sur son site internet, il vend un sweat avec la photo de l'investiture de Washington pour 45 dollars (environ 37 euros). La totalité des recettes réalisées par la vente de ce pull "polaire en coton biologique" est versée à une association, la Meals on Wheels Vermont, qui fournit des repas chauds à des personnes souffrant de maladies chroniques ou de handicaps.

Les moufles, elles, ont mis en lumière une électrice de Bernie Sanders, Jennifer Ellis. Elle est en la créatrice. Elle ne l'a jamais rencontré et menait jusqu'à mercredi "une vie tranquille", comme elle l'assure à l'AFP. Mais cette cérémonie d'investiture a tout changé. Elle faisait classe, en ligne, à ses élèves de CE1, lorsque son téléphone s'est mis à émettre une série de "ding". Inquiète, elle a interrompu son cours pour consulter les messages : "Bernie Sanders porte tes moufles à l'investiture", lui annonçaient-ils en substance.

Fan du sénateur socialiste, écolo convaincue, Jennifer lui avait envoyé une paire de moufles après sa défaite contre Hillary Clinton à la primaire démocrate pour la présidentielle 2016, pour le consoler. Puis l'an dernier, lorsque "Bernie" tentait à nouveau sa chance pour la présidentielle, elle a appris qu'il avait prêté les moufles à quelqu'un qui avait froid aux mains. "J'ai été si touchée que je lui ai envoyé 10 autres paires", sourit-elle. Depuis mercredi, elle affirme avoir a reçu "environ 13 000 e-mails de gens" prêts à lui acheter les mêmes moufles, "et pas juste une paire, ils en veulent beaucoup".

Peu de risque que cette notoriété soudaine et cet afflux de demandes lui tournent la tête. Elle n'arriverait jamais à satisfaire la demande, avec sa machine à coudre vieille de 30 ans et son travail d'enseignante, et n'en a même pas envie. "Ça gâcherait toute la beauté de la chose, assure-t-elle, je souhaite plus de joie à tous, si vous donnez quelque chose à quelqu'un (...) et ça explose, et le monde entier en a de la joie, c'est formidable."

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