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Turquie : à Istanbul, "le climat est très lourd et je ne sors presque plus", raconte une Française

Après l'attentat meurtrier dans une discothèque dans la nuit du 31 décembre, franceinfo a interrogé des habitants de la mégalopole turque pour témoigner de l'atmosphère qui règne dans la ville.

Article rédigé par Louis San
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Sur les bords du Bosphore, à Istanbul (Turquie), le 2 janvier 2017. (OZAN KOSE / AFP)

Alors que l'auteur de l'attentat qui a fait au moins 39 morts dans une discothèque d'Istanbul est toujours en fuite, mardi 3 janvier, quelle atmosphère règne dans la mégalopole turque ? Franceinfo a interrogé des Stambouliotes. "Le climat est très lourd", commente Sophie*, une Française de 26 ans, installée à Istanbul depuis quatre ans et demi.

Dans la ville où se rejoignent l'Europe et l'Asie, "tout le monde a commencé à s'inquiéter après l'attentat de Sultanahmet", le 12 janvier 2016, estime-t-elle. Dix personnes sont mortes, ce jour-là, lors d'une attaque-suicide menée par un membre du groupe Etat islamique dans ce quartier très touristique de l'agglomération, où vivent 18 millions d'habitants.

"On parle tout le temps des attentats"

Cette tension, "on la sent particulièrement dans les transports en commun. Tout le monde s'observe", poursuit la jeune femme, qui travaille dans le marketing. Il y a davantage de contrôles. La sécurité a été renforcée aux entrées : des détecteurs de métaux ont récemment été mis en place, souligne Muharem, un Français de 23 ans d'origine turque installé à Istanbul depuis deux ans. "Pour prendre la ligne de métro qui passe sous le Bosphore, les sacs sont fouillés. Ce n'était pas le cas avant", abonde Sophie.

"Je regarde très peu les informations mais au travail, avec les collègues, on parle tout le temps des attentats", ajoute-t-elle. Et la menace terroriste n'a pas fait qu'affecter ses sujets de discussion autour de la machine à café, elle a aussi modifié ses habitudes. "Naturellement, avec mes amis, on a arrêté de sortir, sans en parler, poursuit Sophie. Maintenant, on se retrouve chez les uns et les autres."

Je ne sors presque plus alors qu'avant il était rare pour moi de passer un vendredi soir ou un samedi soir à la maison.

Sophie, expatriée française à Istanbul

à franceinfo

Les cafés, les restaurants, les concerts... Des activités mises entre parenthèses pour au moins "quelques mois", estime-t-elle.

Le tourisme à la peine à Istanbul et dans toute la Turquie

Tuncay, guide et interprète à Istanbul, conçoit les choses de façon totalement différentes. Il n'a rien changé à son quotidien. "Je vais au restaurant, au théâtre et au cinéma, comme tout le monde", dit-il à franceinfo. Même attitude pour Muharem. "Je sors toujours autant qu'avant, affirme-t-il. C'est une belle réponse aux événements." Et l'étudiant choisit ses lieux de sortie sans se poser de questions particulières, il ne cherche pas à éviter certains quartiers particulièrement festifs ou touristiques.

Ce ne sont pas quelques fouteurs de merde qui vont déstabiliser un pays comme la Turquie.

Tuncay

à franceinfo

Pourtant, à Istanbul, le tourisme est bel et bien en crise. RFI a rapporté, en octobre, que les commerçants du Grand Bazar, l’un des endroits les plus célèbres de la ville, "tiraient la sonnette d'alarme. Certains ont déjà mis la clé sous la porte en raison de la chute du nombre de visiteurs". Sophie, qui habite à proximité de la célèbre et très touristique avenue Istiklal, assure que son quartier est moins bondé qu'auparavant : "Il y a de moins en moins de magasins sur l'avenue. Il y a moins de touristes et les boutiques ne tiennent pas."

Plus globalement, c'est le tourisme de l'ensemble de la Turquie qui est affecté. Le nombre de touristes étrangers y a chuté de plus de 40% en juin, selon les statistiques du ministère du Tourisme turc publiées en juillet, rapportait alors La Tribune, peu après le coup d'Etat raté du 15 juillet.

Une forte présence policière pas forcément rassurante

La Turquie est en état d'alerte et les forces de l'ordre sont fortement mobilisées. "Dans les quartiers touristiques, ils ont commencé à mettre des points de contrôle pour fouiller des voitures suspectes", souligne Muharem. Mais pour Sophie, cette présence n'est pas synonyme de davantage de sécurité. "Les policiers et les militaires sont visés par les attentats" du PKK, le parti séparatiste kurde, rappelle-t-elle.

Du coup, "on ne sait pas si on est plus en sécurité lorsqu'il y a des policiers ou lorsqu'il n'y en a pas". Sans compter "la défiance à l'égard des forces de l'ordre", dit-elle. "A Paris, en France, il y a une police qui défend la population. A Istanbul, en Turquie, c'est compliqué. On ne sait jamais si elle est contre nous ou avec nous", poursuit-elle.

Pour autant, Sophie ne compte pas rentrer en France malgré la vive inquiétude de sa famille. "J'ai ma vie ici, c'est compliqué de tout lâcher", résume-t-elle. Se réinstaller dans l'Hexagone est également inenvisageable pour Muharem, qui dit se sentir en sécurité. Il estime d'ailleurs que ces événements n'affecteront pas l'évolution du pays mais vont "au contraire le rendre plus fort".

Finalement, si Sophie trouve "absurde de venir s'installer maintenant à Istanbul", elle ne déconseille pas la Turquie pour jouer les touristes. Ses vacances, elle les passe dans les diverses provinces du pays et n'hésite pas à s'échapper d'Istanbul, même le temps d'un week-end.

* Le prénom a été modifié.

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