Un ancien détenu de Guantanamo témoigne face aux enfants de Lunel
C'est la première fois que l'Education Nationale l'invite ainsi dans un collège et dans un lycée français pour raconter aux élèves son histoire, de Vénissieux à Guantanamo, en passant par l’Afghanistan. Mourad Benchellali est venu témoigner dans le quartier de l'Abrivado, au collège Frédéric Mistral et au lycée Louis Feuillade, situés côte à côte, dans une zone d'éducation prioritaire. Parmi la vingtaine de jeunes Lunellois qui sont partis sur la route du djihad ces deux dernières années, la plupart étaient passés par au moins l'un de ces établissements. Deux établissements dans lesquels Mourad Benchellali, 33 ans, est entré avec une certaine émotion. Venir témoigner à Lunel, "c’est important ", dit-il. C’est symboliquement "très fort ".
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"Quand je suis arrivé sur place, c’était pas ce que j’avais imaginé"
Parmi les élèves devant lesquels Mourad Benchellali se présente, un collégien qui a perdu son grand frère, une lycéenne qui pleure son amoureux. Et beaucoup de camarades qui connaissaient de près ou de loin les huit jeunes garçons qui sont morts en Syrie ou en Irak depuis le mois d’octobre. "Bonjour à tous, Salam Alaykoum pour les Musulmans ", commence Mourad Benchellali, d’une voix posée. Beaucoup d’élèves sourient et répondent spontanément à sa salutation en arabe.
"Mon histoire, elle est simple. Je suis un ancien détenu de Guantanamo.Comment je me suis retrouvé là-bas ? Moi, j’avais 19 ans, quand je suis parti en Afghanistan, sur les conseils de mon grand frère, pour aller passer des vacances dans un pays islamique. Evidemment, c’était pas une bonne idée. Parce que quand je suis arrivé sur place, c’était pas ce que j’avais imaginé dans ma tête. On m’a envoyé dans un camp d’entraînement, à Kandahar, et on m’a obligé à y rester pendant soixante jours. Je n’ai pas eu le choix ". Mourad Benchellali raconte ainsi comment il s’est retrouvé pris au piège, comment il a été capturé par les forces pakistanaises, comment il a été livré ensuite aux Américains.
Un départ "qui n’engage pas que soi-même"
Sobrement, il parle ensuite des tortures qu’il a subies dans le camp X Ray puis dans le camp Delta de Guantanamo. "Qu’est-ce qui vous a décidé à venir témoigner devant nous ? ", demande une collégienne. "Parce que quand j’entends que des jeunes sont morts en Syrie, ça me fait de la peine. Même si ça partait d’une bonne intention, parfois, pour ceux qui veulent aider les Syriens ou faire leur hijra, l’émigration dans un pays musulman. Mais ce qu’ils ne savent pas, c’est qu’une fois arrivés sur place, il y a différents groupes, et il y a des groupes terroristes. Il est très rare de se retrouver à faire de l’humanitaire en réalité ".
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Face aux élèves qui l’écoutent avec une grande attention, Mourad Benchellali raconte enfin les conséquences d’un tel départ, "qui n’engage pas que soi-même ", mais peut se répercuter sur toute la famille. Avec une boule dans la gorge, il parle de sa mère, incarcérée après son départ en Afghanistan, pour avoir envoyé de l’argent à l’un de ses fils en Géorgie. Elle a été accusée de financer une filière terroriste, puis condamnée à Fleury-Mérogis, où Mourad Benchellali a lui aussi passé deux ans en détention provisoire, de retour de Guantanamo.
Une rencontre qui "nous rend moins naïfs ", dit un collégien
"Franchement, ça donne envie de ne pas reproduire les mêmes erreurs qu’il a faites ", dit un élève de 3e. "L’histoire de sa mère en prison, je trouve que c’est le plus poignant ". Deux camarades ajoutent : "Ca nous rend moins naïfs, c’était un sujet tabou, sensible, ça nous permet de prendre conscience ". Vincent Lasserre, professeur d’histoire-géographie au collège Frédéric Mistral, estime que ce témoignage était "particulièrement fort parce que, contrairement à ce que je peux leur dire, un discours rationnel et construit, là, il n’y avait pas cette distance par rapport au discours du professeur qui représente une institution. On voit bien qu’ils se sont identifiés à lui, on voit bien que ça en a remué certains. Ca donne l’espoir qu’ils auront entendu le message. Il faut par tous les moyens qu’on leur fasse comprendre qu’en Syrie, il n’y a rien à trouver, il n’y a rien que le chaos, la mort et le malheur ".
Chaleureusement applaudi à la fin de son témoignage, Mourad Benchellali se dit à la disposition de l’Education nationale pour continuer à raconter son histoire et ainsi dissuader les jeunes de partir au djihad. Récemment, Najat Vallaud Belkacem a annoncé qu’il y avait plus de 500 élèves, pour lesquels une possible radicalisation avait été signalée. A Lunel, au moins un jeune mineur fait actuellement l’objet d’une interdiction de sortie du territoire pour le protéger d’un départ en Syrie. Lui aussi a attentivement écouté Mourad Benchellali.
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