"Nous apprenons l'humilité" : après les incendies dans l'Oregon, Carol et Fredric face aux ruines de leur maison
Les incendies de la côte ouest américaine ont ravagé plus de 600 habitations dans la petite ville de Talent, dans l'Oregon. Franceinfo est allé à la rencontre de deux de ses habitants meurtris.
"C’est ma maison. Enfin, c’était ma maison." Fredric Berger, 70 ans, pointe du doigt un tas de cendres au bord de la route. A ses côtés, sa femme Carol, 73 ans, s'est assise sur un muret en briques, seul vestige épargné par les flammes. Elle tient leur chien Schipperke dans ses bras. Devant eux, une carcasse de voiture calcinée laisse s'échapper un liquide couleur aluminium. "J'avais dit au voisin de la garer ici, car ça ne craignait rien", raconte Fredric en souriant. Qui aurait pu imaginer une telle tragédie à Talent (Oregon), petite ville de la côte ouest américaine ?
Mardi 8 septembre, les deux septuagénaires passent l'après-midi dans leur jardin luxuriant qui borde la rivière, quand de larges colonnes de fumée noire venues des forêts environnantes envahissent peu à peu le ciel. Leur petit coin de paradis, celui pour lequel les deux anciens New-Yorkais ont craqué il y a 17 ans quand ils ont choisi de s'installer dans le sud de l'Oregon, est sur le point de disparaître.
Le feu se rapproche en effet à toute vitesse. Le shérif du comté de Jackson donne l'ordre d'évacuer. En quelques heures, l'incendie, guidé par un vent surpuissant, ravage des milliers d'hectares de végétation. Plus de 600 habitations sont rasées à Talent, et davantage encore chez les voisins de Phoenix. Au moins trois personnes décèdent, tandis que plusieurs pompiers sont blessés dans leur bataille contre le mur de feu.
Un sac de survie déjà prêt
Heureusement, Fredric et Carol partent à temps. Ils ont même déjà prévu un sac de survie en cas d’urgence. A l’intérieur : des masques, deux paires de chaussures, quelques vêtements, un chargeur de portable et 300 dollars en cash. De quoi tenir plusieurs jours. "On a aussi décroché quelques peintures faites par ma mère", ajoute Carol. En revanche, pas le temps de récupérer les photos ou de débrancher l'ordinateur. "On ne prend pas les décisions les plus rationnelles dans ces moments-là, commente Fredric, sans amertume. Mais les photos sont dans le cloud, ça ne brûle pas !"
Fredric et Carol prennent place dans leurs deux voitures électriques et filent en direction du nord. Ils roulent une trentaine de kilomètres jusqu'à Central Point, ville où des bénévoles leur fournissent de la nourriture et des couvertures. Les retraités décident de passer la nuit dans leurs véhicules, en attendant que l'incendie soit maîtrisé.
Ils ne savent alors pas encore si le feu a ravagé ou épargné leur maison. "Notre magnifique maison", répète sans cesse Fredric. Deux jours après le passage de l'incendie, ils décident de retourner sur place. "Toutes les routes étaient barrées par la Garde nationale, raconte Carol. Mais heureusement, on connaît les petits chemins. On a pu s'approcher à pieds et voir notre maison. Le trottoir fumait encore."
Le feu a quasiment tout emporté. Les murs et le toit de cette résidence bâtie en 1976 ont disparu. Quelques mosaïques réalisées par Carol ont résisté, mettant un peu de couleur dans le champ de ruines en noir et blanc. Une cabane pour oiseaux à moitié fondue pend aux arbres qui, eux, sont encore debout, au bord du ruisseau.
"Nous allons reconstruire notre maison"
Plusieurs habitations voisines, en bois, sont restées intactes, sans même une trace de suie. Pas de quoi exaspérer Fredric, fervent croyant, avec son T-shirt bleu floqué "Saint Vincent de Paul". "Je préfère que notre maison ait brûlé plutôt que celles de l’autre côté de la route où vivent des personnes aux faibles revenus ou des immigrés", lâche-t-il. L'ancien travailleur social connaît bien ses voisins et leurs difficultés. "Toute notre vie, nous avons travaillé pour aider les autres à s’en sortir, à se relever. Cette fois, c’est nous qui devons prendre un nouveau départ."
Les deux retraités ont aussi la chance d'avoir une assurance qui va pouvoir les aider à tout recommencer. Beaucoup d'habitants ne bénéficent pas de ce "luxe", alors que, selon les médias américains, les entreprises du secteur délaissent la côte ouest face au risque trop important de catastrophe naturelle. "Nous allons reconstruire notre maison, différemment et en mieux", martèle Fredric qui a déjà enfilé ses gants pour faire l'état des lieux. Pas question de déserter face au déchaînement des éléments.
L'impact du réchauffement climatique
Pourtant, le couple a bien conscience que quelque chose ne tourne plus rond ici. "Les Indiens habitaient sur cette terre depuis des siècles avant qu'on ne la vole, et ils savaient utiliser les feux pour la préserver, observe le retraité. Nous devons nous inspirer d'eux. Nous apprenons l'humilité." Ils reconnaissent aussi l'impact du réchauffement climatique dans la région. Selon les experts, les hausses de températures et l'accentuation de la sécheresse, provoquées par l'activité humaine, attisent l'ampleur et la fréquence de ces incendies.
Certains veulent savoir qui a mis le feu, mais c’est nous tous qui avons créé un environnement parfait pour cela.
Fredric, rescapé de l'incendieà franceinfo
L'urbanisation galopante est aussi pointée du doigt. "Nos maisons, qui étaient construites les unes à côté des autres, avec des rangées d'arbres de la même espèce, étaient de véritables allume-feux !", reconnaît Fredric.
"Nous voulons une maison plus durable, avec des matériaux écologiques", expliquent-ils en chœur. Mais les deux retraités savent très bien que tout le monde ne partage pas cette vision, ou n'a pas les moyens de vivre différemment. "Les gens feront comme ils veulent. C'est l'Amérique ici", lâche Fredric.
Des habitants solidaires
Une société individualiste ? Des pancartes accrochées le long de la route dévastée entendent montrer l'inverse. Une longue banderole avec des cœurs et l'inscription "Talent strong" ("Talent forte") a également été installée à quelques mètres de la maison de Fredric et Carol. C'est là que des habitants déposent des boîtes de haricots rouges, des bouteilles d’eau, des couches, du lait, des pâtes et de la sauce tomate. "Peu importe d’où tu viens, nous sommes heureux d’être ton voisin", est-il écrit en trois langues. Un peu plus loin, une association organise une grande collecte solidaire. Un restaurant itinérant offre aussi le déjeuner à tous ceux dans le besoin.
La ville reste pour l'heure quadrillée par les gardes nationaux. Près de dix jours après l'incendie, désormais totalement maîtrisé, certaines zones sont encore inaccessibles, et les conditions météo ne permettent pas d'éliminer le risque de nouveaux départs de feu. Dans leur jardin, Fredric et Carol récupèrent une petite statue de Bouddha en bronze qui a résisté au sinistre. En partant, le septuagénaire referme consciencieusement le portillon en métal de sa propriété, comme s'il y avait toujours une maison derrière.
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