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Enfants migrants morts sur une plage: «Que ferais-je si ce bébé était à moi?»
Publié le 02/02/2016 13:39
«Que ferais-je si ce bébé était à moi?» Le naufrage d'un bateau de réfugiés en Turquie est un terrible récit d'une tragédie sur une plage turque, par le photographe de l’AFP à Istanbul. Le «Making-of» de l’AFP relate en détails et en photos ce drame. Photos Ozan Kös, texte Roland de Courson.
«Au cours de ma carrière de photojournaliste, j’ai couvert des crises, des émeutes, des attentats. J’ai déjà vu des morts. Mais ça, c’est pire que tout.»
Çannakkale (Turquie), 1er février 2016. «Quand j’arrive sur la plage de galets, le premier cadavre que je vois est celui d’un bébé. Il doit avoir neuf ou dix mois, il est chaudement couvert et porte un bonnet. Une tétine orange est accrochée à ses habits. A côté de lui gisent un autre enfant, âgé de huit ou neuf ans, ainsi qu’une adulte, leur mère peut-être.
Sur le moment, je ne sais pas quoi faire. Je prends quelques photos. Je parcours la plage, je vois le corps d’un autre enfant sur un rocher. Par la suite je ferai des cauchemars, je serai durant des heures incapable de parler, mais à cet instant je ne ressens rien de particulier. Les gendarmes turcs sont occupés à ramasser d’autres noyés échoués sur la plage après le naufrage de la nuit précédente. Il y a tellement de cadavres… Je n’arrive pas à les compter.» (AFP / Ozan Köse)
«La veille, je suis allé dans les bois où plusieurs dizaines de migrants s’étaient repliés après s’être fait arnaquer par des passeurs. Ces derniers leur avaient fait payer une fortune pour embarquer sur un bateau pour la Grèce, mais le moment venu l’embarcation s’était avérée beaucoup plus petite qu’annoncé. Craignant de couler, les migrants avaient refusé de monter. Ils s’étaient confrontés avec les passeurs, qui les avaient menacés avec des armes à feu.» (AFP / Ozan Köse)
«Dans ce campement de fortune où ils se réchauffaient autour de feux de bois en attendant de trouver un nouveau bateau pour l’Europe, les réfugiés avaient été heureux de me voir, de me parler de leurs problèmes. Les enfants demandaient sans cesse à leurs parents : "alors, c’est quand qu’on monte sur le bateau?"» (AFP / Ozan Köse )
«Ce samedi matin, je me réveille en sursaut vers sept heures en entendant de nombreuses sirènes d’ambulances. Mon hôtel est situé juste à côté de la base des garde-côtes. Quelque chose de grave a dû se produire.» (AFP / Ozan Köse )
«Au moment où j’arrive à la base, une navette vient d’accoster. Des corps enveloppés dans des housses en plastique sont en train d’être débarqués. J’en compte une dizaine. Il y a de nombreux rescapés aussi, dont beaucoup de femmes et d’enfants. Je m’approche. Ils viennent de Syrie, d’Irak, d’Afghanistan, mais aussi de Birmanie et du Bangladesh. Ils sont en état de choc. Ils me racontent qu’il faisait beau, que la mer était calme, mais qu’ils étaient beaucoup trop nombreux sur le bateau. C’était une petite embarcation conçue pour promener les touristes, et dont la capacité est de vingt ou trente passagers au grand maximum. Quand elle a sombré, plus de cent migrants s’entassaient à bord. Chacun avait payé 1.200 euros aux passeurs.» (AFP / Ozan Köse )
«Les survivants sont emmenés par la police pour être interrogés, et je décide de me rapprocher du lieu du naufrage. Le drame s’est produit à moins d’un kilomètre de la côte, près du village de Bademli. Quand j’arrive sur place, je vois l’épave à moitié engloutie qui, à la dérive, se trouve désormais à une cinquantaine de mètres du rivage. La plage de galets est jonchée de gilets de sauvetage, d’effets personnels et de cadavres rejetés par les vagues glacées de la mer Egée, donc celui de ce bébé à côté duquel je me trouve.» (AFP / Ozan Köse )
«Au cours de ma carrière de photojournaliste, j’ai couvert des crises, des émeutes, des attentats. J’ai déjà vu des morts. Mais ça, c’est pire que tout.
En regardant ce petit corps, je me demande pourquoi tout cela. Pourquoi cette guerre interminable en Syrie. Je suis fou de rage contre tous ces politiciens qui ont causé cette tragédie, contre les passeurs qui envoient tant de gens à la mort.
Puis un gendarme arrive, soulève l’enfant et le dépose dans un sac en plastique. Lui aussi il pleure.» (AFP / Ozan Köse )
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